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Notre marrakech 45-70
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24 juin 2012

Une suite et HABIBA 11

Il pleut, il pleut, il pleut et il ne fait pas vraiment chaud...Mes salutations n'en seront que plus chaleureuses...
Pour beaucoup d'entre vous, ces mots ne veulent pas dire grand chose. je me trompe?
Mais ici entre le Nord Est de la France, le Sud Est du Luxembourg et le Sud Ouest (presque) de l'Allemagne, nous vivons dans un flux nuageux et frais qui nous pourri le début de l'été après avoir pourri une bonne partie du printemps....

 

A l'EST, rien de nouveau : En Ukraine, nos "gentils joueurs" de Football ont encore perdu...Mais comme il semble qu'ils attendent avec impatience leur retour en France pour pouvoir partir en vacances avec leurs chéries, ils ont fait tout ce qu'il fallait pour cela....N'en parlons plus....

 

Au SUD quelques photos supplémentaires de la part de notre amie CLAUDINE qui a été surprise de la célérité avec laquelle j'avais édité les premières. Voici les suivantes.....Elle poursuit son retour aux sources... Y aura t il une suite????

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  Retour dans ma classe de CM1 au Guéliz... 50 ans aprés.RIEN n'a changé! Même peinture, même carreaux, même mobilier. Il n'y avait plus l'estrade de l'instit.
 
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Elle est toujours aussi majestueuse!
 
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Les odeurs et les couleurs de la Place....
 
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Lycée Victor Hugo (ex Mangin) les anciens bâtiments tel que je les ai connu.
DSCN0706
 
Attention au trafic...
 
Image
 classe de CM1 au Guéliz  ( nov 1956) ?
 

 

 

Et puis, deux épisodes inédits de notre Roman FIL ROUGE.... Les chapitres 23 et 24 de Habiba.

 

le temps qui passe

les jours qui traînent,

de grands jours vides,

semaines interminables,

tout ce temps qui s’épuise en petits morceaux…

le troisième jour, le quatrième jour,

le jour des prières, le jour du marché,

le jour du train qui le ramène  des fois,

le jour où on l’attend,

tant de jours que j’attends,

mais ça ne sert plus à rien,

il n’y a plus rien,

les jours qui viennent,

les jours qui vont,

ces jours à moi,

qui m’appartiennent à moi

parce que je suis là tous ces jours

et lui, lui, il est là-bas,

je voudrais, le matin,

dès que le matin se montre,

que la nuit vienne à nouveau,

je voudrais qu’il n’y ait plus de jour

pour ne plus attendre la nuit,

je voudrais qu’il n’y ait plus que des nuits sans jour

pour vivre dans ma musique,

pour écouter les étoiles,

pour être avec lui.

lincident 

Au nord du village il y a un immense champ de poussière délimité d’un côté par un fossé qui charrie un magma de résidus pestilentiels et de l’autre par un muret hérissé de barbelés qui protège des chipeurs de courges et de  melons de bordure. Un grand désert animé par quelques footballeurs aux pieds nus quand il ne s’y forme pas un mini cyclone qui file un tourbillon couleur brique et va en poudrer les maisons plus bas dans la rue.

C’est comme ça tous les jours de la semaine, sauf le vendredi, jour de marché.

Pendant la nuit, venue de nulle part, comme née de l’éruption de cent, de mille petits volcans, toute une ville s’est bâtie là, une immense fourmilière, des kilomètres de tentes, des poteaux de guingois et des toits de tôle, un  patchwork d’abris biscornus, un liseré désordonné de camions, une foule de marchands, de curieux, de ménagères, de tripoteurs, de badauds, de traîne-savates et de coupeurs de poches, de portefaix, de pousse-charrettes, balek-balek , et des tonnes de marchandises dont une partie va se transformer en décombres, en rebuts, en immondices, en pourriture, en flaques de boue et en déjections de toutes sortes, comme partout où l’homme ne fait que passer…

Habiba aime bien le jour du marché.

 Le souk

 les sacs de blé

 les ânes à vendre

 les ballots de menthe verte

 les tissus, les outils, la ferraille

 la poussière, les cris, les appels

les montagnes de légumes par terre

les sacs d’osselets aux propriétés indéfinies

les herbes magiques, les poudres mystérieuses

les plats, les bidons,

les tobsil,

les gargoulettes

les épices, les couleurs, les odeurs épaisses, denses l’étal des viandes, les  mouches, le petit balai de sorgho la cahute du fond, le téléphone public à gauche et le bordel à droite, la queue des deux côtés les boulons et le mec qui les trie comme un orpailleur les peaux de mouton, les couvertures de l’Atlas, les tuyaux, les pneus, les pignons, les bougies, la pub, l’odeur des kanouns qui enfument le collecteur mafieux et le voleur à la tire

les poulets vivants attachés par les pattes

 les gendarmes, le caïd et ses sbires

 les camions de pastèques

 les brouettes de fraises

 les chariots de verdure

 les pyramides d’oeufs

 les tomates…

 Habiba vend des tomates au marché du vendredi.

 Elle étale la vieille couverture, elle couvre la déchirure avec un morceau de papier brun, c’est écrit 

Cim«»nt Lafar«».

 Le «» c’est un trou qu’elle recouvre avec le « ge » qu’elle a pris au bout de l’autre mot.

Elle centre le coussin, un peu vers l’arrière, et s’assied en tailleur. Elle aligne les tomates entre ses genoux, trois, puis quatre puis trois, ça fait presque un rond, puis deux par-dessus, puis une, puis une. Ça fait treize. À peu près.

 Elle saisit le bas de sa robe de dessous, crache un petit jet de salive, saisit la tomate du milieu, la grosse et  l’essuie consciencieusement. Elle la replace au centre, sur le dessus.

 C’est beau, ça brille, tout va bien.

 C'est ce jour-là que c’est arrivé.

El Kelb, le contremaître de la ferme des Belges, bavardait avec le forgeron dans l’allée d’en arrière. Une histoire de fer à cheval qui n’avait pas tenu. El Kelb ‑ Le Chien… personne ne se souvient de son vrai nom ‑ c’est un vrai salopard, le type à combines, le type tordu qu’on n’aime pas.

On le craint même un peu. On dit que c’est lui qui aurait incendié la ferme des Gomez, l’an dernier. On ne l’aime pas du tout, même que les types qui jouent aux dames sur la terrasse du petit café aboient sur son passage, et quand il se retourne ils lui font des bras d’honneur et des comment ça va, El Kelb, ouah‑ouah, tu t’en vas mordre une souris

 

Le mépris, quoi !.

 

C’est vrai aussi qu’il y en a qui l’admirent, des jeunes un peu voyous. Surtout qu’ils envient le blouson d’aviateur qu’il a piqué à un marine américain après l’avoir salement assommé.

 

Il y a même des femmes qui… mais c’est une autre histoire, des ragots. D’ailleurs lui, quand il fanfaronne avec les jeunes, il parle des femmes comme des putes, toutes des chiennes en chaleur qui ne respectent pas leur mari, qui ne pensent qu’à dépenser et en plus si tu regardes sous leurs jupes, méfie-toi, il s’y cache une bête qui dévore les garçons trop curieux.

 

Enfin c’est ce qu’on dit, on n’est pas allé voir.

 

En quittant le forgeron il avait enjambé le brasero où rougissait le fer à redresser et s’était planté devant l’étal de tomates.

 

— Salam, Habiba, tu es laide comme un pou. Combien tu veux pour tes tomates pourries ?

 

Il jappe toujours autant, ce fils de chienne, mais tout le monde sait que chien qui aboie n’ose pas mordre.

 

— Tu sais parler aux femmes, toi, El Kelb ! Si mes tomates étaient aussi pourries que toi je cracherais dessus et je marcherais dessus jusqu’à ce qu’il n’en reste que de la boue.

— Tiens, tiens ! Encore une femme qui a la langue bien pendue. Allez, va, je suis pressé.

 Il avait jeté trois piécettes sur la couverture.

 — Je reviendrai plus tard pour les tomates. Tu les gardes pour moi, le temps de faire mes affaires…

 Il ne revint pas.

 La nuit était tombée, les étals démontés, le souk quasi désert. Habi ramassa les tomates, fit un rouleau de son tapis, plia le morceau de papier brun, le glissa dans le rouleau et prit le chemin du retour.

 Il y a des jours où la vie ressemble à un long ruban sans plis ni boucle, un ruban qui ondule à peine au gré du vent, un ruban sans histoire, presque tout plat.

 Ce n’était pas un jour comme ça.

 Elle marchait depuis une bonne demi-heure quand les trois hommes la rattrapèrent à l’endroit où le chemin passait sous le pont. C’était un peu différent cette fois-ci.

 Avec son chacal de mari ça avait été brutal, douloureux, sans suite. Elle avait appris de sa mère que les hommes faisaient ça comme ça et que les femmes avaient été faites pour que les hommes puissent faire ça comme ça.

 

C’est El Kelb qui l’avait bousculée et allongée par terre en premier. Il ricanait devant les autres, ta tomate… je suis venu cueillir ta tomate !

 Puis il se tut.

L’un après l’autre, silencieux, absorbés, ils la creusaient de leur outil comme ils eussent creusé un puits, avec  application, sans un mot, sans un regard, les cils entremêlés, les paupières serrées. Elle crut que c’était fini quand le troisième se retira en essuyant son pénis sur sa robe. Mais l’un d’eux, le premier, le chien des tomates, s’allongea de nouveau sur elle et reprit le travail où ses collègues l’avaient laissé, fouillant, creusant, pompant, explorant.

Elle ne sentait plus rien. Sa présence, ses mouvements, son haleine, sa poitrine écrasée, plus rien. Il n’y avait plus qu’une étrange chaleur qui se propageait du puits vers les genoux, vers le ventre, puis plus rien.

Sans qu’un mot ne soit prononcé.

Les trois types s’éloignèrent dans l’obscurité. La robe était maculée de boue, les tomates écrasées sur sa  poitrine. Les quelques pièces étaient toujours là dans l’ourlet du foulard qui lui tombait sur l’oeil.

 

Là-bas, dans la nuit, altérée par la distance, par la douleur, par la rage, une incantation indistincte, le muezzin clame sa foi du haut de la mosquée. Le cri s’éparpille comme un vol de corneilles. Dans son cauchemar, le saint homme se transforme en une pieuvre diabolique, une hydre aux cent têtes hirsutes, aux bras de méduse, un bouquet de monstres, de tentacules malfaisants, de pénis raidis, mille bouches qui crachent leurs invectives aux quatre coins du ciel, qui hurlent leurs lamentations, des injures qui volent de hoquet en écho, et chaque pas martèle et martèle l’anathème sur son front : 

putain, putain, sois maudite

Aveuglé, meurtri, mutilé, papillon ballotté au gré de la bourrasque des cris, le plastron rouge tomate, les deux mains sur le ventre… il faut que s’achève la nuit, il faut que je m’éveille…

 putain, putain, sois maudite, putain

 

Le Hadj la jeta dehors au début de l’été, quand il fut évident qu’elle portait en elle un deuxième déshonneur.

 

   

pardon

Après que son mari l’eût répudiée, après que ses parents deux fois déshonorés l’eussent rayée de leur mémoire, après qu’elle eût confié son bébé à la voyante qui lui prédisait un avenir doré, Habiba, malgré son gros ventre, fut recueillie par la femme du métayer, moyennant quelques petits services.

Torcher les nouveaux-nés, ramasser le bois mort, remplir les cruches, les outres et les gargoulettes, préparer le repas des ouvriers, briquer les tuiles du patio, laver le linge à l’abreuvoir, traire les six vaches et rêver à ce qu’aurait pu être sa vie, si…

si son père ne l’avait pas tuée ce soir-là…

si Fils-de-Roumi…

Elle pensait à tout cela en traversant la route, son gros ventre en avant, le fagot en équilibre sur la tête, les  yeux baissés, comptant les pas qui la séparaient de la fin du jour, de ce calvaire quotidien, et le chien…

ce maudit chien qui ne cessait d’aboyer, d’aboyer, un cri…

Et ce choc énorme.

Le type était effondré. Elle avait surgi de je ne sais où, sans regarder, un immense fagot sur la tête. Il avait klaxonné, freiné, n’avait pas pu…

— Vous avez vu ça ?

Elle avait quasiment démoli son auto !

 L’âme de Habi plana un instant sur les badauds attirés par les sirènes et les youyous, désolée d’avoir abîmé l’auto du Roumi désolée pour tout ce bois gaspillé désolée de ne plus pouvoir torcher les petits monstres désolée de devoir partir maintenant, de laisser tout en plan si désolée…

 La vieille Mercedes grise, éreintée sous un empilage hétéroclite de ballots, s’arrête dans un horrible gémissement de carcasse malmenée devant la kissaria du village, cette façon de marché en arcades posté au bord des routes pour happer les voyageurs. Le six cylindres expire d’un dernier hoquet de suie noire.

Les cinq passagers et le conducteur s’extirpent du tacot surchauffé et s’éparpillent pour une halte pipi.

 J’en suis.

Après deux heures de cabotage toussotant de derb en souk, de tractations à la croisée des chemins, de haltes - juste deux minutes, monsieur !  - pour déposer un panier et embarquer trois poulets, le vétuste taxi a atteint son but.

Cette escale, qui ne fait pas partie de l’itinéraire des autocars panoramiques - ce qui explique mon triste taxi - n’est pas le fruit du hasard.

 C’est mon terminus, mon village.

 C’est chez moi.

 Vrai que mon accoutrement de broussard fashionable et mon chic sac à dos multipoche détonnent au milieu des djellabas des anciens, des silhouettes voilées et des jeunes aux couleurs du club de foot, mais voilà… je suis quand même chez moi. Un peu.

 Vrai aussi que revisiter, cinquante ans après, la cour de l’école primaire et ses pissotières au grand air, revoir les cigognes unijambistes du clocher de l’église, revivre la fièvre d’un jour de souk, humer l’odeur des brochettes, entendre tinter les grelots du porteur d’eau, je sais, ça pue le pèlerinage bon marché. Mais voilà, dans ce pays, un sphinge juste pêché de la friture, un verre de thé à la menthe et une bonne bouffée de brasero, merde… c’est magique !

Le coeur du village ressemble à ce qu’il était hier, à ce qu’il était il y a plus d’un demi-siècle : c’est la kissaria à l’ombre de laquelle tout arrive, où tout se trame, c’est l’arène incontournable des boutiquiers de tout poil et de tous les trafics, le carré des parties de dame sur un cageot renversé, la piste de course ‑ balek-balek - des portefaix, les recoins à combines des ripoux, c’est les fumées nauséabondes des diesels stationnés sur les talons des chalands, le brouillard de poussière aspiré des champs d’alentour, les clameurs des marchands, les jurons, le chien qui hurle, l’écho de la chèvre entravée sur un vélo…

C’était comme ça, avant , et c’est encore comme ça aujourd’hui.

Sous l’écriteau « rôtisserie > ici les bons chich-kbab » le chef, c’est lui, c’est le type accroupi, le dos au mur, qui agite une branche de doum en guise d’éventail chasse-mouche ; l’adresse, c’est l’odeur du morceau d’os qui rôtit à vie sur son kanoun, « pour la pub » explique-t-il ; le menu, c’est la kesra fendue en deux et refermée sur une poignée de kebabs de foie grillé saupoudré d’une pincée de kamoun.

Je reconnais, en face, la boulangerie de la famille Gomez, à qui papa vendait les « petits chèvres » de la semaine. Le dimanche, des fois, on y achetait un pain. Papa les appelait les POFF – pain, oeufs & fromages frais – une réminiscence des glorieuses années gaulliennes où l’on criait haro sur tous ceux qui s’étaient trop bien démerdés pendant le grand désordre.

Sur le mur pelé, des bribes de mots que je reconstitue sans mal,  Gom z M`re & Filles d puis 1932 et dessous, en caractères plus modestes, pain, oeufs et fro ages frais.

Mais c’est différent…

 Les deux filles en cornette blanche ont disparu, l’enseigne coiffe aujourd’hui un atelier de mécanique. Devant la porte, un tracteur éventré, une pile de pneus usés à la corde, un fût cinquante ans plus tardrouillé d’où suinte un filet de mazout et un type, à califourchon sur un jerrycan, qui répare une mobylette.

Au premier coup d’oeil, c’est vrai, le temps n’a rien changé. Il a juste édenté quelques murs et ligoté les rues de guirlandes de fils enchevêtrés, preuve que l’électricité a rejoint les campagnes.

 Mais… 

Je ne rendrai pas visite aux cigognes : il n’y a plus de clocher sur le toit de l’église.

 Je ne saurai plus déchiffrer les noms sur le monument aux morts : il a changé de martyrs.

 Je ne visiterai pas la classe parfumée au pipi d’écolier : au diable le psychopathe tireur d’oreilles qui se délectait à nous faire trébucher sur la conjugaison des Ornicar.

 Par contre, les brochettes boulfaf, la chiba dans le thé, l’âne et sa charrette démantibulée garée entre deux camionnettes rutilantes, les deux chiens emmêlés, la foule bigarrée, les va-etvient, les tourbillons de poussière, la cacophonie des décibels, les disputes, ce magnifique bordel… tout ça je reconnais.

 Cette carte postale, c’est mon théâtre préféré.

 Du fond de cette pétaudière s’élève un ding ding ding, une cloche familière. Comme un tocsin de bedeau déchaîné.

 C’est le forgeron. Il y a encore dans ce village un forgeron qui sait faire sonner son enclume.

 Je n’irai pas revoir son antre, elle ne sera plus aussi noire, aussi infernale que dans mon enfance.

 Il était énorme notre forgeron, un mastodonte percheron avec des bras d’arbre, une petite tête ronde enfoncée entre des épaules qu’un joug n’aurait pas pu coiffer et des yeux qui reflétaient les flammes de son enfer. Son visage, son torse, ses bras en peau de charbon étaient striés par les coulées de sueur.

 Du matin au soir il pédalait sous la forge, un gros soufflet faisait rugir la flamme, il cognait, cognait comme un dément sur des braises d’acier qui explosaient en vapeurs écarlates et bouquets d’escarbilles.

Qu’il était beau ce forgeron ! C’était le diable.

 Cinquante ans !

 C’était hier, et presque rien n’a changé.

 A droite, l’épicerie de la mère Estragon qui faisait crédit.

 « Allez, mettez-le sur le carnet, pour aujourd’hui … » disaiton.

Juste à côté, il y avait la boutique Rubans & Boutons, à peine un cagibi, dont les murs étaient tapissés de haut en bas de minuscules tiroirs en bois, une cellule monacale qui sentait la rose fanée et l’encaustique.

 Les deux soeurs, deux tristes veuves, blotties derrière le comptoir sur de petites chaises paillées, continuaient à se cacher des franquistes andalous. Par habitude.

 L’une d’elles s’obstinait sur sa tapisserie de Pénélope, sans jamais lever la tête, tandis que l’autre, à peine plus aimable, ravaudait quelque chiffon de bourgeoise en marmonnant le Petit Poème de Lorca.

 Le cagibi est encore là mais une guirlande de carcasses sanguinolentes remplace aujourd’hui les ravaudeuses. C’est Chez Tahar, Boucherie Halal.

Sur la gauche, près du bureau de poste, c’était la maison du Cadi, une espèce de super juge de paix, un policier de la morale,  de la religion et… des affaires de gros sous. Un géant, raide comme un général, le visage gravé des hiéroglyphes de la vérole et sillonné de rides gagnées à force de barouds, de sang et de gloires au nom de la France.

Il portait une longue cape de soie noire ouverte sur le devant, une camisole de flanelle aux multiples boutons et un ample saroual qui bouffait sur ses babouches blanches.

 Il se déplaçait toujours avec deux hommes armés, une  armoire à glace avec une tête de bronze poli sur un cou de taureau et un petit chafouin dont on disait, avant , qu’il avait brûlé quelques fermes de colons.

Les enfants et les femmes se taisaient sur leur passage.

 Aujourd’hui les sbires de cadi portent l’uniforme.

 Un peu plus haut, après l’église, c’est la place du souk. Le souk du vendredi, comme son nom l’indique, c’est parfois le jeudi mais, le plus souvent, le vendredi.

Aujourd’hui c’est mardi donc il n’y a pas de souk. La place est déserte, excepté une douzaine de dromadaires qui attendent le messie. L’un d’eux, le plus taquin, relève sa babine, ajuste son horrible dentier brunâtre et blatère un bon coup vers le ciel.

C’est sa façon de se moquer de la bosse des autres dromadaires.

Je ne sais pas qui a dit que la ville se reproduit par parthénogenèse. Je prétends plutôt que la ville est une méduse géante dont les mille bras s’étendent subrepticement, de préférence la nuit, pour tout engloutir, les collines, les forêts, les rivières, pour repousser les troupeaux, les bergers et les poètes, pour bloquer les ouvertures, masquer les perspectives et gommer l’horizon.

Et j’ajoute qu’ici la digestion semble difficile car, de toute évidence, la méduse régurgite. Derrière le fouillis des bicoques en tôle ondulée qui cernent le village, dans les méandres sinueux de ruelles sans conclusion, à l’encoignure des palissades déconstruites, des labyrinthes inextricables du bidonville, la méduse a chié des montagnes d’immondices, creusé des rigoles pestilentielles, tressé des chapelets de mares vertes et de flaques moussues, et tapissé les fossés au coulis d’excrément.

La périphérie du village c’est l’avant-poste des prochains raids nocturnes, le Q.G. de l’abominable méduse…

En empruntant ce vieux taxi je me suis téléporté dans un autre monde, le monde d’ avant . Par le hublot du bathyscaphe j’ai bien vu que, hormis l’horrible méduse, rien n’a changé.

Les odeurs, les fumées, les cris sont les mêmes. Les humanoïdes de cette planète vont, virent, se meuvent et gesticulent comme des automates, au ralenti, sans me voir, sans que le demi-siècle franchi n’ait vraiment renouvelé leur tournure. Leurs lèvres bougent mais il ne s’en évapore aucun son, les phylactères sont vides.

 cinquante ans

A peine un ronronnement de film muet, sans sous-titres.

 Déconnecté, c’est ça, je suis déconnecté.

 – On y va ?

 La bulle du bathyscaphe explose, retour sur terre, crissements de pneus, sirène d’ambulance, klaxons, une radio à tue-tête, pétarades de cyclomoteur, une femme hurle « Ahmed, va chercher ta soeur à l’école ! ».

Un âne s’en mêle en contralto.

 Je retombe dans le vrai, la montagne de pastèques, le chien qui jappe, les étals de viande, les mouches qui collent, les fumées d’encens sur fond d’huile de friture…

 Je l’aime bien, ce monde, mais je n’en suis plus.

 Depuis si longtemps…

 Le chauffeur me rappelle à l’ordre.

 – Hé, monsieur, on y va ?

On m’avait dit que la maison familiale, la maison du Roumi, avait été transformée en un petit gîte, une sorte de riad à la campagne. Pour le cocher de mon tacot, le Biène‑Bi , c’est tout juste à dix minutes d’ici. Nostalgie, curiosité morbide ou  curiosité tout court… je le saurai bientôt : c’est là que s’arrêtera mon voyage.

Le taxi m’a déposé au bord du chemin :

 – Le riad de Lalla Chkoune, le Biène‑Bi  comme vous dites en Amérique, précise-t-il, c’est là. Juste derrière les arbres.

 Je vous souhaite maintenant une bonne semaine en souhaitant que vous erez nombreux à me laisser quelques commentaires....Votre toujours MICHEL

   
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16 juin 2012

HABIBA 10

Voici la suite promise, trois chapitre de l'histoire de la petite berbère HABIBA
 
t-o-u-j-o-u-r-s
— Demain, tu m’apprendras T-O-U J-O-U-R-S ?

— Non, c’est impossible, Habi, les vacances sont finies. Je m’en vais demain.

— Ah…

Elle savait bien que cela finirait par finir.

— C’est triste que tu retournes là-bas…

— Non, pas vraiment. Tu sais, il y a mes livres, mes amis.

Là-bas, c’est ma vie. Les vacances, c’est un peu comme une permission de soldat – il ricane – ou plutôt, comme l’évasion du prisonnier !

pas sûre de bien comprendre. Elle n’est pas triste pour lui, c’est plutôt ce voile de deuil qui s’abat sur elle, sur le toujours, sur demain.

— Tu penses à quoi quand tu es pas là ?

— Comment ça, quand je ne suis pas là ?

— Quand tu es là-bas, tu penses à quoi ?

— Je ne sais pas, moi, à quoi veux-tu que je pense ?

— Oh, tout ça, les plantes, les fleurs, les oiseaux d’ici…les gens d’ici…

— Oui, bien sûr, ça m’arrive.

— Tu penses à nous quand tu es là-bas ?

Il éclate de rire :

— À nous ? Tout le temps !

Je le savais, je le savais…

C’est l’heure de l’estocade.

— Et tu penses quoi ?

— Je pense quoi ? Qu’est-ce que tu veux que je pense ?

Un doute, infime… l’étrangler, vite !

Elle se jette à l’eau.

— Je te demande si tu penses à Habi.

— Ha ! Et pourquoi que je penserais à Habi ?

— Mais tu m’as dit…

— Écoute, au lycée je pense au lycée, je pense à mes cours, je pense à mes devoirs, je travaille…Il n’avait quand même pas dit je travaille, Moi…

 

— Je n’ai pas vraiment le temps de penser aux chèvres, aux arbres, aux fleurs, à tout ça !

— Ah, bien sûr !

C’est l’évidence même, les cours, les devoirs, tout ça !…Vaincue par la ville pute, la maudite ville des Roumis… Il ne veut pas dire que je suis dans un coin de lui, mais je sais… je suis sûre… Ô mon djinn, vas-tu le laisser partir sans rien faire, me laisser seule encore ?

Elle torture le petit carnet bleu mais rien n’y fait, le farfadet est occupé, il n’écoute pas, il n’entend rien.

Et lui non plus, Fils de Roumi, il n’entend rien.

Indifférence, cécité, et puis toutes ces règles non écrites…Il n’a rien compris, il ne sait pas qu’il s’est installé dans  son esprit, qu’il vit en elle du soir au matin, qu’il réapparaît d’entre les fantômes comme feu follet dès qu’elle ferme les yeux, un halo d’homme dans l’ombre de sa nuit, une rose des sables dans les dunes de soufre, un figuier au milieu du désert.

Il ne sait pas qu’elle voudrait faire parler les silences, meubler le vide infini de ses absences par d’interminables conciliabules, chanter pour lui pour qu’il soit là quand il n’est pas là.

Il ne sait pas, il ne sait rien. Il ne sait même pas qu’elle existe hors de ses chèvres, hors de sa prairie, hors de ses propres rêves.

 

Elle a glissé de sa roche, tournée à demi, elle est là, accroupie, les yeux fixés sur lui. Deux éclairs verts, deux grands yeux en îles d’émeraude dans des lacs de nacre, et ce voile, une brume légère, le regard doux et mystérieux des myopes. Un regard comme une porte sur un abîme de renoncements, de fantasmes merveilleux et de solitude. Tout à la fois.

Il n’a jamais vraiment vu ces yeux. Jusque là, il n’avait jamais été admis dans ce domaine interdit à l’étranger, au passant, celui des yeux pudiquement protégés du monde par des paupières d’ombre, creusées dans les cernes de khôl.

Il émane d’elle un parfum étrange et familier, cette fragrance si particulière entre plume de perdrix et gibier de  poil, l’odeur du garenne fraîchement tué, à peine perceptible, un peu musquée, pas désagréable, cette odeur que le chasseur connaît bien, chargée des phéromones qui font du poète un prédateur et changent le rêveur en conquérant.

Des sémaphores qui épèlent les signaux peur, traque, mort… peau, femme, guerre…

Mais lui, il est déjà loin, là-bas, en ville, au lycée, avec les siens.

— Bon… allez, il faut que j’y aille, dit-il.

— Oui, dit-elle.

Et il est parti. Il n’a rien entendu.

… Tout s’éteint, tout s’efface, tout se dissout derrière les paupières baissées, l’image se rature, le silence, le  morne s’installe.

Elle voudrait mourir, là, maintenant.

Ça fait mal, mal, là dedans.

Il n’y a pas même de larmes, c’est une douleur sèche, muette, le ciel est rouge, la terre sombre, les arbres frissonnent, le grondement dans ses oreilles, insupportable, elle se roule en boule contre la souche, le coeur crie, un rêve, il revient dans le rêve, il lui dit, dans le rêve, un jour je t’emmènerai, la musique, Bach, les robes, la ville, un jour, je t’emmènerai…

Un chevreau lui broute les orteils.

la deuxième vie

Avec l’automne et tout ce qui s’adoucit, qui mature et s’assagit en cette saison, Habiba s’est rapprochée de maman Zouina. Elle a retrouvé l’oreille attentive, réinventé les babillages en duo auxquelles elles se livraient avant.

Mais foin d’histoires de chèvres, de rubans de soie ou de henné… il n’y en a que pour Fils-de-Roumi, son amitié – il m’appelle Habises attentions – le carnet bleu. les heures sous l’eucalyptus – il ma montré la géométrie et lui, lui –  sa peau, couleur de pain doré — Il m’apprend à écrire, il me raconte la ville et quand il reviendra, il sera riche et il me montrera comment construire un pont…

Et dans son coeur elle sait bien que Fils-de-Roumi aime Habiba, qu’il va la demander au Hadj et l’emmener sur son pur-sang blanc vers un destin merveilleux… 

Lalla Zouina est atterrée, elle n’en croit pas ses oreilles. Elle a bien tenté de la raisonner sous une avalanche de mots pareils à des youyous désespérés, in‑in-impur, inadmissible, infidèle, impossible, incorrect, indécent… rien n’y fait, aucun discours ne trouve d’écho auprès de la jeune fille. Quolibets, commisération, prières, colère, menaces, tout y est passé, elle ne sait plus…

Oh, là, là, Habiba-bijou, mais où as-tu la tête ?

Mais Habiba vogue dans un autre monde, le demain qu’elle a inventé, qu’elle a sculpté, un monde parfait où le doute, les obstacles, les objections n’existent pas. Même Lui, là-haut, n’a pas un mot à dire !

— Il va marier Habi ! Non, on en a pas parlé mais…

 Et sa peine était immense qu’on ne la crût pas.

 Intolérable. 

Elle savait pourtant… il ne l’avait pas vraiment dit, mais personne ne pouvait dire qu’il ne l’avait pas dit.  

Un jour, bientôt, sûrement… 

Et non, jamais elle ne se marierait avec un autre !… 

On en était là, ce fameux soir, sous la khaïma. 

Par principe – et sage magnanimité – Le Hadj ne se mêle jamais des affaires des femmes et à fortiori de ces chamailleries animées qui ont toujours lieu le soir, à l’heure du kif. Mais aujourd’hui il a senti qu’il y avait là comme un dérapage manifeste, presque une remise en question de ses prérogatives de chef de famille.  

Mariage… demain… amour… jamais… Oh, là !

Il n’a pas bien suivi mais il se doute qu’il lui faut remettre un peu d’ordre dans les esprits.

Et il a l’habitude de faire court :

— Habiba, c’est non.

Les deux femmes se taisent, interloquées.

Jamais, au grand jamais, Le Hadj n’a imposé, pas même suggéré une solution pour résoudre un conflit entre les femmes de la colline, à tous les étages, de la petite fille à la grandmère, sans oublier les tantes de passage. Mais la situation est critique, il en devient presque loquace :

— Habiba, je dois t’annoncer que tu vas te marier avec Ahmed el Dïb. J’ai accepté sa demande l’an dernier, et j’ai jugé que c’est un bon parti même si la dot qu’il offre n’est pas très respectueuse. C’est vrai qu’il est un peu vieux et pas très aimable mais il conduit le camion du métayer. C’est quelqu’un d’important.

Stupeur, un milli-instant.

Puis l’explosion :

— Oh, non ! Je ne me marierai pas avec ce rustre, ce cochon. Jamais !…

— Habiba, tu feras ce qui a été décidé.

— Jamais ! Le Dïb ! Ce vieux vicieux malfaisant et grossier.

Ce chacal… (chacal s’écrit d-ï-b, c’est pour cette raison qu’il y a deux yeux méchants sur le ï) ce chacal, je le déteste, il pue, il ne m’amènera jamais en ville, il ne m’apprendra pas à lire…

Elle est debout, elle les défie, maintenant : 

— Je préférerais mourir… Je m’en irai… je… vous n’avez pas le droit, c’est… 

— Habiba, pour la dernière fois, tu feras ce qui est décidé. 

Un mur d’incompréhension, c’est le désespoir : 

— Mais c’est impossible, Fils-de-Roumi va m’épouser, il a dit, je crois… il faut… Mais vous ne comprenez rien ? 

Le Hadj, tourné à demi, éberlué, contemple Habiba-bijou, sa fille bien aimée… 

— Le fils du Roumi ? 

Elle hoche la tête les yeux baissés, quête son approbation. 

Lui, c’est simple, il n’en revient pas : 

— Le fils du Roumi !! 

Il s’est levé, il fait maintenant face à Habi. 

Un geste ample, la détermination du bûcheron, un coup à assommer un boeuf. Le cabot jaune, dérangé par la  fillette qui s’effondre, fuit hors de la tente en glapissant. 

La décision du Hadj était prise et la médecine choisie. 

La semaine suivante Habi était mariée. 

Deux chèvres comptant, huit autres chèvres, dont une pleine, plus un bouc, à venir au printemps prochain.  

Le Hadj avait décidé d’étrangler le dragon, d’étouffer le scandale annoncé, de rétablir son autorité et, du même élan, d’offrir à sa fille un exutoire à son débordement glandulaire.  

Malgré l’estime toute relative que l’on portait au fiancé de circonstance ‑ et le ridicule de la dot ‑ Le Hadj avait décidé que la prunelle de ses yeux aurait un mariage digne d’elle et de l’amour qu’on lui portait.

La cérémonie donnerait donc lieu à une grande fête qui durerait toute la journée et toute la nuit, et le jour  d’après.

Dès petit matin les femmes avaient envahi la khaïma pour laver, pomponner et poudrer la jeune fille. On avait même apporté du lait d’ânesse pour lui masser le visage et les parties tendres du corps.

La vieille Amina, miraculeusement rajeunie d’un demisiècle, et Malika, l’amie de toujours, s’étaient partagées la cérémonie du henné afin de lui garantir bonheur et prospérité – une garantie qu’on sait être aussi éphémère que la persistance des motifs dessinés sur les mains de la fiancée.

Des générations de vêtements et de bijoux avaient été exhumés des malles, dont un magnifique caftan, une superbe robe longue en soie bleue avec des broderies sophistiquées sur le devant, des passementeries dorées avec des millions de petits boutons, des franges torsadées et des rangées de paillettes.

Et puis des foulards en satin de Chine, des fichus de mousseline arachnéens, des voiles en taffetas persan et de larges ceintures de cuir blanc clouté d’or pour souligner la taille. Des babouches neuves en cuir jaune complétaient l’attirail.

C’était magnifique.

Il avait fallu partager tout ce bonheur avec le village.

On avait juché la fiancée au visage dissimulé par les voiles sur la mule brossée et décorée pour l’occasion de  guirlandes, de colifichets, de houppes et de pompons.

On avait loué un orchestre de deux musiciens pour suivre le défilé et le fiancé avait même invité une fille du nom de Salomé qui, disait‑on, exécuterait la danse des sept voiles dans la soirée.

Pour le moment elle se contentait de faire tressauter ses hanches, son nombril et d’autres parties du corps avec beaucoup d’élégance.

Des hommes habillés de gandouras blanches, chargés de porter les plateaux de cadeaux et de nourriture, suivaient en dansant, accompagnés par les musiciens.

Les castagnettes karcabous tintaient, la flûte zinzinnait, le luth gnaoua se plaignait, le tambourin tambourinait.

Une nuée d’enfants couraient autour de l’équipage, criant, sifflant, chantant.

Les chiens aboyaient.

C’était vraiment magnifique.

Dans la soirée, les femmes réunies autour des plateaux de cornes de gazelle et de thé à la menthe commentaient la différence d’âge entre la jeune fille et le rustre mais un mariage est un mariage et personne, les invités pas plus que la fiancée, n’aurait osé exprimer quelque désapprobation.

Quant aux hommes, ils faisaient peu écho aux plaisanteries grivoises du prétendant et se contentaient de vivre le moment présent, des images salaces dans la tête, la bouche pleine et les doigts gras de méchoui.

A un certain moment, bien plus tard dans la nuit, des youyous avaient éveillé ceux qui somnolaient autour du feu et les femmes étaient sorties de la khaïma en chantant et en dansant.

Elles avaient vu ce qu’il y avait à voir et elles pouvaient confirmer que la jeune Habiba s’était présentée pure à son mari. Et grâce à Dieu elle venait d’échanger son état de jeune fille pure pour celui de femme mariée…

Six mois plus tard la belle Habiba était grosse comme une génisse, le solde en chèvres n’avait pas été payé et le mari improvisé parti bien avant qu’elle ne soit délivrée. 

Pendant les quelques semaines où il avait défloré, honoré et dressé sa nouvelle épouse, celle-ci habitait sous la tente de la belle-mère qui avait trouvé en elle l’esclave dévouée qui lui manquait.

Le mari éphémère parti, le bébé (une fille, hélas !) vit le jour dans la mélancolie d’une journée de printemps particulièrement pluvieuse. 

Face à la perspective d’une bouche supplémentaire à nourrir la belle-mère aida sa bru à ficeler le marmot sur son dos et l’encouragea vivement à regagner le domicile paternel.

la mort du Djinn

Le Hadj attacha deux belles poules par les pattes, emballa six oeufs du matin dans une feuille de papier journal et un bon kilo de smen bien vieilli dans un torchon humide.

Il apporta le tout au Roumi pour négocier le retour de Habi, harnachée de son arapède endormie.

Il avait fait une erreur de jugement, il avait été bafoué par un individu malhonnête, humilié pour ce que l’on disait de sa naïveté,

si malheureux pour la mère de sa fille que Dieu la garde dans sa grande miséricorde -

si honteux pour la fille de sa femme que Dieu la punisse pour ses errances et son insubordination 

si chagrin pour l’enfant de son enfant que Dieu la protège, malgré tout - une enfant sans père, une enfant sans nom, une enfant qui n’existera pas, qui n’ira pas à l’école, qui n’aura droit à rien.

Bref, si le Roumi ‑ que Dieu le bénisse, le garde près de lui et récompense sa grande générosité ‑ voulait bien pardonner Le Hadj d’avoir engendré une fille si peu digne de sa bonté, alors Habiba reviendrait travailler à la maison du Roumi, nettoierait partout, balayerait le plancher, laverait le linge, époussetterait les meubles, ferait les courses, chercherait l’eau, guiderait les chèvres, nourrirait les poules et le cochon, brosserait l’âne, trairait la vache, et elle ne dirait plus de bêtises, plus jamais, et elle n’ennuierait plus personne avec ses chimères.

C’est bien, on la reprendrait pour les vacances de Noël. 

— Tu sais, la petite bougnoule, elle est revenue. 

— Qui ça ? 

— Habi.

— Elle ne s’était pas mariée ? 

— Si, mais ça n’a pas marché. 

— Ah… 

— Son père a demandé qu’on la reprenne. 

Ça faisait presque un an. Fils-de-Roumi espérait bien qu’elle ne l’emmerderait plus avec ses histoires de djinns et ses leçons d’écriture, rien à foutre, bien d’autres choses en tête, le tournoi de handball, la boum de Noël ‑ ah, les Platters… ‑ et puis les copines, les examens, tout ça quoi… 

M’ouais, quand il la verrait, il lui dirait tout net… 

C’est à cet instant qu’elle apparut, encadrée par la porte de la cuisine. La silhouette hiératique, impériale, d’une  Néfertiti, les yeux mi-clos, un regard sans regard, un masque de sphinx, l’indifférence absolue. Curieux, cette sensation d’être transparent. Et le marmot endormi sur son dos ! 

Habi glisse, elle flotte sur ses pointes, le menton relevé la grandit. Ses yeux balaient, dardent, les murs, les gens, les meubles. Défient. L’impératrice déchue a régné sur des milliers d’années de femme, des milliers de pieds nus, des milliers de ciels, sur des rivières de larmes, sur des chagrins infinis… 

Habi, le temps d’une comète, le temps d’un soupir, tu as été cette vestale sublime et puis tes paupières sont retombées devant la lumière, tout est redevenu normal, tellement normal. 

L’ombre silencieuse, discrète, la petite bonne sans histoires… 

— Ah… Habi, tu veux voir, pour la gargoulette… une pause, puis :

— S’il te plaît. 

C’est presque une prière, le ton a changé, ça fait presque mal, ce n’est plus comme avant… mais c’est presque pareil.

Dans deux jours, il n’y paraîtra plus. 

Je l’ai revu, il est revenu.

On dirait qu’il a changé, il est plus fort, plus grave. Il m’a à peine regardée, comme si j’étais malade. C’est peut-être l’odeur des chèvres, il a oublié.

Les vacances c’est beaucoup de travail, il y a plein de monde dans la maison, les femmes qui se racontent n’importe quoi, à tue-tête, d’un bout à l’autre de la maison, les enfants qui se culbutent, se tiraillent et se cachent dans toutes les pièces, les chasseurs qui parlent fort, boivent beaucoup et mangent tout le temps, sur le piano, dans la cuisine, devant la cheminée, c’est comme une fête, ça entre, ça sort, ça crie tout le temps, ça salit, ça bouscule, ça court dans tous les sens… Et tout d’un coup, plus rien, le silence. Ils sont tous repartis.

Fils-de-Roumi aussi. Il ne m’a pas parlé. D’ailleurs je ne lui aurais pas permis, une femme comme moi, mariée et tout, il ne faut pas parler avec un Roumi. C’est vrai que je n’ai plus de mari, mais Le Hadj m’a expliqué…

Il était revenu une autre fois, mais il y avait encore du monde et aussi la fille aux cheveux noirs. Lui, il était  toujours juste arrivé ou prêt à repartir, comme s’il ne pouvait pas rester, un peu, comme avant.

Même qu’elle avait voulu lui donner son talisman, mais c’était trop tard. Elle avait enveloppé la pierre noire avec la strie blanche dans un bout de papier brun et elle l’avait mise sur la chaise près de son lit à lui, quand elle avait fait la chambre.

Pour lui porter chance.

Elle avait même dit à son djinn de bonheur de veiller sur lui parce que, elle, elle n’en avait plus besoin. Le  lendemain elle avait retrouvé la pierre dans le papier brun, sur la chaise.

Il ne l’avait pas prise.

Il ne l’avait même pas vue.

Bonne lecture et suite au prochain article. Votre Toujours MICHEL
   

 

 

   
   
16 juin 2012

Un tas de souvenirs et de photos....

Bonjour chers amis Blogeurs...Il s'est encore passé plus de deux semaines depuis le dernier article. Ais je des excuses? Non pas vraiment,si ce n'est qu'un court passage à l'Hôpital dont je suis bien sorti. Je ne veux pas tout vous dire mais je marche de nouveau normalement et je souhaite que cette gêne ne revienne pas trop vite (Le chirurgien me l'a prédit).
Ensuite...J'ai pris aussi un peu de temps pour ouvrir un compte sur Facebook (à la demande de mes enfants: Papa....ce serait bien si tu étais aussi sur FB pour......). Donc le temps de prendre en main cet inscription sur ce nouveau moyen de communication, de créer un groupe que j'ai intitulé "Marrakchamis" et qui attend tous ceux qui seraient intéressés par une participation active. J'avoue être un peu craintif pour le Blog, car j'aimerais toujours recevoir de votre part, ces anecdotes et ces photos qui viennent le faire vivre....Pensez à moi.
Aujourd'hui je prends place devant mon clavier pour vous rejoindre.
Oui je sais, la dernière fois, les photos ne sont pas passées. Le pourront elles aujourd'hui?  Je vais tout faire pour...Celles de notre couple d'amoureux, amoureux de Marrakech aussi. A leur retour ils m'avaient envoyé ceci. Merci DONA et ERIC.
 
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IMGP01583
 
IMGP01641
 
J'ai fais un copier-coller d'un article de Wikipédia pour vous commenter ces photos.

Aït-ben-Haddou est situé dans la vallée de l’Ounila, au sud de Télouet, fief du Glaoui, vallée qui était un point de passage traditionnel des caravanes reliant Marrakech au sud du Sahara.

C’est un exemple frappant de l'architecture du sud marocain traditionnel, sur le flanc d’une colline au sommet de laquelle se trouvait un grenier collectif. Le village se présente comme un ensemble de bâtiments de terre entourés de murailles, le ksar, qui est un type d'habitat traditionnel présaharien. Les maisons se regroupent à l'intérieur de ses murs défensifs renforcés par des tours d'angle.

Tout autour de ce douar un ensemble de villages se regroupe. Tous ont été attirés par une rivière qui traverse une vallée. Les habitants de ces douars sont pour la plupart des berbères anciennement nomades qui ont ensuite choisi la sédentarité pour des raisons diverses.

Le ksar d'Aït-ben-Haddou est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1987. Surnommé « le Mont-saint-Michel des chleuhs2 » pendant le protectorat français.

Mais ils n'ont pas été les seuls à visiter le Sud marocain. Notre amie CLAUDINE, dont le père était sur la BA 707 dans les années 1960 me fait parvenir "Mon retour aux sources"

 

Mon rêve a été longtemps l'espoir de retourner sur les traces de mon enfance à Marrakech.

J'ai rêvé de nombreuses années avec mes souvenirs, j'ai cassé la tête de mon mari et de mes enfants avec "MON" Maroc.

Et pour mes 60 ans,ce fut mon cadeau! Les enfants avaient écrits sur ma carte :

"TON DEVOIR REEL EST DE SAUVER TON REVE".

C'est le bonheur que j'ai pu réaliser.

C'est la gorge serrée que j'ai pu refouler ce sol le 5 mars 2008 après l'avoir quitté en janvier 1961.

Nous avons fait une semaine de circuit MARRAKECH - OUARZAZATE. Puis 1 semaine stationnés à Marrakech pour redécouvrir la ville.

A travers le Haut Atlas et le franchissement du col TIZIN-TICHKA 2260m, nous sommes arrivés dans un paysage grandiose et désertique, prélude du sud fascinant. 

Puis ce fut la route des milles Kasbas Skoura - Kelaa Mgouna, Boulmane Dades .

Aprés un déjeuner au bord des gorges du Todra (grandioses), nous avons visités la vallée du Dadés , puis retour à Ouarzazate pour le soir.

Le lendemain : visite des Kasbahsde Taourirte et du village de Ait-ben -Haddou.

Puis ce fut sur la route de Zagora : Agdz et la vallée du Draa.  Visite du Ksar Tissergate , Erfoud , Alnif et sa belle palmeraie.

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Excursion en 4x4 sur la piste en direction des dunes de Merzouga pour y attendre le coucher du soleil. Grand moment dans le silence du désert en compagnie d'un "homme bleu" qui assis près de moi, m'apprenait à écrire son nom et moi le mien sur le sable fin en attendant le coucher du soleil.

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Le lendemain départ sur Midelt par Errachidia, avec la traversée du Ziz.

Aprés un bon tajine, nous continuerons sur Beni-Mellal en traversant le Moyen Atlas.

Le 7ème jour direction Kelaa Sraghna une des plus importantes régions agricoles du Maroc . Il y pousse absolument tous les fruits et légumes possibles .

Et le soir Retour à Marrakech pour une petite semaine de redécouverte.

A vrai dire ce 1er contact après tant d'années a été difficile pour moi, car je n'y retrouvais plus "mes marques", la ville avait beaucoup évoluée, des chantiers partout, des avenues immenses.

Je n'ai pas retrouvé toutes ces jolies villas qui faisaient le charme d'une petite ville de province.  La ville s'est étendue englobant les douars aux alentours. Ce qui permet de voir sur la route voitures, mobylettes, ânes, chameaux et troupeaux de moutons. Tout ce petit monde ne respectant pas vraiment les feux tricolores permettent un concert de klaxons des plus folklorique!

Mais très vite dans les souks, sur la place Djemaa el Fna , les odeurs, les épices, les couleurs, l'animation : j'ai fait un bon de 40 ans en arrière. On reprend vite le "mode"de vie cool et la douceur d'y vivre.

Grace à ce premier contact mon mari Philippe comprends mieux mes récits, les lieux etc...

J'y ai retrouvé les lieux incontournables: le jardin Majorelle , la Mamounia etc...

Nous sommes rentrés avec pour moi plein de soleil dans les yeux .... 

M'étant promis de revenir, nous y sommes retournés en mars 2011 uniquement à Marrakech que j'ai arpenté à pieds de long en large pour y faire "mon pélerinage"et y retrouver tous les lieux où j'avais vécu ( écoles, lycée, églises, piscine, Base aérienne etc...) ce que j'ai pu faire avec un bonheur que tu ne peux imaginer.

Voici un résumé de mes retrouvailles avec mon pays de coeur après une si longue rupture.

Claudine, merci de nous avoir fait partager le récit de ton rêve exaucé...Je vais éditer toutes les photos que tu as joint à ton courriel pour que nos amis puissent aussi en profiter....

Si ce récit vous donne des idées, je serais toujours là pour les concrétiser sur NOTRE BLOG....

C'est aussi Gérard AEBISCHER qui m'a un peu poussé à m'inscrire sur Facebook car j'avais reçu ce courriel de sa part et il m'avait intéressé en m'invitant à visiter son profil. Je vous en donne lecture après en avoir retiré quelques lignes qui me sont personnellement adressées.

Bonjour!

Je suis né au Maroc( Mazagan) en 1950, mon frère Jean-Yves est de 1947. 
J'ai vécu à Marrakech jusqu'en 1970, et y suis retourné très souvent, puisque ma mère, elle, y est restée jusqu'en 1981...Mon père était militaire de carrière, au Camp Mangin, ........
 Maman n'a jamais voulu quitter Marrakech...Elle était d'abord institutrice à l'école primaire du Camp Mangin, puis à l'école du Guéliz, puis les Oliviers...ensuite, prof d'histoire géo au Lycée Ibn'Abbad, (ancien Mangin), puis dans divers établissements marocains, où elle a enseigné le français...
Parallèlement, elle a été prof de musique  à Victor Hugo, chef de choeur, déléguée des "Jeunesses Musicales", etc, etc..... 
Si tu veux plus de détails sur mon parcours, je suis sur Facebook, à mon nom...

 .........

Je pense que nos parents devaient se connaître...Nous étions très amis avec une prof d'Hassan2, qui s'appelait Françoise Ballot...  

Moi, j'ai fait mon CP à l'école du Camp Mangin, le reste à l'école des Oliviers, puis 2 ans au Lycée Mangin, et le reste à Victor Hugo...J'ai eu mon Bac en 70, puis, la France... 
Voilà pour les présentations...Notre mémoire fera son chemin...!Amicalement...Gérard.

Un nouvel ancien qui vient rejoindre NOTRE BLOG. je lui souhaite la bienvenue et l'invite, comme tous les nouveaux, à se plonger dans ses cartons à chaussures et à nous faire partager les photos de l'époque qui seraient encore en sa possession. Il m'en a déjà fait parvenir 3. Les voila.

 Ecole_des_Oliviers

L'Ecole des OLIVIERS

Eglise_des_ST_Martyres

L'Eglises des ST Martyres

Lyc_e_victor_Hugo

Le Lycée VICTOR HUGO

Il m'a également fait parvenir trois photos de classe. Vous cliquerez dessus pour les agrandir.

La première est de 1958 à l'école des oliviers, l'institutrice est sa maman, le deuxième en 1954 à l'Ecole du Guéliz (2° rang, 4° à droite), la dernière est une photo de 1962 en 5° au LVH (3° rang, 3° droite)

Ecole_des_Oliviers__Maman_19581954_Maternelle_Ecole_du_Gueliz2_me_rang_4_me___droite1962__5_me_Lyc_e_Victor_Hugo_3_me_rang_3_me___droite

Maintenant je devrais vous offrir les chapitres suivants du Roman de JFK notre casablancais-canadien. Mais des problèmes d'édition (Le village où je vis n'est pas encore complètement équipé en "Haut débit" et cela fait deux fois que je recommence TOUT) me font penser que je vais envoyer cette première partie et mettre les  trois chapitres d'Habiba dans un autre envoi....

Je vous souhaite une bonne fin de semaine. Votre toujours MICHEL

Notre marrakech 45-70
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