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Notre marrakech 45-70
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24 juin 2012

Une suite et HABIBA 11

Il pleut, il pleut, il pleut et il ne fait pas vraiment chaud...Mes salutations n'en seront que plus chaleureuses...
Pour beaucoup d'entre vous, ces mots ne veulent pas dire grand chose. je me trompe?
Mais ici entre le Nord Est de la France, le Sud Est du Luxembourg et le Sud Ouest (presque) de l'Allemagne, nous vivons dans un flux nuageux et frais qui nous pourri le début de l'été après avoir pourri une bonne partie du printemps....

 

A l'EST, rien de nouveau : En Ukraine, nos "gentils joueurs" de Football ont encore perdu...Mais comme il semble qu'ils attendent avec impatience leur retour en France pour pouvoir partir en vacances avec leurs chéries, ils ont fait tout ce qu'il fallait pour cela....N'en parlons plus....

 

Au SUD quelques photos supplémentaires de la part de notre amie CLAUDINE qui a été surprise de la célérité avec laquelle j'avais édité les premières. Voici les suivantes.....Elle poursuit son retour aux sources... Y aura t il une suite????

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  Retour dans ma classe de CM1 au Guéliz... 50 ans aprés.RIEN n'a changé! Même peinture, même carreaux, même mobilier. Il n'y avait plus l'estrade de l'instit.
 
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Elle est toujours aussi majestueuse!
 
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Les odeurs et les couleurs de la Place....
 
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Lycée Victor Hugo (ex Mangin) les anciens bâtiments tel que je les ai connu.
DSCN0706
 
Attention au trafic...
 
Image
 classe de CM1 au Guéliz  ( nov 1956) ?
 

 

 

Et puis, deux épisodes inédits de notre Roman FIL ROUGE.... Les chapitres 23 et 24 de Habiba.

 

le temps qui passe

les jours qui traînent,

de grands jours vides,

semaines interminables,

tout ce temps qui s’épuise en petits morceaux…

le troisième jour, le quatrième jour,

le jour des prières, le jour du marché,

le jour du train qui le ramène  des fois,

le jour où on l’attend,

tant de jours que j’attends,

mais ça ne sert plus à rien,

il n’y a plus rien,

les jours qui viennent,

les jours qui vont,

ces jours à moi,

qui m’appartiennent à moi

parce que je suis là tous ces jours

et lui, lui, il est là-bas,

je voudrais, le matin,

dès que le matin se montre,

que la nuit vienne à nouveau,

je voudrais qu’il n’y ait plus de jour

pour ne plus attendre la nuit,

je voudrais qu’il n’y ait plus que des nuits sans jour

pour vivre dans ma musique,

pour écouter les étoiles,

pour être avec lui.

lincident 

Au nord du village il y a un immense champ de poussière délimité d’un côté par un fossé qui charrie un magma de résidus pestilentiels et de l’autre par un muret hérissé de barbelés qui protège des chipeurs de courges et de  melons de bordure. Un grand désert animé par quelques footballeurs aux pieds nus quand il ne s’y forme pas un mini cyclone qui file un tourbillon couleur brique et va en poudrer les maisons plus bas dans la rue.

C’est comme ça tous les jours de la semaine, sauf le vendredi, jour de marché.

Pendant la nuit, venue de nulle part, comme née de l’éruption de cent, de mille petits volcans, toute une ville s’est bâtie là, une immense fourmilière, des kilomètres de tentes, des poteaux de guingois et des toits de tôle, un  patchwork d’abris biscornus, un liseré désordonné de camions, une foule de marchands, de curieux, de ménagères, de tripoteurs, de badauds, de traîne-savates et de coupeurs de poches, de portefaix, de pousse-charrettes, balek-balek , et des tonnes de marchandises dont une partie va se transformer en décombres, en rebuts, en immondices, en pourriture, en flaques de boue et en déjections de toutes sortes, comme partout où l’homme ne fait que passer…

Habiba aime bien le jour du marché.

 Le souk

 les sacs de blé

 les ânes à vendre

 les ballots de menthe verte

 les tissus, les outils, la ferraille

 la poussière, les cris, les appels

les montagnes de légumes par terre

les sacs d’osselets aux propriétés indéfinies

les herbes magiques, les poudres mystérieuses

les plats, les bidons,

les tobsil,

les gargoulettes

les épices, les couleurs, les odeurs épaisses, denses l’étal des viandes, les  mouches, le petit balai de sorgho la cahute du fond, le téléphone public à gauche et le bordel à droite, la queue des deux côtés les boulons et le mec qui les trie comme un orpailleur les peaux de mouton, les couvertures de l’Atlas, les tuyaux, les pneus, les pignons, les bougies, la pub, l’odeur des kanouns qui enfument le collecteur mafieux et le voleur à la tire

les poulets vivants attachés par les pattes

 les gendarmes, le caïd et ses sbires

 les camions de pastèques

 les brouettes de fraises

 les chariots de verdure

 les pyramides d’oeufs

 les tomates…

 Habiba vend des tomates au marché du vendredi.

 Elle étale la vieille couverture, elle couvre la déchirure avec un morceau de papier brun, c’est écrit 

Cim«»nt Lafar«».

 Le «» c’est un trou qu’elle recouvre avec le « ge » qu’elle a pris au bout de l’autre mot.

Elle centre le coussin, un peu vers l’arrière, et s’assied en tailleur. Elle aligne les tomates entre ses genoux, trois, puis quatre puis trois, ça fait presque un rond, puis deux par-dessus, puis une, puis une. Ça fait treize. À peu près.

 Elle saisit le bas de sa robe de dessous, crache un petit jet de salive, saisit la tomate du milieu, la grosse et  l’essuie consciencieusement. Elle la replace au centre, sur le dessus.

 C’est beau, ça brille, tout va bien.

 C'est ce jour-là que c’est arrivé.

El Kelb, le contremaître de la ferme des Belges, bavardait avec le forgeron dans l’allée d’en arrière. Une histoire de fer à cheval qui n’avait pas tenu. El Kelb ‑ Le Chien… personne ne se souvient de son vrai nom ‑ c’est un vrai salopard, le type à combines, le type tordu qu’on n’aime pas.

On le craint même un peu. On dit que c’est lui qui aurait incendié la ferme des Gomez, l’an dernier. On ne l’aime pas du tout, même que les types qui jouent aux dames sur la terrasse du petit café aboient sur son passage, et quand il se retourne ils lui font des bras d’honneur et des comment ça va, El Kelb, ouah‑ouah, tu t’en vas mordre une souris

 

Le mépris, quoi !.

 

C’est vrai aussi qu’il y en a qui l’admirent, des jeunes un peu voyous. Surtout qu’ils envient le blouson d’aviateur qu’il a piqué à un marine américain après l’avoir salement assommé.

 

Il y a même des femmes qui… mais c’est une autre histoire, des ragots. D’ailleurs lui, quand il fanfaronne avec les jeunes, il parle des femmes comme des putes, toutes des chiennes en chaleur qui ne respectent pas leur mari, qui ne pensent qu’à dépenser et en plus si tu regardes sous leurs jupes, méfie-toi, il s’y cache une bête qui dévore les garçons trop curieux.

 

Enfin c’est ce qu’on dit, on n’est pas allé voir.

 

En quittant le forgeron il avait enjambé le brasero où rougissait le fer à redresser et s’était planté devant l’étal de tomates.

 

— Salam, Habiba, tu es laide comme un pou. Combien tu veux pour tes tomates pourries ?

 

Il jappe toujours autant, ce fils de chienne, mais tout le monde sait que chien qui aboie n’ose pas mordre.

 

— Tu sais parler aux femmes, toi, El Kelb ! Si mes tomates étaient aussi pourries que toi je cracherais dessus et je marcherais dessus jusqu’à ce qu’il n’en reste que de la boue.

— Tiens, tiens ! Encore une femme qui a la langue bien pendue. Allez, va, je suis pressé.

 Il avait jeté trois piécettes sur la couverture.

 — Je reviendrai plus tard pour les tomates. Tu les gardes pour moi, le temps de faire mes affaires…

 Il ne revint pas.

 La nuit était tombée, les étals démontés, le souk quasi désert. Habi ramassa les tomates, fit un rouleau de son tapis, plia le morceau de papier brun, le glissa dans le rouleau et prit le chemin du retour.

 Il y a des jours où la vie ressemble à un long ruban sans plis ni boucle, un ruban qui ondule à peine au gré du vent, un ruban sans histoire, presque tout plat.

 Ce n’était pas un jour comme ça.

 Elle marchait depuis une bonne demi-heure quand les trois hommes la rattrapèrent à l’endroit où le chemin passait sous le pont. C’était un peu différent cette fois-ci.

 Avec son chacal de mari ça avait été brutal, douloureux, sans suite. Elle avait appris de sa mère que les hommes faisaient ça comme ça et que les femmes avaient été faites pour que les hommes puissent faire ça comme ça.

 

C’est El Kelb qui l’avait bousculée et allongée par terre en premier. Il ricanait devant les autres, ta tomate… je suis venu cueillir ta tomate !

 Puis il se tut.

L’un après l’autre, silencieux, absorbés, ils la creusaient de leur outil comme ils eussent creusé un puits, avec  application, sans un mot, sans un regard, les cils entremêlés, les paupières serrées. Elle crut que c’était fini quand le troisième se retira en essuyant son pénis sur sa robe. Mais l’un d’eux, le premier, le chien des tomates, s’allongea de nouveau sur elle et reprit le travail où ses collègues l’avaient laissé, fouillant, creusant, pompant, explorant.

Elle ne sentait plus rien. Sa présence, ses mouvements, son haleine, sa poitrine écrasée, plus rien. Il n’y avait plus qu’une étrange chaleur qui se propageait du puits vers les genoux, vers le ventre, puis plus rien.

Sans qu’un mot ne soit prononcé.

Les trois types s’éloignèrent dans l’obscurité. La robe était maculée de boue, les tomates écrasées sur sa  poitrine. Les quelques pièces étaient toujours là dans l’ourlet du foulard qui lui tombait sur l’oeil.

 

Là-bas, dans la nuit, altérée par la distance, par la douleur, par la rage, une incantation indistincte, le muezzin clame sa foi du haut de la mosquée. Le cri s’éparpille comme un vol de corneilles. Dans son cauchemar, le saint homme se transforme en une pieuvre diabolique, une hydre aux cent têtes hirsutes, aux bras de méduse, un bouquet de monstres, de tentacules malfaisants, de pénis raidis, mille bouches qui crachent leurs invectives aux quatre coins du ciel, qui hurlent leurs lamentations, des injures qui volent de hoquet en écho, et chaque pas martèle et martèle l’anathème sur son front : 

putain, putain, sois maudite

Aveuglé, meurtri, mutilé, papillon ballotté au gré de la bourrasque des cris, le plastron rouge tomate, les deux mains sur le ventre… il faut que s’achève la nuit, il faut que je m’éveille…

 putain, putain, sois maudite, putain

 

Le Hadj la jeta dehors au début de l’été, quand il fut évident qu’elle portait en elle un deuxième déshonneur.

 

   

pardon

Après que son mari l’eût répudiée, après que ses parents deux fois déshonorés l’eussent rayée de leur mémoire, après qu’elle eût confié son bébé à la voyante qui lui prédisait un avenir doré, Habiba, malgré son gros ventre, fut recueillie par la femme du métayer, moyennant quelques petits services.

Torcher les nouveaux-nés, ramasser le bois mort, remplir les cruches, les outres et les gargoulettes, préparer le repas des ouvriers, briquer les tuiles du patio, laver le linge à l’abreuvoir, traire les six vaches et rêver à ce qu’aurait pu être sa vie, si…

si son père ne l’avait pas tuée ce soir-là…

si Fils-de-Roumi…

Elle pensait à tout cela en traversant la route, son gros ventre en avant, le fagot en équilibre sur la tête, les  yeux baissés, comptant les pas qui la séparaient de la fin du jour, de ce calvaire quotidien, et le chien…

ce maudit chien qui ne cessait d’aboyer, d’aboyer, un cri…

Et ce choc énorme.

Le type était effondré. Elle avait surgi de je ne sais où, sans regarder, un immense fagot sur la tête. Il avait klaxonné, freiné, n’avait pas pu…

— Vous avez vu ça ?

Elle avait quasiment démoli son auto !

 L’âme de Habi plana un instant sur les badauds attirés par les sirènes et les youyous, désolée d’avoir abîmé l’auto du Roumi désolée pour tout ce bois gaspillé désolée de ne plus pouvoir torcher les petits monstres désolée de devoir partir maintenant, de laisser tout en plan si désolée…

 La vieille Mercedes grise, éreintée sous un empilage hétéroclite de ballots, s’arrête dans un horrible gémissement de carcasse malmenée devant la kissaria du village, cette façon de marché en arcades posté au bord des routes pour happer les voyageurs. Le six cylindres expire d’un dernier hoquet de suie noire.

Les cinq passagers et le conducteur s’extirpent du tacot surchauffé et s’éparpillent pour une halte pipi.

 J’en suis.

Après deux heures de cabotage toussotant de derb en souk, de tractations à la croisée des chemins, de haltes - juste deux minutes, monsieur !  - pour déposer un panier et embarquer trois poulets, le vétuste taxi a atteint son but.

Cette escale, qui ne fait pas partie de l’itinéraire des autocars panoramiques - ce qui explique mon triste taxi - n’est pas le fruit du hasard.

 C’est mon terminus, mon village.

 C’est chez moi.

 Vrai que mon accoutrement de broussard fashionable et mon chic sac à dos multipoche détonnent au milieu des djellabas des anciens, des silhouettes voilées et des jeunes aux couleurs du club de foot, mais voilà… je suis quand même chez moi. Un peu.

 Vrai aussi que revisiter, cinquante ans après, la cour de l’école primaire et ses pissotières au grand air, revoir les cigognes unijambistes du clocher de l’église, revivre la fièvre d’un jour de souk, humer l’odeur des brochettes, entendre tinter les grelots du porteur d’eau, je sais, ça pue le pèlerinage bon marché. Mais voilà, dans ce pays, un sphinge juste pêché de la friture, un verre de thé à la menthe et une bonne bouffée de brasero, merde… c’est magique !

Le coeur du village ressemble à ce qu’il était hier, à ce qu’il était il y a plus d’un demi-siècle : c’est la kissaria à l’ombre de laquelle tout arrive, où tout se trame, c’est l’arène incontournable des boutiquiers de tout poil et de tous les trafics, le carré des parties de dame sur un cageot renversé, la piste de course ‑ balek-balek - des portefaix, les recoins à combines des ripoux, c’est les fumées nauséabondes des diesels stationnés sur les talons des chalands, le brouillard de poussière aspiré des champs d’alentour, les clameurs des marchands, les jurons, le chien qui hurle, l’écho de la chèvre entravée sur un vélo…

C’était comme ça, avant , et c’est encore comme ça aujourd’hui.

Sous l’écriteau « rôtisserie > ici les bons chich-kbab » le chef, c’est lui, c’est le type accroupi, le dos au mur, qui agite une branche de doum en guise d’éventail chasse-mouche ; l’adresse, c’est l’odeur du morceau d’os qui rôtit à vie sur son kanoun, « pour la pub » explique-t-il ; le menu, c’est la kesra fendue en deux et refermée sur une poignée de kebabs de foie grillé saupoudré d’une pincée de kamoun.

Je reconnais, en face, la boulangerie de la famille Gomez, à qui papa vendait les « petits chèvres » de la semaine. Le dimanche, des fois, on y achetait un pain. Papa les appelait les POFF – pain, oeufs & fromages frais – une réminiscence des glorieuses années gaulliennes où l’on criait haro sur tous ceux qui s’étaient trop bien démerdés pendant le grand désordre.

Sur le mur pelé, des bribes de mots que je reconstitue sans mal,  Gom z M`re & Filles d puis 1932 et dessous, en caractères plus modestes, pain, oeufs et fro ages frais.

Mais c’est différent…

 Les deux filles en cornette blanche ont disparu, l’enseigne coiffe aujourd’hui un atelier de mécanique. Devant la porte, un tracteur éventré, une pile de pneus usés à la corde, un fût cinquante ans plus tardrouillé d’où suinte un filet de mazout et un type, à califourchon sur un jerrycan, qui répare une mobylette.

Au premier coup d’oeil, c’est vrai, le temps n’a rien changé. Il a juste édenté quelques murs et ligoté les rues de guirlandes de fils enchevêtrés, preuve que l’électricité a rejoint les campagnes.

 Mais… 

Je ne rendrai pas visite aux cigognes : il n’y a plus de clocher sur le toit de l’église.

 Je ne saurai plus déchiffrer les noms sur le monument aux morts : il a changé de martyrs.

 Je ne visiterai pas la classe parfumée au pipi d’écolier : au diable le psychopathe tireur d’oreilles qui se délectait à nous faire trébucher sur la conjugaison des Ornicar.

 Par contre, les brochettes boulfaf, la chiba dans le thé, l’âne et sa charrette démantibulée garée entre deux camionnettes rutilantes, les deux chiens emmêlés, la foule bigarrée, les va-etvient, les tourbillons de poussière, la cacophonie des décibels, les disputes, ce magnifique bordel… tout ça je reconnais.

 Cette carte postale, c’est mon théâtre préféré.

 Du fond de cette pétaudière s’élève un ding ding ding, une cloche familière. Comme un tocsin de bedeau déchaîné.

 C’est le forgeron. Il y a encore dans ce village un forgeron qui sait faire sonner son enclume.

 Je n’irai pas revoir son antre, elle ne sera plus aussi noire, aussi infernale que dans mon enfance.

 Il était énorme notre forgeron, un mastodonte percheron avec des bras d’arbre, une petite tête ronde enfoncée entre des épaules qu’un joug n’aurait pas pu coiffer et des yeux qui reflétaient les flammes de son enfer. Son visage, son torse, ses bras en peau de charbon étaient striés par les coulées de sueur.

 Du matin au soir il pédalait sous la forge, un gros soufflet faisait rugir la flamme, il cognait, cognait comme un dément sur des braises d’acier qui explosaient en vapeurs écarlates et bouquets d’escarbilles.

Qu’il était beau ce forgeron ! C’était le diable.

 Cinquante ans !

 C’était hier, et presque rien n’a changé.

 A droite, l’épicerie de la mère Estragon qui faisait crédit.

 « Allez, mettez-le sur le carnet, pour aujourd’hui … » disaiton.

Juste à côté, il y avait la boutique Rubans & Boutons, à peine un cagibi, dont les murs étaient tapissés de haut en bas de minuscules tiroirs en bois, une cellule monacale qui sentait la rose fanée et l’encaustique.

 Les deux soeurs, deux tristes veuves, blotties derrière le comptoir sur de petites chaises paillées, continuaient à se cacher des franquistes andalous. Par habitude.

 L’une d’elles s’obstinait sur sa tapisserie de Pénélope, sans jamais lever la tête, tandis que l’autre, à peine plus aimable, ravaudait quelque chiffon de bourgeoise en marmonnant le Petit Poème de Lorca.

 Le cagibi est encore là mais une guirlande de carcasses sanguinolentes remplace aujourd’hui les ravaudeuses. C’est Chez Tahar, Boucherie Halal.

Sur la gauche, près du bureau de poste, c’était la maison du Cadi, une espèce de super juge de paix, un policier de la morale,  de la religion et… des affaires de gros sous. Un géant, raide comme un général, le visage gravé des hiéroglyphes de la vérole et sillonné de rides gagnées à force de barouds, de sang et de gloires au nom de la France.

Il portait une longue cape de soie noire ouverte sur le devant, une camisole de flanelle aux multiples boutons et un ample saroual qui bouffait sur ses babouches blanches.

 Il se déplaçait toujours avec deux hommes armés, une  armoire à glace avec une tête de bronze poli sur un cou de taureau et un petit chafouin dont on disait, avant , qu’il avait brûlé quelques fermes de colons.

Les enfants et les femmes se taisaient sur leur passage.

 Aujourd’hui les sbires de cadi portent l’uniforme.

 Un peu plus haut, après l’église, c’est la place du souk. Le souk du vendredi, comme son nom l’indique, c’est parfois le jeudi mais, le plus souvent, le vendredi.

Aujourd’hui c’est mardi donc il n’y a pas de souk. La place est déserte, excepté une douzaine de dromadaires qui attendent le messie. L’un d’eux, le plus taquin, relève sa babine, ajuste son horrible dentier brunâtre et blatère un bon coup vers le ciel.

C’est sa façon de se moquer de la bosse des autres dromadaires.

Je ne sais pas qui a dit que la ville se reproduit par parthénogenèse. Je prétends plutôt que la ville est une méduse géante dont les mille bras s’étendent subrepticement, de préférence la nuit, pour tout engloutir, les collines, les forêts, les rivières, pour repousser les troupeaux, les bergers et les poètes, pour bloquer les ouvertures, masquer les perspectives et gommer l’horizon.

Et j’ajoute qu’ici la digestion semble difficile car, de toute évidence, la méduse régurgite. Derrière le fouillis des bicoques en tôle ondulée qui cernent le village, dans les méandres sinueux de ruelles sans conclusion, à l’encoignure des palissades déconstruites, des labyrinthes inextricables du bidonville, la méduse a chié des montagnes d’immondices, creusé des rigoles pestilentielles, tressé des chapelets de mares vertes et de flaques moussues, et tapissé les fossés au coulis d’excrément.

La périphérie du village c’est l’avant-poste des prochains raids nocturnes, le Q.G. de l’abominable méduse…

En empruntant ce vieux taxi je me suis téléporté dans un autre monde, le monde d’ avant . Par le hublot du bathyscaphe j’ai bien vu que, hormis l’horrible méduse, rien n’a changé.

Les odeurs, les fumées, les cris sont les mêmes. Les humanoïdes de cette planète vont, virent, se meuvent et gesticulent comme des automates, au ralenti, sans me voir, sans que le demi-siècle franchi n’ait vraiment renouvelé leur tournure. Leurs lèvres bougent mais il ne s’en évapore aucun son, les phylactères sont vides.

 cinquante ans

A peine un ronronnement de film muet, sans sous-titres.

 Déconnecté, c’est ça, je suis déconnecté.

 – On y va ?

 La bulle du bathyscaphe explose, retour sur terre, crissements de pneus, sirène d’ambulance, klaxons, une radio à tue-tête, pétarades de cyclomoteur, une femme hurle « Ahmed, va chercher ta soeur à l’école ! ».

Un âne s’en mêle en contralto.

 Je retombe dans le vrai, la montagne de pastèques, le chien qui jappe, les étals de viande, les mouches qui collent, les fumées d’encens sur fond d’huile de friture…

 Je l’aime bien, ce monde, mais je n’en suis plus.

 Depuis si longtemps…

 Le chauffeur me rappelle à l’ordre.

 – Hé, monsieur, on y va ?

On m’avait dit que la maison familiale, la maison du Roumi, avait été transformée en un petit gîte, une sorte de riad à la campagne. Pour le cocher de mon tacot, le Biène‑Bi , c’est tout juste à dix minutes d’ici. Nostalgie, curiosité morbide ou  curiosité tout court… je le saurai bientôt : c’est là que s’arrêtera mon voyage.

Le taxi m’a déposé au bord du chemin :

 – Le riad de Lalla Chkoune, le Biène‑Bi  comme vous dites en Amérique, précise-t-il, c’est là. Juste derrière les arbres.

 Je vous souhaite maintenant une bonne semaine en souhaitant que vous erez nombreux à me laisser quelques commentaires....Votre toujours MICHEL

   
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Commentaires
J
le soleil poudroie,l'herbe verdoie,pas de chute de neige annoncée,l'eau n'est glacée que dans le verre à absinthe !<br /> <br /> Les remparts sont là,avec leur tour ! les dunes aussi,avec le ciel le soleil,la mer ,entourant ces vignes qui produisent du gris et du rubis !<br /> <br /> <br /> <br /> Ce n'est plus Marrakech ni Oualidia et sa lagune : crin blanc a remplacé aliboron,mais c'est l'ETE !<br /> <br /> <br /> <br /> Bonnes Vacances à Tous
C
...50°C ont été atteints la semaine dernière avenue Mangin....<br /> <br /> <br /> <br /> J'ai bonne mine avec mes 47°C du 15 aout 1959 !<br /> <br /> <br /> <br /> Bon...je vous laisse continuer vos siestes.<br /> <br /> <br /> <br /> Moi, je vais prendre le frais ( rosé )<br /> <br /> <br /> <br /> au Muy...<br /> <br /> <br /> <br /> A plus tard.<br /> <br /> <br /> <br /> Quand la page s'éveillera.<br /> <br /> <br /> <br /> Marrakchiamicalement<br /> <br /> <br /> <br /> ChM
S
ce n'est que partie remise... et je suis déjà en lien par les blogs avec vous tous !<br /> <br /> j'ai encore plein de jolies boîtes à ouvrir pour reconstruire mon histoire et partager ces mémoires avec plaisir et émotions avec vous.<br /> <br /> bonnes vacances à ceux qui les prennent maintenant.<br /> <br /> <br /> <br /> MarrakchiAmicals!
M
Nous sommes tristes aussi de ne pas avoir pu bénéficier de la présence de Sylvie au Moussem. Cela nous aurait permis de faire sa connaissance. Elle nous aurait parlé d'alchimie, d'émotions qui en entraînent d'autres... et du temps qui file. File comme s'en aller,.. comme filent les jours... mais file aussi comme on file la laine pour tisser de belles étoffes ou de magnifiques tapis.<br /> <br /> Pour des photos du Moussem filer sur: http://mangin2marrakech.canalblog.com/archives/2012/06/index.html<br /> <br /> Amitiés
S
Magher , <br /> <br /> je ne vous connais pas mais j'aime votre explication sur le passage du temps! nous ne maîtrisons rien seulement nos émotions mais elles produisent de grandes choses car elles provoquent en chaîne des réactions et comme une alchimie opère: tout se met en place pour construire et grandir!<br /> <br /> je suis triste de ne pas avoir pu participer au Moussem dernier, les obligations dans le tourisme sont peu négociables... Amitié et à la prochaine!
Notre marrakech 45-70
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