Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Notre marrakech 45-70
Notre marrakech 45-70
Archives
Derniers commentaires
25 février 2012

Tout et rien et HABIBA 2

Bonsoir mes amis...
presque une semaine de passée depuis le dernier article. je m'aperçois que je vais devoir vous éditer les paragraphes suivants de HABI un peu plus rapidement, car au rythme de un par semaine, nous en aurons pour 6 mois.
Aujourd'hui c'est donc deux chapitres que je mettrais en ligne à la suite. Mais avant quelques nouvelles des bloguers..
Nous les marrakchis qui allions en vacances à Oualidia, nous y avions un ami. Gérard L de Casablanca. (Oui encore un, je sais, mais c'était et c'est toujours un ami) Il me dit ceci : Dans l'article "Le retour de Dona" de magnifiques paysages  m' ont invité à un petit voyage dans une boite à chaussures. Et il nous offre trois photos (des photos qui on plus de 50 ans.
 
La première,
 IMG_0001
Je lui laisse le soin de la commenter:
Le Tichka en 4cv le 1er Mai 1950, moi en barboteuse à gauche de mon père en..........costume cravate!!!! Ma mère est à coté de la voiture. Sur la borne , une petite différence d'altitude mais surtout les noms de ceux qui ont participé à la construction de la route.Chapeau à ceux qui sont cités mais aussi à tous les anonymes.
 
Puis un deuxième :
J' y ai également trouvé une vue de l'auberge '' au Sanglier qui fume " à Ouirgane et je pense qu' elle n'est pas inconnue des marrakchis.
 
IMG_0002
 
 
Enfin la dernière :
Et puis pour le coté nostalgie: une noria. J'avais 2 ans , je n'ai pas souvenir de cette photo mais des norias  oui, avec le dromadaire ou l' âne qui tournait, tournait......
 
IMG
 
Merci GERARD de penser à nous. Tu reçois le titre de Marrakchi d'honneur et nous serons toujours heureux de te voir de passage sur NOTRE BLOG.
 
BERNARD, lui, d'ailleurs très bon ami de Gérard, a eu un retour de souvenirs quand nous avons évoqué le glacier bien connu de Casablanca, OLIVERI et il a retrouvé une photo de la terrasse prise en 2009 et fréquentée par plusieurs d'entre nous quand nous étions à Casa.
 
oliveri1
 
Le Glacier a gardé le nom, mais d' après ce que je sais Mr OLIVERI est rentré en France et le nouveau propriétaire n'a gardé que le nom.
Si l'un d'entre vous a des précisions à nous donner, qu'il aille l'écrire dans les commentaires....
 
Et puis un avis de recherche : C'est Georges ANTON qui m'a adressé un courriel pour me faire part de sa demande :
Je suis tombé par hasard sur ce site, j'étais pensionnaire avec ma soeur Lina, au Lycée Victor Hugo en 1960 et j'avais des amis dont Isabelle Caroline et Valérie Deschaseaux, elles habitaient une villa derrière le lycée ,puis les années ont passé etj'ai du les voir furtivement à Pau.
J'aimerai bien leur écrire, je suis à NICE.
 
Mes recherches n'ayant rien donné, il m'a donné quelques précisons sur son passage à MARRAKECH. Les voici :
 J'ai aussi gardé le souvenir d'un ami d'enfance (Machouca) phonétiquement" qui était en pension avec moi, il m'emmenait dormir chez ses parents le week-end, pas très loin du Lycée (route de Safi) son père (espagnol) travaillait dans une ferme.
 
Mes parents étaient divorcés, ma mère travaillait à la pharmacie Galéazi en médina. Ensuite j'ai du habiter à Casablanca chez mon père puis dans la famille à Tlemcen...
Bon là je suis au boulot, on reprendra la conversation ...
Tu peux donner mon émail à ceux qui voudraient m'écrire.
 
Notre petite communauté pourra t elle aider GEORGES. Avez vous été à VH dans les mêmes années? Vous souvenez vous de lui? Avez vous des adresses des soeurs  DESCHASEAUX? Si vous pouvez faire quelques choses pour lui, faites moi parvenir un Courriel je transmettrais (Ne donnez pas trop de noms ou de renseignements dans les commentaires, discrétion oblige).
 
Bien maintenant nous allons retrouver JFK et son HABIBABijou.
Chapitre 2

hadj el katib

Mais il n’était écrit nulle part que le destin, ce-qui-est écrit , tiendrait compte des plans de El Katib. Il arrive que les messages de l’homme qui prend impudemment la bénédiction divine pour fait acquis, s’égarent en chemin (les voies du Seigneur, on le sait, sont impénétrables…) et que ses voeux, les plus modestes comme les plus extravagants, se changent en gouttes d’eau qui grossissent le long fleuve des illusions perdues.

Tout ça pour dire que Dieu avait concocté d’autres projets pour El Katib et sa famille.

 On sait peu de choses sur la période qui suivit. Une période troublée. Les bouches se sont tues si longtemps que le souvenir même s’est évanoui, perdu. Enterré. Par contre, ce qui est sûr, c’est que pour une raison aussi étrange qu’incompréhensible El Katib ne put obtenir d’Amina qu’elle engendrât la soeur et les deux frères qui auraient dû rejoindre Petit-Homme.  

Et puis il y avait eu une sorte de guerre. 

Cela avait commencé avec les militaires roumis, quelque part en 1912. On avait vite compris qu’il fallait compter avec eux, que tout venait d’eux, par eux, le progrès mais le dérangement, les routes mais les migrations, l’éducation mais la ségrégation, la sécurité mais les ghettos et les barbelés, la justice mais les ordres, les coups et parfois la prison.

 On disait même qu’il ne leur déplaisait pas de faire parler la poudre à l’occasion, et qu’ils défloraient volontiers les jeunes filles, mais on disait tant de choses… 

On disait aussi que les hommes en âge de servir la patrie, la patrie des roumis, allaient devoir quitter la famille, les animaux, la prairie pour rejoindre les rangs des pacificateurs.

C’est à peu près à ce moment-là que l’absence de El Katib devint évidente mais personne ne savait ce qu’il était devenu.

 Amina s’était réfugiée dans un mutisme total, quant à Petit-Homme, ses airs entendus ne pouvaient que le discréditer ou le desservir : en vérité, la gamin ne savait rien.

On avait beaucoup parlé d’un certain Abd-el-Krim, un berbère du nord, qui avait décidé de rendre leur dignité – sinon un pays – à ses habitants. Considéré comme un héros par ses pairs et un talentueux chef de guerre par ceux qu’il avait mis à genoux, on disait même qu’il aurait passé une partie de l’armée espagnole à la moulinette. (C’est de là que vient la chanson Tiens, voilà du chorizo , reprise plus tard par des légionnaires amateurs de boudin.)

Au village, dans le cercle des sages, on chuchotait sous le manteau que El Katib avait rejoint les troupes d’Abd-el-Krim dans les montagnes du Rif mais pas un n’aurait pu apporter la moindre preuve corroborant cette sournoise accusation. 

Ce qui est certain c’est que Petit-Homme avait presque atteint l’âge d’être un vrai Homme sans préfixe quand les soldats roumis stoppèrent les élans patriotiques d’Abd-el-Krim et purent enfin s’approprier les montagnes de haschich du Rif.  

Entre temps, El Katib – heureusement démobilisé au moment idoine – décida qu’il serait judicieux de partir en pèlerinage pour La Mecque en attendant que la poussière retombe sur les contreforts des chanvrières.  

Presque-plus-Petit-Homme avait alors presque seize ans et il fut décidé qu’il accompagnerait son père, un calcul avisé quand on sait que ce dernier avait laissé la moitié de sa jambe droite aux mains de miliciens espagnols et rancuniers. 

el katib

Il s’est rasé et habillé de blanc il a marché pendant des jours et des jours il a fait et refait trois fois le tour de la Kaaba et il a embrassé la pierre noire.

Comme l’épouse d’Abraham il a parcouru sept fois le chemin entre le mont Safa et le mont Marwa il a par deux fois lapidé le malin il a fait toutes les prières et sacrifié le mouton.

Hadj il est devenu tout le temps il a tenu la main de son fils et son fils l’a porté dans ses bras quand il n’en pouvait plus.

Sur le chemin du retour Hadj El Katib est mort du choléra.

Mektoub… 

Le Seigneur, dans sa grande sagesse et sa magnanimité infinie, avait donc décidé que Le Hadj El Katib avait usé tout son « tas de cailloux ».

Dès lors ce serait son fils, Petit-Homme devenu homme sans préfixe, qui, pour avoir fait le pèlerinage et rempli toutes les clauses du contrat, se prénommerait dorénavant Hadj-Petit-Homme et serait propulsé au rang de chef de famille.  

Un rôle qu’il assumerait avec toute la modestie, la religion et l’humanité qu’on lui avait enseignées.  

Cette fraîche hadjitude se traduisit par la décision de porter en tout lieu et en tout temps la gandoura blanche, le turban et la barbe longue, d’ouvrir sa porte aux pauvres, de faire toutes les prières et de respecter les saintes écritures. Il n’arborerait aucun signe extérieur d’immodestie ou de vanité et fuirait toute notoriété, quoique Dieu décidât sur son avenir.  

Le temps passa.

 Par un beau jour de printemps Hadj-Petit-Homme épousa Lalla Zouina, certainement la plus jolie femme du village.

 Celle-ci, soucieuse de faire régner la paix entre les générations suggéra que la belle-mère – que Dieu la garde aussi loin de moi que possible  – puisse s’installer ailleurs, comme dans l’ancienne noualla des chèvres à quinze pas de la khaïma nuptiale, ou même au diable, si c’est ce qu’elle préférait.

La vie n’était pas vraiment différente pour Hadj-Petit-Homme et son épouse qu’elle ne l’avait été pour El Katib et sa chère Amina, si ce n’est que les chèvres étaient plus grasses, qu’un âne et un boeuf avaient rejoint le troupeau et que le vieux cabot jaune avait laissé la place à un autre cabot jaune.

 Mais point de maison, d’étable ou de clôture de pierre : on vivait toujours sous la khaïma en poil de chèvre, prêts à repartir sur un coup de tête, à reprendre la route, à changer de montagne car la liberté est un djinn malin qui dort dans le coeur de tous les nomades.

Ils avaient déjà usé près de quinze années quand soudain un bébé-fille s’installa entre Le Hadj-Petit-Homme et Lalla Zouina, un bébé-fille avec un sourire de lapin et de grands yeux verts comme de l’eau fraîche, un petit oiseau qui meublait la longueur des jours de gazouillis interminables.  

Le Hadj-Petit-Homme souhaitait qu’on appelât la petite Istiqlal mais Lalla Zouina eut le dernier mot : Habiba porterait le même nom que sa grand-mère maternelle, qui s’appelait Habiba, on s’en serait douté. En échange on priva Hadj-Petit-Homme du sobriquet Petit-Homme qui ne convenait plus à un vrai Hadj, papa de surcroît.

Contrairement aux dires qui veulent qu’une fille soit parfois moins désirée, moins entourée qu’un garçon, Habibabijou – comme Le Hadj aimait à l’appeler – était une poupée choyée, habillée, coiffée et parfumée comme une geisha, même si on savait pas ce qu’est une geisha. Une perle précieuse, un adorable bijou de mini princesse.  

Quand Habiba sut marcher, elle accompagna la vieille Amina aux champs, chèvre parmi les chèvres, fleur parmi les fleurs, alouette filant dans les sillons, grenouille devant les fourmilières… Et la vieille Amina lui racontait le grand-père El Katib qui-savait-écrire-des-choses?  le grand désert rouge, La Mecque et le Coran, la poule et le chacal, les nuages, le jour, la nuit et les papillons…

Ah, et aussi l’histoire du grand chien noir… 

Lorsqu’elle courait en avant on voyait bien qu’elle boitait un peu, la petite Habiba. Comme si elle avait une jambe un peu plus courte. Alors la vieille Amina la rappelait pour l’asseoir sur ses genoux et elle lui lissait cette jambe pendant des heures comme pour la sculpter autrement.  

C’est que la petite, elle avait une longue cicatrice qui lui fendait le gras du mollet sur la longueur de toute une main, le genre de cicatrice qui, longtemps après que la blessure soit guérie, fait encore mal juste à la regarder. Ce n’était pas laid.

En fait on aurait dit qu’elle avait deux muscles fins, tendus comme des cables d’acier, en arrière de la jambe.  

Alors, une fois encore, Amina lui racontait, les larmes aux yeux, comment on avait eu si peur, un jour, à cause du grand chien noir. C’était arrivé quand elle était toute-toute petite, tout juste sortie de la période arapède collée sur le dos de Lalla Zouina. On allait à la fontaine. Le petit bout de femme, la tête baissée pour surveiller ses orteils, trottinait en arrière, à quelques pas des autres femmes, quand le chien s’était occupé d’elle.  

Un grand chien noir avec des oreilles courtes et des yeux jaunes qui courait tous les jours le long du chemin de la fontaine, en direction du village. On disait même qu’on l’avait vu encore plus loin, comme s’il avait suivi le soleil dans toute sa course. Il ne répondait pas aux appels, il ne se préoccupait pas des pierres qu’on lui lançait, il courait le matin vers le village, et le soir il courait dans l’autre sens. Il n’était à personne, on ne savait rien de lui, on se disait tiens, je ne l’ai pas vu aujourd’hui. C’est tout, on avait l’habitude.

Qu’est-ce qui l’avait interpellé ce matin-là, pourquoi avait‑il décidé que la poupée frétillante devrait désormais  l’accompagner dans son va-et-vient dément. Il l’avait saisie par une jambe et s’était remis à courir, sa proie brinquebalant dans la gueule. Heureusement, au détour, la poupée fut piégée par les tentacules griffus d’un acacia et le molosse dut renoncer à son projet.

 Ce soir-là Le Hadj se posta le long du chemin de la fontaine et attendit. Il attendit toute la nuit. Il attendit toute la matinée du lendemain puis toute l’après-midi. Le chien avait dû changer de parcours. Assis sur ses talons, Le Hadj attendait.

 Le molosse arriva enfin juste avant le coucher du soleil, la tête dressée, la prune au vent, du pas alerte et insouciant du bellâtre satisfait. Le premier coup de hache lui ôta tout le museau. Puis, au hasard des coups, il perdit une patte, une oreille, puis presque tout l’arrière train. Et aussi longtemps qu’il remua, un autre coup de hache l’allégeait d’un autre morceau de vie, d’un carré de muscle, d’une once de sang, de son souffle enfin.

Le faciès dur, la haine dans les yeux mouillés, Le Hadj n’avait pas proféré un seul mot, pas une injure, pas un seul han . La rage muette, féroce. Lui qui n’avait jamais exprimé colère ni chagrin, lui qui n’avait jamais gémi ni levé la voix, il piétinait avec fureur ce qui restait de chair et de sang dans la boue rougie du chemin de la fontaine. Une danse macabre aux dieux de la barbarie.

Et Habiba riait et battait des mains parce qu’elle aimait être sur les genoux de grand-mère et parce qu’elle aimait les belles histoires que la vieille lui racontait.

Plus tard, quand elle fut assez grande pour ne plus disparaître au milieu des chèvres, Le Hadj lui permit de l’accompagner aux labours, de conduire l’âne et de flatter le boeuf, de poursuivre le héron pique-boeuf et même de semer le grain.

Assise au bord du champ, elle aimait regarder les deux quadrupèdes mariés par le licou, un vieux couple  symétrique, lui, le maigrichon tout gris, têtu, grognon, piétinant en avant à petit pas impatients et l’autre, le gros placide, qui semblait mesurer chaque enjambée.

C’est toujours le boeuf qui fait le gros du travail mais s’il n’y avait pas l’âne pour le guider comme un chien d’aveugle le boeuf préférerait de beaucoup s’arrêter là et ruminer un bon moment sur sa condition de boeuf.

Derrière les mariés en ballade la charrue rebondissait de bosse en creux, zigzaguait de pierre à souche et manquait de verser aux trois pas. Le Hadj trébuchait, rebondissait, échappait les manches, s’y raccrochait comme à d’espiègles bouées qui se défilaient tout le temps un peu plus loin.

Et elle regardait son père qui regardait sa fille.  

Et elle regardait l’âne qui regardait le bout du champ.  

Et elle regardait, sur le cul du boeuf, le héron pique-boeuf picorant le cul du boeuf.  

Assise au bord du champ, elle dégustait le temps.

 

Chapitre 3

Le coffret magique

Habiba n’avait pas de poupée ni d’ours en peluche. Si cela avait existé, mais non… ça n’existait pas, tout simplement. Il y avait bien des filles du village qui savaient fabriquer leur propre poupée avec deux bouts de roseau ficelés en croix et habillés de bandelettes de tissu mais ici on aurait fait les gros yeux si on avait surpris quelqu’un à vouloir réinventer l’image d’une créature de Dieu.

Bien sûr il y avait les poules, les chèvres, le chien jaune et même, le soir venu, le papa Hadj mais ce sont tous des jouets qui pensent, qui parlent et ne laissent pas grand place à la  rêverie.

Elle avait donc son jardin secret, les petits trésors qu’elle transportait partout dans un coffret de cèdre fait comme une boîte à cigares avec des incrustations de nacre sur le dessus, deux charnières branlantes et une minuscule serrure dont elle avait la clé. La boîte avait été achetée quelque part sur le chemin de Djedda à un marchand égyptien par le grand-père El Katib lors du saint voyage.

C’était un coffret magique qui éloignait les mauvais esprits et un certain nombre d’autres choses indésirables. C’est ce qu’avait dit le marchand et on n’avait aucune raison de douter de sa parole ni des vertus de l’objet.

Les petits trésors ? Un caillou magique, un collier d’ambre jaune, deux pièces d’argent noirci, un verre colorié avec Cendrillon dans un bouquet de petites fleurs oranges, une bille en agate, une photo pliée en quatre (le grand-père, méconnaissable, tache blanche au milieu d’une centaine de taches blanches, les pèlerins sur le pont du bateau) et puis un minuscule miroir encadré de cuir rouge dont l’argenture était striée de petites rivières oxydées.

Les pièces en argent, le grand-père les avait achetées à la Mecque. Comme le caillou noir. Un joli caillou, c’est vrai, mais certainement pas de l’onyx et encore moins un fragment de la sainte Kaaba. Plus probablement un éclat de granit avec – quand elle le prenait dans ses mains elle en soulignait toujours la ligne blanche de son ongle  – une fine veine de quartz, fine comme un cheveu, en plein milieu, comme une rivière dans la nuit.

Le grand-père n’avait pas vraiment cru le marchand qui lui avait cédé le talisman sacré et prétendu qu’il s’agissait d’un petit bout sacré de la météorite sacrée enchâssée dans la Kaaba sacrée. Il se doutait bien que la Kaaba eût été grugée, émiettée, effacée de la surface du globe si chaque pèlerin en avait emporté un petit bout en souvenir. Mais voilà, on ne sait jamais…  

C’est vrai que les vendeurs de bibelots et d’amulettes bradent plus de miettes et d’éclats de pierre noire que toutes les météorites de la galaxie n’en sèmeront en mille ans sur tout le désert du Hedjaz mais pourquoi les accabler : les marchands du temple il y a deux mille ans, les papes depuis lors et nos ministres d’aujourd’hui en ont bien plus sur la conscience.

C’est la même race d’aigrefins et de colporteurs de bobards. Le grand-père donc voulait croire que cette pierre quasi cosmique, foulée aux pieds par des pèlerins purifiés, des  presque saints, avait assurément la même valeur sacrée que le lieu où on l’avait recueillie et, en fin de compte, que l’épreuve même du voyage, l’abnégation, la ferveur, les souffrances, lui avaient sûrement attribué les vertus dont elle se réclamait par marchand interposé. Comme il disait, c’était pour lui et cela resterait le plus précieux vrai souvenir de la Kaaba, un point, c’est tout.

Quant à la magie du coffret, ça c’était indiscutable. Il suffisait que Habiba le pose sur ses genoux, où qu’elle soit, accroupie au fond de la khaïma, réfugiée dans la noualla de grand-mère Amina ou assise sous l’arbre aux papillons, et la magie fonctionnait aussitôt.

Le bruit, le soleil, la noirceur, la tristesse, la fatigue, tout s’effaçait et Habiba était transportée dans un monde autre, mi-jasmin mi-lilas, mi-nuage mi-rosée, un monde où l’air était musique, un monde où tout le monde aurait souri s’il y avait eu du monde dans ce monde-là.

Elle ouvrait alors le coffret enchanté et en sortait le talisman, le fragment d’onyx noir veiné de blanc puis le miroir au cadre rouge, puis un frère et deux petites soeurs, un chien blanc tout frisé, des flacons d’odeur de rose et de fleur d’oranger, un grand-père aux yeux moqueurs et une boîte de  mémoire pleine d’histoires de voyage.

Ensuite, selon la qualité de ses invités, elle extirpait les deux pièces en argent noirci, le verre colorié avec Cendrillon dessus et, parfois, le précieux spinulus eugaster  soigneusement emballé dans une petite pièce de soie, une momie de sauterelle noire et blanche avec un gros ventre, transformée en sifflet pour communiquer avec les djinns.

Pour ceux qui l’ignorent, les djinns (ces jolis anges habillés de blanc et d’or dont on ne voit que les yeux d’un bleu profond quand ils sont de bonne humeur) les djinns, donc, sont les intermédiaires incontournables entre les petites filles et leurs rêves. C’est pour cela que toutes les petites filles devraient avoir un sifflet-spinulus dans leur coffret magique.

Un jour, elle avait presque huit ans, Habiba avait posé le coffret au pied du mimosa et s’était suspendue à une de ses branches, la tête en bas. Sa robe avait glissé le long de son corps pour se replier sur les épaules jusqu’à lui cacher tout le paysage sauf une petite plage de sol encadrée d’un bord de jupe un peu boueux.

Le monde à l’envers s’était alors réduit à une planète ronde, plate comme une assiette, dont elle aurait pu faire le tour avec ses bras. La planète bougeait, se balançait en rythme avec le bord de la robe-entonnoir. Ses cheveux s’étaient défaits et tombaient sur son visage, diminuant d’autant la dimension de l’univers qu’elle contemplait du haut de son ciel.  

Alors elle ferma les yeux et son monde à l’envers se mit à vivre : les arbres rapetissaient pour disparaître dans la mousse, les montagnes fondaient comme des petites mottes de beurre au soleil, les colombes dorées nageaient au gré des vents, la tête en bas, les pattes raides et les ailes repliées, la rivière devenait pluie pour se métamorphoser en un nuage couleur d’ange mais le plus drôle c’était les chèvres qui semblaient flotter un peu partout, pattes en l’air, dessinant des arabesques dans le ciel comme les araignées patineuses de la mare d’en bas.

Et elles riaient, elles riaient, les chèvres… jusqu’à ce que Habiba tombe du perchoir et que son monde se remette à l’endroit.

Elle comprit vite que l’incendie dans ses yeux fermés, le voile rouge à l’horizon de son monde à l’envers était un avertissement du djinn des arbres. Il fallait vite ouvrir les yeux et redescendre pour éviter le grand coup sur la tête.

On pouvait regarder à l’envers, du haut du perchoir, fermer les yeux et alors tout devenait possible : le jour se changeait en nuit, le grand-père El Katib remontait le chemin dans sa gandoura blanche, une main pour protéger ses yeux du soleil et sa houlette de berger dans l’autre, puis le cortège de jeunes filles habillées de blanc, de rose et d’or avec des fleurs dans  les cheveux, la musique du luth, l’odeur du pain chaud, les chatouilles d’Amina, les cigales qui stridulent… tout et n’importe quoi. Il fallait juste éviter de tomber sur la tête comme l’autre fois. C’était ça le secret.

A force d’histoires, de magie et de temps passé, la petite Habiba grandissait et se transformait doucement en une jeune fille dégourdie qui savait tout des chemins du soleil et de ceux des oiseaux, du goût des nèfles blettes et des figues noires, des caprices des chèvres et de la bêtise du bouc, un vieux mâle à la barbe arrogante avec une boussole entre les jambes, un rustre que l’on reléguait seul dans son enclos dès que ses glandes avaient cessé d’alimenter son goût pour les cabrioles.

Elle savait aussi que la nuit sert à faire ce qu’on ne peut pas faire le jour, que les chiens sont dressés à aboyer quand un garçon s’approche et qu’elle était devenue femme un matin  qu’elle avait cru s’être blessée, là, au dessus des genoux.

Lalla Zouina lui avait alors offert la main-de-fatma qu’elle portait en sautoir depuis qu’elle aussi avait saigné la première fois. Elle lui avait dit qu’elle pouvait se fier à la protection de ce talisman plus qu’en toute autre chose car Dieu lui-même, dans sa grande sagesse, n’a pas toujours le temps de s’occuper du bonheur des femmes.

Habiba s’habillait maintenant comme une vraie dame, un carré sur la tête, un empilage de robes et de pièces de tissus amples qui tombaient à grands plis et dont les couleurs vives moiraient à la vague de son pas. Un petit pas élastique qui retroussait le bas des jupes sur ses chevilles.

On lui avait tatoué une petite croix sur le front, une sorte de fibule juste entre les sourcils, quatre petits points sur les ailes du nez et un motif en arête de poisson sur la fossette du menton, un beau travail qui intégrait adroitement cette légère malformation de la lèvre supérieure que l’on appelle le becde-lièvre.

 Les jours de fête Habiba pouvait porter le collier d’ambre jaune et l’autre, celui fait de corail et de coquillages, emprunter les bracelets de grand-mère Amina et se décorer mains et pieds d’enluminures compliquées au henné… 

Comme toutes les femmes, Habiba savait aussi comment les femmes font les enfants. A quatorze ans la jeune Habiba était certainement devenue une des plus belles créatures des environs.

Tout était bien, le temps avait le temps, et il n’y avait rien pour changer cela.

C’est en tout cas ce que Le Hadj croyait.

 Vous en avez de la lecture, maintenant....Alors à vos lunettes et à bientôt.
Votre toujours MICHEL

 

   

 

 

 

   
Publicité
19 février 2012

HABIBA 1° CHAPITRE

Bonjour les Marrakchamis, il ne s'est passé que 10 jours depuis le dernier article, une PERFORMANCE....

Mais je dois l'avouer, c'est grâce à notre nouvel ami, casablancais, le "bedaoui", Jean Frédéric KLEIN qui a tenu sa promesse et m'a fait parvenir une exemplaire PDF de son ouvrage

                                    "HABI, pluie de larmes sur pierre de lune".

HABICOUVERTURE

Il nous l'offre... et comme vous le savez, je vous demande souvent de m'aider à animer NOTRE BLOG. Alors j'ai accepté. Beaucoup d'entre vous le font régulièrement, d'autres occasionnellement et certain qu'une seule fois. Soit qu'ils n'aient pas grand chose à envoyer (Photos perdues lors de déménagements, souvenirs égarés dans le dédale du quotidien, manque de confiance en soi qui les paralyse, pensant que nous les jugerons quant à la perfection de leurs écrits)

Cette fois nous nous voyons offrir un ouvrage entier dont je vous livre ici les 17 premières pages.

Aucune personne réelle ne fait partie de cette histoire.

Les noms, les lieux, les personnages sont tous imaginaires.

L’auteur, le pays même, n’ont probablement jamais existé.

à Michelle

savoir d’où l’on vient, savoir où l’on va, pourquoi on vit et pour qui son coeur bat. (chanson - t. themlin)

habi01

 

 

 

i quelqu’un te vole ta chèvre, tu lui pardonneras un jour, si quelqu’un te vole ton pays, tu ne l’oublieras jamais - Homère (-780 av.JC.)

 

 

 

                                                                  Avertissement

Quels que soient l’âge, la culture ou la langue des personnages de ce roman, il m’a semblé qu’ils avaient le droit de s’exprimer avec le mot juste, même s’il leur fallait pour cela feuilleter un vieux Littré, un lexique d’arabe dialectal ou inventer un vocabulaire qui n’existât pas déjà.

Et si, par hasard, notre héroïne usait d’un plus-que-parfait du subjonctif c’est probablement parce qu’elle l’aurait utilisé si elle avait su que cela existait.

jfk

 Petit lexique

balek-balek : le cri du charretier avant de vous balancer dans le fossé.

boulahia : le barbu ; dans cette histoire les barbus sont sympas.

chebakia : délicieux péché au miel et graines de sésame.

chiba : absinthe ; on en ajoute un brin dans le thé à la menthe pour en fortifier les vertus.

dïb : chacal ; ici, faux-jeton au comportement dégueulasse.

dieu : personnage mythique qui distribue la paix, l’amour et la prospérité sur la moitié du monde, l’horreur et le bordel sur le reste.

djinn : génie, farfadet ; il y en a de bons et de mauvais, comme partout.

halal : c’est trop compliqué, demandez à votre boucher.

istiqlal : liberté ; ne pas confondre avec démocratie.

khaïma : tente ; c’est la maison familiale des gens d’en haut.

kelb : chien ; dans cette histoire, à peine mieux que chacal.

kissaria : ligne de boutiques, l’ancêtre du centre commercial.

mektoub : ce qui est écrit, le Destin : la seule chose philosophiquement sensée qui sous-tende cet ouvrage.

noualla : hutte ; mini maison, débarras, bergerie, ça dépend.

roumi : romain, le chrétien, le blanc, l’impur, l’autre, ça dépend.

sphinge : beignet frit ; à manger brûlant, mmm, très, très bon !

hugo : l’auteur aurait plagié sans vergogne un certain Victor.

 

 

Un soir presque comme les autres

Le rideau se lève sur l’intérieur de la tente, la khaïma.

Au sol, des nattes de raphia sur fond de terre battue. Sur la droite, une demi-douzaine de tapis berbères aux couleurs

passées se chevauchent ; quelques coussins, une table basse, ronde, faite d’un bois couleur miel marqué par l’âge, les taches, des brûlures. Une théière noircie et un verre vide. De l’autre côté une grosse caisse, une malle plutôt, avec un couvercle arrondi, des renforts et de gros rivets de métal. Près de l’entrée, deux jarres en terre cuite emballées dans des chiffons humides.

Un chien dort à côté du brasero.

La seule lumière vient du rougeoiement de la braise. Une femme, au fond, à peine visible dans l’obscurité. Le père est assis en tailleur près de la table basse. Il sirote un thé brûlant avec un bruit de goûteur de cru.

Habiba, douze ou treize ans, lui fait face.

Elle gesticule, véhémente, au bord de l’hystérie…

— Je n’épouserai pas le Dïb, jamais !…

— Habiba, tu feras ce qui a été décidé.

— Je préfère mourir… je m’en irai… je… vous n’avez pas le droit…

— Habiba, tu feras ce que qu’on te dira…

Un mur d’incompréhension, le désespoir :

— Mais c’est impossible, Fils-de-Roumi va me marier, il m’a dit, c’est sûr… il faut… Mais vous ne comprenez rien ?

Le Hadj, tourné à demi, éberlué, contemple Habiba-bijou, sa fille bien aimée…

— Le fils du Roumi ?!

Elle hoche la tête les yeux baissés, elle espère encore.

Le Hadj n’en revient pas : 

— Le fils du Roumi !!

Il s’est levé.

Un geste ample, le han  du bûcheron, un coup à assommer un boeuf. Le cabot jaune, dérangé par la fillette qui s’effondre, fuit hors de la tente en glapissant. Le Hadj se retourne, ouvre la petite boîte de métal brillant, pêche une pincée de feuilles séchées hachées menu, saisit la pipe à kif et en bourre méticuleusement le minuscule fourneau. Se penche sur le brasero, ramasse un tison, allume la pipe et en tire une longue bouffée, longue comme un soupir, longue comme une délivrance.

 D’un petit coup sec sur le bord de la table il éjecte la boulette de braise, gratte le fond du fourneau, range la pipe et referme la petite boîte chromée. 

— C’est le temps de dormir, ma femme. 

Et la nuit commence vraiment, comme toutes les autres nuits.

 L’histoire de Habiba commence presque un siècle plus tôt, et cinquante trois jours et cinquante trois nuits plus bas, plus au sud, au bout d’un pays où la terre est rouge, où le sable voyage fin comme de la farine, un tapis de sable qui roule, ondule et envahit la plaine et asphyxie les arbres et enterre les ruisseaux et engloutit la vie. Un pays de soleil dru et de vent chaud où l’homme est courageux, où la femme pleure et se tait, un pays de roc rude où la mort rôde comme le chacal autour des chèvres, un pays d’où disparaissent les villages sous un linceul ocre que le chergui étend toujours plus avant.

Le grand-père de Habiba s’appelait encore Bou Jemaa dans la mémoire de sa mère, probablement parce qu’il était né un vendredi, mais personne, aussi loin qu’on s’en souvienne, n’avait utilisé ce nom-là. En fait, on l’avait rebaptisé El Katib, l’écrivain, lors qu’il était tout petit, parce qu’il passait son temps à dessiner toutes sortes de hiéroglyphes sibyllins sur le sable. On lui avait reconnu de facto un savoir quasi occulte, une connaissance des mystères de l’écriture dont lui-même ne connaîtrait jamais le bout du labyrinthe.

El Katib qui-savait-écrire-des-choses était devenu avec le temps un jeune homme sage et serein, à l’écoute de son Dieu et de sa conscience, un beau barbu aux yeux verts qui n’avait jamais tiré avantage de son nom respectable. Il s’était plutôt consacré à ses chèvres, et cela lune après lune, jusqu’à ce que l’importance de son troupeau lui permît de gagner le coeur et la main de la belle Amina descendue de la montagne des Aït  Addidou pour se choisir un fiancé.

A peine installée sur le plateau des terres de sable rouge  la toute jeune femme, n’attendant même pas le printemps des mises bas, exhiba fièrement une grossesse prometteuse suivie très vite de la venue de la fierté des fiertés, la bénédiction suprême, Petit-Homme, comme on l’appela immédiatement car il ne pouvait y avoir de fils d’homme plus homme qu’un petit d’homme qu’on appellerait Petit-Homme, foi de El Katib.

Alors El Katib consulta les chèvres, les arganiers, les rochers ocres, les nuages et le vent et parvint à la conclusion que la terre de ses ancêtres ne serait pas celle de sa progéniture.  

Du haut du plateau, comme du haut des montagnes alentour, on avait certes la tête plus près du ciel mais les pieds bien loin de l’herbe. La vue portait sur une immensité rose dorée, un champ de pierre hostile, un chaos de roches stériles à perte de vue, une terre où ne poussaient que des chicots, des buissons d’épines et des scorpions, une terre revêche, impitoyable, qu’il avait  parcourue mille fois pour que les chèvres puissent en débusquer ici un brin d’herbe et là une goutte de rosée.  

C’est ainsi que la belle Amina apprit un soir qu’on partait demain matin, nord nord-ouest, avec Petit-Homme, les deux mules, le troupeau, les tapis, la grosse malle, le brasero et tous ces petits riens qui meublent le quotidien d’une famille de nomades berbères.  

Le jour était à peine installé quand la caravane s’ébranla, un cortège insolite de formes et de cris, de hennissements et de faux-pas, d’hésitations, de zigzags, de sifflets, de pleurs et d’aboiements.  

Amina menait la procession, un énorme ballot sur la tête, un tapis sous le bras et Petit-Homme sur le dos, un petit d’homme qui – le regard fataliste et deux plis sur le front – tressautait à chaque pas, la tête brinquebalant comme un métronome détraqué. De sa main libre la mère remorquait la mule la plus robuste que l’on avait chargée de tout le barda, un édifice hétéroclite de tapis, de couvertures, de paniers et de ballots multicolores, de guirlandes d’outils, de casseroles et d’ustensiles en breloque.  

Le licou de la seconde mule, une vieille rosse sans humeurs, était attaché à la queue de la première. On avait fixé la grosse malle sur son dos, par dessus le chouari, cette sorte de gros bissac dont une des poches contenait une jarre en terre cuite tandis que de l’autre dépassait la tête d’un chevreau de la veille qui bêlait au secours.

Sur le haut de la malle, trois poules rouges, le bec béant, attachées par les pattes, branlaient de la crête en cadence. Suivaient les chèvres qui, malgré la gravité de l’événement, folâtraient en une masse capricieuse, indisciplinée, et le chien jaune qui devait donner de la voix pour regrouper ses ouailles.

El Katib, tel un roi mage, fermait la marche, une chèvre pleine sur les épaules, la houlette dans une main et le chapelet dans l’autre. On laissait derrière, sans se retourner, les vents du désert, les collines arides, les sources exsangues et l’on chenillait à hue et à dia, sans un mot, encore plus loin, toujours plus au Nord ‑ en tirant un peu à gauche ‑ vers une nouvelle oasis, une vie meilleure, tout ça, quoi !

Des jours qui suivirent il n’y a pas grand chose à rapporter. La routine s’était installée. On marchait, on trottait, on escaladait, on glissait, on grignotait, on bêlait. Des milliers et des milliers de pas avaient suivi les mêmes sentiers depuis collines, près des points d’eau, au travers des plaines. De touffe d’herbe en touffe d’herbe.

Nulle boussole, point de sextant mais, étrangement, il y avait toujours un peu d’ombre quand le soleil était au plus haut, un peu d’eau quand on avait soif et la fatigue ne se faisait vraiment sentir qu’une fois l’heure du bivouac venue.

Il faisait encore jour mais on sentait, on savait que la fin de cette étape était au détour du chemin. El Katib allait lever la main, prononcer le Hô-hôo tant attendu, les mules seraient vite soulagées de leur charge, les chèvres pourraient musarder aux alentours et le chien s’affaler dans un coin, la langue étalée près

du museau. On rendrait aux mères leurs cabris non sevrés, on donnerait du foin aux mules, on ramasserait quelques fagots, on attiserait le feu, on déroulerait les tapis et les couvertures…

Bien vite le crépitement de la braise ravivée, l’arôme de la galette chaude, les vapeurs de thé à la menthe enveloppèrent tout le campement.

Accroupie auprès du feu, le petit endormi sur le dos, Amina pilait, remuait, malaxait, comme elle le faisait chaque jour, avant, au pays des terres rouges.

 

À quelques pas de là El Katib avait déroulé son tapis de prière et, tourné vers le pays abandonné, rendait grâce au Tout-Puissant car la prière, on le sait, efface le doute dans le coeur de l’homme pieux.

 Comme c’est l’usage dans les montagnes la nuit tombe tout d’un coup et tout est fini. Alors il ne reste que l’oeil du feu au centre d’une masse compacte de gisants, homme, femme, paquets, couvertures et animaux mêlés, endormis, anéantis par la fatigue, qui écrasé par l’appréhension du lendemain, qui transporté dans une sorte de paradis avec des fleurs et des fruits partout, des enfants qui rient, des animaux gras et des ruisseaux débordant d’une eau cristalline… Et plus rien, plus un bruit, à peine un tressaillement, un soupir, parfois le discret ébrouement de l’une des mules qui veille sur le campement du haut de la crête.

 Le lendemain matin on était prêt à reprendre la route avant que le jour ne se lève. Les mules encore entravées, rechargées, ficelées, piaffaient d’impatience ; les chèvres, effrayées par la nuit qui traînait encore au sol, se pressaient ventre à ventre en un groupe compact de chialeuses ; le chien trimballait sa mélancolie ça et là tandis qu’on avalait une gorgée de thé brûlant, une tasse de lait caillé, un reste de galette. Puis c’était le signal. On se cherchait, on se bousculait. El Katib ordonnait, le cabot faisait suivre, on piétinait pour entrer dans le rang, le brouillon se transformait en une rangée d’écoliers sages et c’était reparti pour des heures, le nez au vent et le dos au soleil qui émergeait à peine dans une explosion de poussière enflammée.

Le pèlerinage avait duré des semaines. On avait traversé des déserts et marché sur l’eau, on avait croisé des figuiers stériles et partagé les dattes et le lait au hasard des rencontres.  

Une dizaine de chèvres avaient mis bas et les petits, chacun leur tour, effectuaient une partie du voyage dans les paniers de la mule. Les poules, incommodées par toute cette agitation, avaient cessé de pondre et l’une d’elles, farcie d’une poignée d’olives et d’un citron avait amélioré l’ordinaire le soir où El Katib s’était senti envahi par une bouffée de tendresse.  

Un jour enfin il sembla que l’on eût atteint l’autre côté de la montagne. L’air était plus vif à l’aube et plus doux à midi, la brise transportait des parfums nouveaux, des alouettes couraient en avant du troupeau et la brume qui s’élevait le soir semait des perles de diamant sur les feuilles des jujubiers. Le sang circulait plus vite, les yeux fouillaient la distance, les chèvres se conduisaient en pucelles excitées. Quelque chose était en train de changer.

Par une fin d’après-midi particulièrement riche d’herbe grasse et de parfums, guidé depuis la veille par les têtes d’eucalyptus qui avaient jailli de l’horizon, El Katib stoppa la caravane sur le plateau que les arbres encerclaient et se retourna lentement vers la belle Amina, la caravane, les chèvres, Dieu et le chemin parcouru :

 

— C’est ici, dit-il.

 

C’est tout. Comme s’il y avait eu une adresse inscrite quelque part, comme si on lui avait décrit l’endroit dans une autre vie : à main gauche la source ; dans le fond de la saignée, comme une cicatrice de vie entre les deux massifs de roches rouillées striées de bleu, le ruisseau qui serpente ; des touffes d’herbe drue partout, des cistes, des mimosas et du bois mort en quantité. Ici, des palmiers nains pour faire des cordes et des nattes ; là-bas, les nopals qui feront une clôture et fourniront des palettes pour  nourrir une vache et des figues de barbarie pour se désaltérer.

 — C’est ici, ma femme ! Notre nouveau pays, c’est ici ! M’entends-tu ? Regarde !

Et le druide fendait l’air de sa houlette, montrait l’horizon, les nuages, la colline là-bas, le ruisseau…

Elle qui ne voyait rien d’autre que le bout de ses pieds depuis des semaines, toujours coiffée de son baluchon, Petit-Homme sur les reins, la mule au bout du bras, le tapis sous l’autre, répondit…

N’haam

Un seul mot, à peine un soupir.

 Dans sa langue à elle, ce jour-là, ce oui avait une signification bien particulière. C’était l’expression de cent non-dits, de mille récriminations silencieuses, d’une montagne de douleurs ravalées, de désespoirs infinis.

 oh oui, je t’entends mon mari, oui mon mari je m’arrête, oui mon mari je regarde ! Mais mon mari pardon, j’ai les pieds en sang, ma nuque est brisée, mon dos est douloureux. J’ai des mouches rouges dans les yeux et je veux mourir s’il faut encore marcher…

N’haam

Un seul mot, une grande plainte muette.

 Mais c’était dit, le voyage était terminé ! El Katib avait vraiment décidé qu’on pouvait déposer les ballots, redresser le dos meurtri, rapailler d’un coup de rein le petit tout démantibulé, grouper quelques pierres, ramasser un peu de bois, allumer le feu pour le thé, traire les chèvres, allaiter Petit-Homme, étaler les couvertures et inviter El Katib à s’étendre pour la nuit, lui qui, pendant ce temps, assis sur la tête de rocher à quelques pas, scrutait l’obscurité naissante pour dessiner les limites de son fief, compter son troupeau, bâtir une vraie maison, acheter une vache, boire le thé avec le caïd et, un de ces jours, lui présenter son fils.

 Il faudrait presque une journée de mule pour faire le tour de la terre que Dieu avait choisie pour lui, pour ses enfants et pour les enfants de ses enfants, pour toute la durée de leur passage sur la terre des hommes.

Il s’allongea enfin sur les nattes.

 — Amina, ma douce femme, est-ce que tout va bien ?

 — El Katib, mon bon mari, tout va bien mais la journée a été longue, Petit-Homme s’est endormi, mon corps est brisé.

 Alors reste tranquille. L’homme, mettant cette absence d’enthousiasme sur le compte du manque de vision et des préoccupations plutôt terre à terre des femmes se retourna sur sa couche, ferma les yeux et reprit l’esquisse où il l’avait laissée : monter un enclos de pierres pour le bétail, creuser un puits près de la maison puis ajouter une chambre pour accueillir au moins une fille et deux autres garçons…

                                                                  - = O = -

Avez vous pris du plaisir à la lecture des premières pages? Il en reste encore beaucoup.... Dois je continuer? M'arrêter?

Non je pense que chacun voudra continuer la lecture de cet ouvrage. Alors je vous donne rendez vous à la semaine prochaine.....

Je voulais aussi vous dire que Canalblog me donne la possibilité de mettre des vidéos dans le Blog. Il faut seulement qu'elles soient enregistrées dans Dailymotion. Si vous avez quelques films vidéo pris au cours de vos vacances marocaines, dites le moi je vous expliquerais comment faire... Cela ne pourras qu'améliorer le contenu du Blog....

A bientôt, Votre toujours MICHEL

 

 

 

 

 

 

 

 

9 février 2012

Du Tichka à Casa en passant par...

BONJOUR LES MARRAKCHAMIS...La température extérieure ne favorisant pas les trop longues sorties, je me suis dit que ce serait le bon moment pour revenir un peu vers notre soleil commun. Le Blog.
Nous ne sommes pas plus à plaindre que beaucoup d'entre vous, les températures matinales avoisinent les moins 16°, celles de l'après midi (actuellement, à 15h00) -4°. Les promenades canines sont quand même possibles car nous avons un grand ciel bleu illuminé par un soleil froid brillant mais qui  donne une "impression" de chaleur et permet les sorties.
Voici deux photos de celle d'hier  après midi.
 
SAM_0114 
En forêt, avec du soleil
 SAM_0117
La Sarre vu de très haut, elle est maintenant complètement gelée.
 
Le titre:  Du Tichka à Casa en passant par... Pourquoi? Vous le découvrirez si vous avez le courage de le lire jusqu'au bout... Mais je sais que vous le ferez....
 
Donc, à la suite du retour de Dona de Marrakech, sa photo du Col a généré un réveil spontané de souvenir chez les uns et les autres avec des photos.
 
Une photo de mes parents et moi en 1949 environ
nous31
Que nous dit BERNARD?
 
En passant le col du Tichka vous vous souvenez certainement de ces grands pylônes métalliques du téléphérique qui descendait dans la vallée le minerai de manganèse. L'entretien de l'ouvrage se faisait à pied et en toutes saisons ...
pylone telepherique1
 

La photo prise par mon père était dans son bureau, elle se trouve à présent dans le mien. Si mes souvenirs sont bons, il s'agit de l'un des plus hauts pylônes, tout en bas on voit la station de Talatast.
Bien après la fin de l'exploitation le téléphérique a été complètement démonté. (C'est pourquoi DONA lors de son passage au col n'a plus rien vu de tout cela).
 
 
Je continue à progresser dans le titre de cet article en parlant des Carmouss
Et Bernard ne s'arrête pas là, puisque en réponse à une photo de Dona, que je ne vous avez pas montré en janvier il avait  enchaîné avec cette  réponse.
Mais d'abord la photo en question..Les feuilles de figuiers servent de murs où les jeunes peuvent venir graver leurs messages..
 
figuierDona
 
 
Et la réponse de Bernard:
Est ce que cette photo vous "parle" ?
 
carmouss
 
dans la "carrossa" il y a même "le petit balai en doum" pour asperger d'eau les fruits ... Il m'arrive d'acheter ici des figues de barbarie mais elles ont un goût de  trop peu car elles valent la peau des fesses ... j'ai aussi acheté un cactus/figuier, il est devenu énorme  mais il ne fait pas pas de fruits ... Pour en manger de véritables il nous faudra absolument aller au souk à Oualidia !!!!!!!!!!!!
 
 
 
C'est ensuite notre amie Marie-France qui ajoute un commentaire.
Les carmouss ?  c'était ainsi qu'ils les nommaient non ?
Un jour j'en ai acheté .... mais  quand je me suis retrouvée seule devant  mes figues de Barbarie ....  j'ai eu un pincement au coeur.  Il manquait tout l'environnement....  Les bruits , la chaleur  , les passants ...  je voyais des babouches circuler autour de moi , la main  du petit marchand fendant la peau  gorgée d'eau du fruit  et l'écartant en me le tendant avec un sourire...  l'odeur   , les  grains  noyés dans une gelée verte orangée et jaune ... Image de safran .. et près de moi ... aaaah près de moi!  mon JPierre  crachant chaque pépin car incapable de les avaler ...UN GRAND moment de solitude ! 

Je pense que cet épisode va secouer vos neurones (Je suis certain que Jean Marc va s'en donner à coeur joie) et que les commentaires seront nombreux sur la Figue de Barbarie et tout ce qu'elle a entrainé....A vos plumes....
 
Continuons notre ballade dans le titre de l'article. Mami Imini.
Ce Blog, Notre Blog, a encore fait se renouer des relations que nous pensions improbables. J'ai reçu il y a quelques semaines un courriel d'un jeune marocain qui me disait ceci.
 
Voici son message :   Demande d'informations
Permettez-moi d'abord de vous remercier pour vos efforts qui visent à renouveler les anciennes relations avec vos amis . Je suis Jawad Bahra, 24 ans, du Maroc exactement d'un village s'appelle SAKA (Guercif).
guercif
 
Je trouve sur ton blog une femme qui raconte ses souvenirs à Saka . Elle a ajouté une photo avec une petite gazelle . Je voudrais savoir si elle est encoure vivante et savoir aussi si elle a d' autres informations sur ce village ( photo, article, video, ......etc) Je serais très content de recevoir votre réponse.
Comme je le fais d'habitude, j'ai transmis ce message à Mami PAULETTE, ancienne d'Imini.
Très rapidement j'ai reçu ceci.

Cher MICHEL DUPRE,
J'ai bien reçu votre réponse rapide concernant ma demande d' informations , pour cela permettez-moi de vous remercier infiniment du fond du mon coeur pour vos efforts.
Franchement, je ne peux pas vous exprimer combien j'étais heureux quand j'ai reçu votre message sur mon e-mail.  Aaaah comme Je me suis réjoui quand j'ai entendu que Madame Paulette était encoure vivante.
Je serais très content de recevoir toutes les nouvelles concernant ma chère Grand-Mère Paulette ( je vous jure que J'ai une envie de pleurer et je sais pas pourquoi )
****Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux.*** Victor Hugo
J'espère que nous aurons l'occasion de nous reparler bientôt , j'ai gardé l'E-mail de ma chère Paulette chez moi
merci mille fois pour ton aide .....Une fin qui n' intéresse que moi....
jawad bahra

 

Entre temps Mami Paulette à répondu par courriel à Jawad :

Un petit coucou Michel pour vous transmettre la réponse du jeune Marocain  suite à mon courrier d’hier. Je n’avais pas de photos mais je lui ai raconté un peu la vie en 45. Pas d’électricité, pas de magasin, pas de voiture, enfin rien.  Guercif environ 70km et la piste. On était heureux malgré tout.  C’était le poste militaire à la frontière du Maroc Espagnol. 1  officier,  4. Sous Off  et en arrivant à Saka, 2 douaniers et 1 Off.des Affaires Indigènes.
Un peu de ma vie là-bas que je n’oublie pas.
A quand le plaisir de vous lire dans le blog? bientôt j’espère  Amitiés  Paulette 
                             421
puis m'a transmis ce que ce sympathique jeune homme lui avait répondu.
 
Aaaah ma chère Paulette, comme j'étais heureux de recevoir votre réponse . Permettez-moi de vous appeler " ma grand-mère " . Désolé, je ne sais rien à dire , franchement, je n'arrive pas à exprimer ma joie , en bref , je serais très content de vous recevoir ( s'il est possible) à votre SAKA , je demande de mon dieu de vous protéger et de prolonger votre vie. N'arrétez pas, ma chère, de m'envoyer de vos nouvelles.
 
Puis elle a repris contact avec moi et m'a raconté ceci.
 
Coucou Michel, je viens de trouver un diapo de MRK.  Que de souvenirs.  1946 est bien loin et maintenant j’ai 90 ans depuis peu.  Je ne pourrai plus y retourner mais voilà...avec l’ordi je voyage un peu et je suis les blogs tout les jours. Je vais essuyer qqs petites larmes et revoir le pps  et faire un petit retour de 71 ans en arrière.....
Je vous embrasse Mamie Paulette ou Mamie Imini
 
Re coucou.   Arrivée en 41 à Sefrou   puis Aînleuh  Aknoul Saka et en 46  MRK pour rejoindre  la mine D’imini..
Une nuit, trajet en camion avec mon mari et mon fils qui avait 1 mois. J’aurais bien voulu faire demi tour. 1 an sans revoir MRK. Qqs jours de vacances et la veille de repartir installée à la terrasse du café du Commerce où jouait l’orchestre à cette époque.  Quand il a commencé à jouer,  j’ai pleuré pleuré ...Le lendemain il fallait remonter  et à la mine....rien à cette époque là.
Grand changement avec les goums même au bled. 1 an après de nouveaux arrivants qui me reconnaissent, ils étaient à la terrasse du café où j’ai tant pleuré.
En 49 j’ai perdu ma fille  de 4 mois, née à MRK ensuite mon mari.   Restée à Imini  je me suis remariée et nous avons eu un fils qui aura 57 ans cette année. Revenus en France fin 56 car mon fils ainé y était à l’école.
Voilà Michel mon parcours au Maroc  Bisous   Paulette
 
Merci donc à vous deux, la grand mère d'Imini et Jawad de Saka de nous avoir fait vivre ces instants de bonheur.
 
Comme je le dis souvent, si ce blog n'avait eu que cette fonction, de faire se trouver ou se retrouver des gens qui sans lui ne se seraient pas retrouvés, j'en serais heureux pour le reste de mes jours. C'est aussi un peu pour cela que je n'arrive pas à me résoudre à le fermer....
 
Car pour finir de détailler le titre, je vais faire faire un crochet par Casablanca. Vous savez cette ville qui était au bout de la plaine de Benguérir. Ville où j'ai passé ma dernière année  de scolarité puisqu'au Collège Technique de MRK on ne pouvait aller que jusqu'à la première partie du Bac. Il m'a donc fallu m'expatrier de ma chère belle ville rouge pour étudier dans CASA la Blanche.
J'avais tant d'amis à MRK que j'étais au début un peu triste de les quitter. Puis de jours en jours et de semaines en semaines j'ai reconstituer un réseau d'amies et amis (mais plûtot d'amies.. Katy, France, Dominique) et la vie estudiantine s'est transformé en une année de vacances.
Katy me faisait profiter des WE à Oualidia où ses parents allaient souvent chez les deux frères Jojo et Dédé.
France me retrouvait quelques fois et nous allions manger des glaces chez Oliveri avant que je la raccompagne au Foyer pour Jeunes Filles où elle habitait et enfin Dominique, dont la maman était prof de ???? au lycée ??? et que j'ai retrouvé il y a quelques mois. Elle travaille et vit dans le sud de la France et nous échangeons encore des tas de souvenirs communs.
La semaine dernière elle me fait parvenir un texte écrit par un ancien de Casablanca, texte, qui m'a beaucoup plu et dont je vous ferais un "Copier-coller" à la fin de mes explications.
Ce texte était signé de Jean Frédéric KLEIN avec une adresse au Québec. Je ne voulais pas le reproduire sans lui en avoir demandé l'autorisation. Miracle d'Internet, j'ai retrouvé un commentaire de lui dans un article qui n'avait rien à voir avec le Maroc mais qu'il avait signé et où il donnait son N° de téléphone. J'ai donc tenu compte du décalage horaire et je lui ai téléphoné. Après m'être présente, j'ai été très bien accueilli et il m'a donné cette autorisation. Spontanément il a ajouté qu'il pourrait également me racontyer d'autres choses et peut être m'envoyer des photos. Ce qu'il a fait dans  la journée....
J'en profite pour le remercier publiquement ici et souhaite garder le contact avec lui, il aura certainement d'autres choses intéressantes à nous apporter.
J'associe DOMINIQUE à ces remerciements puisque c'est grâce à elle que nous faisons connaissance de JFK.
 
Voici donc le texte en question : 
Joli texte-souvenir mais voilà, il m'en échappe des bouts !
Élevé à la campagne - au bled - dans une famille très protestante, un père docteur en droit et une mère diplômée de l'Ecole Normale Supérieure, plus une dizaine d'années de pensionnat R'bati avec mes pairs snobinards… j'étais très loin des tchatcheurs des Roches Noires.
Les ould h'mar, les falsos, les chitanes qui tétaient les mouches (et le Pastis), ceux-là n'allaient pas chez Oliveri. Ils se cantonnaient au Rond-Point, mais du côté droit, l'archouma ! C'était là qu'on se "mélangeait". Parfois.  
Allez, si tu t'ennuies (?) voilà un texte sur le sujet pondu il y a quelques années. A prendre avec un nahna et une chebbakia…
 ALMENDRAS
 
Je ne sais pas pourquoi mais je me suis levé ce matin obsédé par une image, des cris et des odeurs d’amandes un grand Chleuh de Tafraout, presque noir, habillé d’un immense burnous de laine pâle sous une fine ggrillées. « Almendras, aa-almendras, des amandes, achra d'rials señor, almendras, almendras para tu… »
C’était andoura chocolat foncé, le capuchon soigneusement jeté sur l’épaule gauche. Sa chéchia rouge semblait moulée sur ses cheveux frisés et les franges, toujours en mouvement, lui faisaient une auréole en pointillés.
Le Rond-Point était son théâtre, la terrasse du bistro son orchestre et tous les amateurs de Ricard, les siroteurs d’expresso, les buveurs de bière La Cigogne étaient les musiciens qu’il dirigeait d’un geste, d’un commandement, d’une révérence. Tel un Cyrano de la cacahuète, il jaillissait de nulle part, bondissant au centre de l’arène, haranguait l’auditoire médusé en un petit nègre de franco-berbère mâtiné d’espagnol, puis choisissant son premier violon, fondait sur lui. Oh non, il ne vendait pas d’amandes. Pas de boîte ou de sachet de plastique non plus. Encore moins d’ersatz cultivé on ne sait où par on ne sait qui. Non. Il te présentait ses amandes à lui, les faisait couler entre ses doigts de diamantaire comme autant de pierres précieuses puis il en choisissait cinq, voire six, qu’il ensachait prestement dans un petit cornet de papier journal. Et c’est vrai que c’était les meilleures amandes au monde, grignotées dans le plus bel endroit au monde.
 Casa_Mers_sultan_Rond_point_1
Le Rond-Point (le Rond-Point Mers Sultan, pour les amateurs de précisions), le rond-Point donc, était notre point de ralliement. Une espèce de Place de l’Étoile en plus petit, toute en pavés, mais encore assez grande pour accueillir la moitié de la ville en pyjama lors du tremblement de terre… De ce rond-point là on aurait pu aller à Rome. En fait, de ma chaise, à gauche, près du cireur de chaussures, je pouvais voir, droit devant, l’avenue qui montait au lycée, et par conséquent les copains qui dévalaient la côte sur le coup de quatre heures. Sur la gauche les deux grandes rues qui se partageaient tout le reste du pays : ne passait-on pas par là pour aller au collège technique, à la Gare, à la plage de Mohammedia, à Rabat même, et puis, tant qu’à faire, n’était-ce pas la route de Tanger, de l’Espagne et des vacances ? Je vous avais dit, Rome…

 À gauche-gauche, d’abord l'Aviation Française, une rue sympa avec des tas de boutiques, des antiquaires, une boulangerie puis, tout à côté, l’avenue qui rejoint l’hôtel de ville, l’Automobile Club et les quartiers huppés. En me tournant par là je pouvais voir la table des frères Salasca, et plus loin, de l’autre côté, l’autre bistro où les Méli, Scotto, Guarniéri et leurs copains motards, les gueulards et les voyous des Roches Noires et nombre de pilotes respectables avaient élu leur centre d’affaires.
Sur la droite deux autres rues dont le nom ne me revient pas et le «Royal» studio de Borghesan, qui m’a plus appris sur Dante Alighieri et le spaghetti à l’ail que sur le commerce des appareils photo.
 
A certaines heures c’était plein de pékins, des gens qui essayaient de goûter, de voler un peu de l’atmosphère magique du Rond-Point. Ils n’en ont jamais reçu plus qu’une bonne dose de poussière avec des relents d’essence et d’huile chaude. Je me demande même si le seigneur des almendras consentait à leur en bailler un cornet. Puis, comme à un signal, d’un coup d’aile, la volée de pékins se dispersait, qui absorbé par le devoir conjugal, le retour au boulot, la sieste, la boutiquière, que sais-je, bref, engloutis par l’ennui de leur quotidien. 
La poussière retombait.
Entracte.
 
Pas très long l’entracte : vers les quatre heures, tranquillement, le Rond-Point revenait à la vie. De tous les points cardinaux, par un, par trois ou par dix, ils arrivaient. Les tables se rapprochaient, on s’excusait, on traînait les chaises un peu plus loin. L’anisette blanchissait les verres, le pichet tintait sur le marbre. Cyrano-almendras officiait au centre du plenum. Entendons nous, ce n’était ni souk, ni cirque. En fait peu de gens se parlaient d’une table à l’autre, et jamais de la terrasse de gauche à celle de droite. Les clans. Et l’éducation, merde !

Et comme tous les jours, le miracle se produisait : si la ronde des autos avait augmenté, si les Tractions, les Arondes, les Studebaker, la TR4 de Nono ronflaient en double file, le bruit semblait pourtant s’estomper et laisser place aux conversations, aux saluts et aux rires. Un brasero fraîchement allumé commençait à dispenser des arômes de merguez et de brochettes, de kebab. On se calait en arrière sur le fauteuil de rotin et on prenait une autre grande gorgée de Rond-Point arrosée d’anisette.
 
C’était là que tout se tramait, que se prenaient les rendez vous du samedi soir, que s’échangeaient les adresses des « boums » à venir, que la cote et la réputation des filles fluctuaient selon les vantardises des uns et les confidences des autres. Il y avait là de futurs ingénieurs et des garagistes, un trafiquant d’armes en devenir, quelques enseignants, un escroc et un million de bourgeois ordinaires, mais surtout une brassée de copains avec en commun, un certain art de vivre. Et un goût de vivre.
 
C’est aussi vrai qu’à quelques coins de rue de là, ça se passait chez Oliveri. On y dégustait la plus spectaculaires des glaces de la création à petits coups de langue distingués en compagnie de tous les sang bleu, riches et cultivés fils de docteurs et de diplomates, filles de respectables familles protestantes, une ou deux particules, un millionnaire arabe et un couple de voyous irrésistibles qui roulaient M.G. Twin Cam ou Austin-Healey. Mais eux, c’était juste le vendredi, de cinq à six, entre deux fournées de bridgeuses. Fallait pas être en retard, t’avais manqué le rendez-vous de la semaine, et le programme de la soirée. Pas étonnant que les filles de chez Oliveri faisaient un tour du côté du Rond-Point, le vendredi soir, et y restaient parfois assez longtemps pour mettre un étudiant sur la paille !
«Almendras, aaal-mendras…»
 
Jean-Frederic Klein

Il nous gâte, Jean-Frédéric.  Il faudrait pouvoir le lire les yeux fermés. Ou qu'une conteur nous le raconte.
L'odeur des amandes grillées, de l'anisette, de la poussière toujours présente, de l'odeur des pôts d'échappement et celle du parfum des filles qui venaient s'y montrer.
 
Je l'ai tellement vécu avec mes tripes qu'il me fallait absolument vous l'offrir. Merci Jean-Frédéric pour cet instantané de nos jeunesses marocaines. De MARRAKECH ou de CASABLANCA, nous avons vécu une jeunesse dorée dans ce magnifique pays de Soleil, peuplé de gens inoubliables, qui étaient nos amis, qui partageaient nos soucis et nos joie. Je souhaite que tu (Ah ce TU est venu spontanément, me le pardonneras tu?) continue à nous suivre les Marrakchamis de ce blog et que tu nous donne l'occasion de vivre d'autres beaux moments.
 
Il avait, au téléphone promis de m'envoyer d'autres choses le concernant. Cela n'a pas tardé puisque qu'hier j'ai reçu ceci...
 
Bonjour Michel Dupré,
Merci pour votre coup de téléphone !
J'ai visité votre blog et je pense qu'on peut y passer des heures à démêler tout ce qui est présenté, bijoux, calligraphie, Saarburg ! etc. A propos ma famille vient de Sarrebourg (l'autre, la française).
J'ai été élève, pion puis prof à Rabat et Casablanca mais on se souvient plus de moi comme coureur automobile et organisateur de circuits dont votre Marrakchi Robert Lassus était une des très grandes vedettes.
Voir: Dix Ans de Sport Automobile au Maroc (JFK et Yves Joseph)
J'ai écrit il y a deux ans un roman - non publié -  (Habi, une jeune fille, les années 50, Bouznika) dont je pourrais vous faire parvenir un pdf si votre ordi le digère. Plus vrai que le Rond-Point ! Sûr que les "anciens" apprécieraient.
Un salut à mon pays…
 
Et une photo.
 DKW_Abbate_1964
Puis de nouveau deux photos:
 68lacaze_klein
 
Lacaze-Klein, Rallye du Maroc 1968, Gordini officielle Renault, 14 salto arrière…
 
 Tremblant09
 
J. F. Klein - Mont-Tremblant, Québec, 2010 (la noire, en bas à droite…)
 
JFK, comme il aime signer, possède aussi un site Internet dont j'ai l'adresse mais qui actuellement n'est pas en service. Dès qu'il fonctionnera de nouveau je vous en donnerais l'adresse.
Voila chers Marrakchamis, un long article, j'espère qu'il a eu l'heur de vous plaire. moi j'ai eu beaucoup de plaisir à l'écrire.
 
Je vais le terminer par un clin d'oeil aux calendrier des fermières et des fromages en vous éditant la page de Février 2012.
 
 calendrier-from-girls-2012-02-fevrier
Bonne santé à tous, protégez vous du Froid, évitez les glissades et rêvez de MARRAKECH.
Votre toujours MICHEL
 
 
 
Notre marrakech 45-70
Publicité
Publicité