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Notre marrakech 45-70
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25 mars 2012

Pas grand chose et HABIBA 3

Je l'avoue bien humblement, chers amis lecteurs, en ce moment je néglige un peu le  Blog. Surtout que certains d'entre vous ont certainement envie de lire la suite du roman que Jean Frédéric nous a offert.

Dans les commentaires certains se plaignent que cela ne parle pas assez de Marrakech et de ce que nous connaissons, mais d'autres me demandent la suite. C'est ce que je vais faire aujourd'hui.

Bernard a un peu dévoilé un projet qui se met en place. Jacques, qui a passé sa jeunesse à Marrakech et partagé certains souvenirs avec moi, à eu le courage d'écrire un récit de sa vie et de celle de sa famille qui se déroule justement dans les années qui nous intéressent : Celles de nos jeunes années. Il l'a appelé "CHKOUN ANA". C'est un pavé magnifique, que je suis en train de relire, que je vais scinder en plusieurs paragraphes et que je vais éditer sur le Bolg.. Notre Blog n'aura jamais mieux porté son nom..... Sinon je n'ai pas grand chose de nouveau à raconter sur notre chère ville et j'attends le retour des participants au "Serment des Brochettes" pour avoir ( je le souhaite) de nouvelles photos.

Un ami qui se trouve encore à Marrakech, Olivier cherche desespèrement des photos de classe du Collège Technique HASSAN II. Je n'en ai qu'une en ma possession et j'aimerais lui rendre service en lui faisant plaisir. Si donc vous en possèdez, n'hésitez pas à me les transmettre, peut être ne les a t il pas.

Dernière chose à vous dire : Mon adresse E.Mail était jusqu' ce jour chez "t-online.de". Rencontrant pas mal de problèmes pour récupérer les pièces jointes et les photos, j'ai envoyé un mail commun à tous ceux dont j'ai l'adresse dans ma boite d'envoi. J'ai reçu en retour 7 courriels m'annonçant que les adresse n'étaient plus bonnes. Donc si vous lisez cet article et que vous n'avez rien reçu de ma part cet après midi, c'est que vous êtes un de ceux la. Si c'est le cas recontactez moi, par l'intermédiaire du Blog, pour me donner une adresse valable qui me permettra de rester en contact avec vous.....

Je dois remercier Rafaéla qui m'a permis d'aider un de vous en me communicant une adresse et un N° de téléphone. L'intéressé a déjà été prévenu. Merci RAF de ta gentillesse et de ton engagement auprès de notre petite communauté.

Maintenant je vais vous abandonner et vous laisser lire tranquillement la suite de Habiba.

A bientôt. Toute mon amitiés et mes voeux de bonnes santé à ceux qui souffrent de divers maux . Ils se reconnaîtront aussi.

Votre toujours MICHEL

CHAPITRE 4

 

Le malentendu

Bien sûr, il se trompait…Le premier véritable contact du Hadj avec le monde des Roumis avait commencé par un terrible malentendu. Un malentendu tel que personne, des années plus tard, n’aurait admis qu’il y avait eu malentendu, chacun étant encore convaincu que la vraie vérité était de son côté.

Un matin le Roumi avait vu Le Hadj ramasser du bois mort et l’avait traité de voleur. Le Hadj l’avait pris de haut :

— Je suis Hadj, moi, et Le Hadj n’est pas un voleur !

À son tour, le Roumi avait levé le nez :

— Mais môssieur Le Hadj-Moi  , tu es quand même en train de piquer mon bois mort !

— Le bois mort appartient à Dieu, et personne ne peut voler ce qui n’appartient qu’à Dieu.

 Un cran de plus, sur la pointe des pieds :

 — Mais môssieur le Hadj, tu récoltes le bois mort de Dieu sur ma propriété !

Poil raide, faces rouges, la crête bandée, les petits yeux, on aurait dit deux corneilles se disputant un crapaud mort. Le ton s’était durci, les décibels se heurtaient, les mots les plus simples devenaient abstraits, les qualificatifs croisaient les menaces…

 Bouleversé, Le Hadj.

 De retour à la khaïma il marmonnait encore :

 — La terre appartient à Dieu et personne ne peut prétendre posséder ce qui n’appartient qu’à Dieu.

 Il avait pris Dieu et Lalla Zouina à témoin. Il ne comprenait pas ce que ce type voulait. Son père et sa mère avaient vécu sur ce bout de terre, ils en avaient ramassé le bois mort, ils en avaient récolté le foin, ils en avaient bu l’eau depuis des lunes…

Même que El Katib, son vénéré père, que Dieu le garde, était enterré là, au bout du champ.

Alors ?

 Soucieux, Le Hadj.

 Presque fâché.

 Non… Très fâché !

 « L’univers c’est la propriété de Dieu ! C’est Dieu qui fait la terre, le bois et les rivières. C’est Dieu qui décide si tu habites là ou si tu habites là-bas. Qui aurait l’audace de voler Dieu ? Ce Roumi est complètement fou !»

 « Qui es-tu donc, le Roumi, pour offenser Dieu, pour oser dire ma terre ? Crois-tu être l’égal du Seigneur ? Es-tu immortel ?»

 « Avant même que ne meure ton fils tout ici aura changé, ta ferme aura disparu, tes champs seront dévorés par le village, ta maison sera démolie et les murs dispersés pierre après pierre.  Les arbres auront poussé, grands, on les aura abattus, brûlés en charbon, mais les rochers seront toujours là, la pluie et les larmes des hommes les auront lavés des traces de pieds, des injures et de la boue.

 Les pistes qui ont vu passer les caravanes, les cascades qui ont baigné les femmes de Mahomet, les dalles qui résonnèrent au martel des sandales romaines… elles seront toutes là demain et témoigneront de la décadence de ton peuple, la fin de ta race, de ta civilisation et assisteront à l’émergence d’une autre dans un autre siècle, dans une autre vie.»

« Même cette mousse minuscule, ce petit brin de lichen entre les deux plis de schiste, ce rien poussera encore dans deux mille ans sur la même racine, sur la même ventouse incrustée là, dans le roc, depuis mille générations.»

Mais il n’y avait ni dieu ni femme pour entendre Le Hadj.

Il se rappelait bien le jour où la fourgonnette était apparue au loin, la première fois, comme un petit bousier besogneux dans un nuage de poudre orange. Elle avait contourné le bosquet d’eucalyptus sur la gauche, traversé le massif des figuiers de barbarie, cahoté le chemin de poussière jusqu’à l’éperon d’ardoise et s’était enfin arrêtée dans la plaine en contrebas, au pied de la butte aux amandiers, à dix pas de la cascade.

Puis rien.

Comme si la coquille craignait de sortir son escargot.

Enfin une porte s’ouvrit, un homme en descendit. Il était loin mais on pouvait distinguer qu’il était très grand et portait un chapeau blanc à rebords, comme un casque colonial.

Il fit quelques pas, l’autre porte s’ouvrit, une femme en culottes courtes descendit à son tour, puis un enfant – guère plus grand que Habiba – qui se précipita vers la cascade.

L’homme et la femme le rejoignirent ; ils restèrent un bon moment là, tous les trois. Lui faisait de grands gestes, montrait les arbres, la colline, les nuages, le ciel.

Sans aucun doute, des blancs, des Roumis. Ils revinrent bientôt à la fourgonnette, s’arrêtèrent et regardèrent vers le haut de la butte. Le Hadj, sa femme, la petite et grand-mère Amina, ils vivaient tous là-haut, sur la colline des figuiers de Barbarie.

Leur maison, la khaïma, ils la déplaçaient chaque printemps de quelques dizaines de mètres pour que le bouc au piquet puisse dessiner de nouveaux ronds dans l’herbe neuve. De là où ils se tenaient, les Roumis les voyaient clairement, lui, debout devant la tente, Lalla Zouina un peu en retrait et Habiba-bijou qui courait en rond autour du chien…

Les gladiateurs s’observaient, chacun d’eux campé carré sur son bout de certitude. Ni le Roumi ni le berbère pouvaient distinguer l’expression du visage de l’autre, le doute ou le défi dans les yeux de l’autre, ni même la couleur de la peau de l’autre, mais la tension était là, malgré la distance.

L’homme leva la main, probablement pour une sorte de salut. Le Hadj hésita, puis leva la main à son tour, bien à plat, bien verticale.

Si on le lui avait demandé, il n’aurait pas su répondre s’il avait juste rendu un salut ou s’il s’était instinctivement mis sous la protection de la main-de-fatma qui repousse le malin.

Mais les Roumis – il en était sûr maintenant, il ne pouvait s’agir que de Roumis – remontaient dans la fourgonnette qui disparut bientôt au détour des eucalyptus.

Lalla Zouina voulait comprendre, elle grattait à vif, comme toujours, elle n’arrêtait pas, ça faisait mal…

— C’était qui ?

— Comment le saurais-je ?

— Qu’est-ce qu’ils voulaient ?

— Je n’en sais rien.

— Est-ce qu’ils vont revenir ?

— Dieu seul le sait !

— Dis moi… Dieu ne permettra pas que des Roumis – elle avait dit les infidèles – viennent s’établir ici ?

— Femme, ce que je dis c’est que Dieu sait ce qui est juste,

Dieu ne laisse pas se mélanger le ciel et la mer…

— Mais toi, toi…

— Moi, je dis que tu ne dois pas discuter de ce qui est du ressort de Dieu ni même de ce qui est du ressort des hommes.

Puis, après un moment de réflexion :

— …tu prépareras le thé quand ils reviendront.

C’est le gendarme qui était revenu, avec le caïd du village, deux hommes armés et une valise de papiers. Le Hadj, sa femme, sa fille, sa tente, ses chèvres, son âne, sa vache et ses poules étaient priés d’aller s’établir ailleurs dès la récolte de foin terminée.

Évidemment, Le Hadj n’avait pas vraiment déménagé. La noualla des chèvres avait été démontée et reconstruite en contrebas, derrière la butte. La khaïma était toujours là, mais on ne voyait plus ses occupants. C’est comme s’ils avaient changé l’orientation de leur tanière et, avec elle, celle du jour qui se lève, celle des ombres du soir, celle du sentier de leur existence quotidienne.

Entre-temps, le Roumi avait débarqué avec une poignée d’ouvriers et commencé à construire une maison près des eucalyptus, là où la rivière forme d’un méandre serré un petit lac avec une cascade au bout.

Deux mois plus tard le toit était posé et du linge séchait sur une corde tendue entre l’éolienne et une cabane en tôle ondulée qui servait de remise.

Un chien roux aux longues oreilles surveillait les culottes et les draps quand il n’accompagnait pas le garçon dans ses pérégrinations sur le sentier des mimosas.

En bas, on préférait ne rien voir, ne rien savoir des gens d’en haut, les croire partis, voire transparents, surtout quand la vieille, la grand-mère Amina, apparaissait au crépuscule comme femme de Loth sur son piton rocheux, houspillant de ses youyous le soleil disparu, les impurs, son pauvre mari défunt, Que Dieu ait son âme, et toutes les calamités responsables de sa grande solitude. Une vieille folle.

En bas, dans la cheminée de la maison des Roumis, une grosse bûche finit de se consumer. Là-haut, sur la butte, la menthe et la chiba infusent dans la théière noircie. Le chien jaune s’est endormi. Tout en haut, au dessus du ciel, au dessus de l’infini, le temps a suspendu son tic-tac.

Si on avait su… on aurait peut-être laissé le temps prendre son temps.

 CHAPITRE 5

 

 L’épouvantail

  l’herbe était noire;

les grelots des troupeaux palpitaient vaguement,

une immense bonté tombait du firmament… ( Victor HUGO)

 Tout est tranquille, silence… L’épouvantail s’ébroue. Habiba se laisse glisser de son trône et file vers la droite, contourne la noualla aux chèvres. Le chien n’a pas bougé. L’ombre court, aveugle, terre noire, ciel noir, ses pieds connaissent le sentier par coeur, les cailloux, le petit fossé, le buisson d’aubépines, tout son corps sait, son coeur bat la chamade, des bribes de voix, ses oreilles la guident. Elle ne craint ni le chacal ni le scorpion, la perdrix qui dort ne bronchera pas d’une plume.

Arrivée au pied de l’escalier, sous les fenêtres qui projettent des carrés d’or dans la nuit, cachée par le rai noir du grand eucalyptus, elle s’assied en tailleur, les bras autour des jambes, le menton sur les genoux.

Ce n’est plus qu’un oeuf en chiffon, un oeuf qui écoute, qui attend que l’autre monde envahisse sa coquille.

Une fugue de Bach glisse de la porte entrouverte, un rire d’enfant, quelques mots, inintelligibles… Une musique insolite, un chapelet de perles qui dansent dans la tête et brodent des phrases dans une langue inconnue, loin des violes et des tambourins en peau de bique, un doux poème qui se rit de la plainte du luth, qui enlace, qui berce.

Elle ne me dit rien cette musique.

Elle ne me parle ni des récoltes ni de la rivière, ni des montagnes ni des ténèbres, elle ne me parle ni de la danse, ni de l’oiseau ni des pieds nus.

Les fantômes ont la peau claire, le visage imberbe et la chevelure dorée. Je veux m’endormir sur le mystère, la brume est douce, ma tête tombe, mon corps se dissout, mes rêves sont couleur de nuit.

J’ai si peur.

Habiba rit, elle qui n’ose pas rire, elle rit la main devant la bouche, la joie, les yeux écarquillés, le front brûlant. Elle est blottie dans le fauteuil devant la grande cheminée, il est là lui aussi, il sourit, les chèvres gambadent, patinent sur le parterre de marbre, grimpent sur la bibliothèque. L’homme au piano se retourne, immense, large et fort, son visage est bleu avec des sourcils oranges qui lui barrent le front et  circonflexent ses yeux de braise. Ses mains ciselées dans la pierre, enluminées au henné, volent sur la plage rayée de noir et blanc, animent des nuages de notes, soulèvent des volutes d’encens, des bouffées de fleur d’oranger.

Habiba, la musique te déshabille, la bouche de la musique te baise et son souffle fait voler tes cheveux. Et la  musique égorge les chèvres et le sang coule, coule, couleur de lait.

Une voix, au loin …

— Habiba-a !

Le rêve explose, le coeur de l’épouvantail recommence à battre, la pluie Habiba, il pleut, éveille-toi, la forme se redresse, cours Habiba, la maison disparaît dans le noir, un brin de lune  froide peint la nuit en bleu, glisse-toi sous la tente, sous les couvertures et pleure, Habiba, c’est bon de pleurer, c’est doux comme la chaleur du sein.

Le chacal jappe à l’orée du bois d’amandiers.

Un jour, j’habiterai cette maison. Oui, je l’habiterai ! Je le jure !

   

 

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