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Notre marrakech 45-70
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27 juillet 2012

De la fraicheur, un album photo et HABIBA 13.

Une semaine  pleine de beau temps... Dans notre région c'est quasiment exceptionnel. Nous avons déjà eu tellement de mauvais jours en juillet. Même certains soirs nous avons été tenté d'allumer un petit feu.
Bien sûr, maintenant qu'il fait chaud, il fait presque TROP CHAUD, nous avons donc choisi PAULA et moi d'aller faire la promenade du soir sur une petite route ombragée et qui suit un ruisseau à l'eau fraîche.

J'avais emmené mon appareil de photos et je vous offre quelques images de cette sortie..

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De l'ombre ....

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et de l'au fraiche.

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SAM_0260

Toi tu fais ce que tu veux, mais je me baigne..

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N'insistes pas... je ne veux pas sortir.

SAM_0265

Moi j'aurais bien piqué une tête dans ce joli plan d'eau.

 SAM_0267

Certains d'entre vous sont déjà partis en vacances et en sont même revenus. C'est le cas de notre ami MARCEL, l'initiateur des "petits cailloux blancs" qui de retour à la maison m'a fait parvenir ce courriel accompagné d'une vieille photo...

 Ami Michel 

Je suis rentré de vacances cette semaine et  comme Claude Martinez m'a fait passé cette photographie je m'empresse de te la transmettre en étant certain qu'elle te fera plaisir .Je saisi l'occasion pour te remercier encore une fois pour ton blog. J'ai, pour le fun, relu quelques pages du blog , c'est une mine.
 
Conseil_de_r_vision___MARRAKECH_classe_46
 
Vous allez reconnaître quelques uns de vos amis, copains, camarades de classe ou voisins...
Laissez nous des noms en commentaire.
 
Claudine qui a vécu à Marrakech sur la BA 707, a fait comme tous les autres. Elle y est retounée et pour notre plus grand plaisir elle m'a fait parvenir ses photos....
Ce sont souvent les mêmes, mais comme je le disais à Gérard qui a publié un album concernant Marrakech sur sa page facebook, ces photos ravivent en nous des souvenirs enfouies dans nos coeurs et nos mémoires..
Comme il y a 23 photos, j'ai fait un album intitulé "LES SOUVENIRS DE CLAUDINE" que vous trouverez dans la colonne de droite. Allez y et dites nous ce que cela vous rappelle. Merci pour elle.
 
Et Maintenant quelques chapitres supplémentaires de notre petite princesse HABIBA.
 
sidi omar

Le profil aquilin de la Toubiba se découpe en contre-jour sur la baie vitrée du salon. Portable à l’oreille :– C’est l’hôpital , murmure-t-elle.

Comme si elle avait à se justifier. Derrière elle, dehors, une femme avec un énorme ballot sur la tête trottine sur fond de figuiers de barbarie. 

Un vénérable barbu enturbanné, posé en amazone sur les hanches de son bourricot, suit la femme au ballot. Il a un bras en écharpe, brandit une ridicule baguette de chef d’orchestre, et chantonne une rengaine du genre un éléphant, ça trompe, ça trompe…en tapotant le cou de son destrier.

Magnifique, l’immense hiatus, les dix siècles d’infini, entre ce couple préhistorique et la modernité de la Toubiba !

 Une voix hèle l’équipage. C’est Caporal Latifa. Hadija aurait besoin d’un ou deux poireaux, d’une poignée de haricots verts, une pastèque et aussi une poule pour demain.

 D’un bref Hô-ô, le vieux stoppe son quadrupède et plonge dans la double poche de son berda, une sorte de puits à la générosité inépuisable. Deux poireaux, les haricots verts et une belle pastèque, voilà !

 Latifa, le butin enfoui dans son tablier, l’invite à entrer :  

– Alors, Sidi Omar, tu viens prendre le thé ? 

– Non, merci. Tu comprends…  

le vieux n’a vraiment pas le temps de descendre de son âne, il faut qu’il retourne à Benslimane. Il pense y arriver avant la nuit. En vérité, il aurait bien donné son bras valide pour un verre de thé avec le caporal mais voilà, on ne fraye pas avec des femmes seules quand on est un type respectable, m’explique la Toubiba.

Le ballot, la bourrique et son cavalier ont dépassé la bergerie quand ce dernier se retourne encore et crie :

– Hé-ho, Lalla Latifa ! Si tu as besoin d’autre chose pour demain, tu me rappelles !

Je m’étonne :

– Comment pourrait-elle le rappeler ?

– Mais… sur son portable, évidemment !

J’aurais dû m’en douter !

Le vieux sur son âne, la femme au fagot… une image biblique, dring - drinnng ! mon esprit vagabonde :

C’est Joseph, il est arrivé le premier à l’étable, il s’impatiente… Les rois mages traînent en arrière, on ne les voit plus. Il saisit son portable, l’ouvre, slac, pianote une croix, en haut, en bas, une fois à gauche, une fois à droite, amen, et dans le lointain la glorieuse sonnerie, les trompettes de Zarathoustra…

« Allo ! Balthazar, c’est toi ? Oui, c’est Joseph… oui… ça va ! Marie aussi, ça va ! N’oublie pas la myrrhe ! »

Souvent, quand j’ai l’esprit vagabond, je ris tout seul.

Caporal Latifa croit que je me moque d’elle, remonte son foulard sur le visage, marmonne un commentaire et s’éloigne avec son bouquet de poireaux.

Un téléphone sonne, c’est Zarathoustra… je ne rêve pas.

Non, c’est la fille du vieux qui vérifie si le vieux est bien passé, si tout est en ordre. Oui, tout va bien, il est en route. Leila me prend à témoin :

– Il lui reste encore quatre heures de route, quatre heures à haranguer son bourricot avant d’arriver chez lui… C’est quand même renversant, à notre époque !

Je pense à la boutique-bourricot, au téléphone qui sonne du Strauss dans le burnous du vénérable barbu. C’est ça qui est renversant, non ?

Le tajine de garenne au boulaouane.Je craignais que mon statut de visiteur distingué  ne me condamne à dîner seul à la table d’honneur mais la Toubiba, malgré les gros yeux du Caporal, m’a invité à me joindre à ces dames, à l’office, cet espace à la vocation indéfinie. De mon temps on y rangeait chaudrons et ustensiles, la baratte à beurre, le tonneau de choucroute, le linge de maison et la vaisselle, c’était le garde-manger, il pouvait servir d’abattoir ou de jardin hydroponique (1), on y déjeunait bien sûr mais, grâce à la table de monastère qui en occupait le centre, c’était surtout le forum familial, une sorte de place du village où se réglaient les problèmes quotidiens.

(1): Se dit des cultures pratiquées sans terre, avec le seul apport de solutions nutritives. (Note de Moi, car je ne connaissait pas le terme.

Quant à la cuisine, spacieuse, rustique en tout et grossièrement pavée, elle n’a pas été modifiée et devrait encore plaire aux cuistots les plus difficiles. Du grès et du béton pour les paillasses, un billot de bourreau, un évier taillé pour y épiler un cochon, des appareils à cuire à la broche et à l’étouffée, tout invite à peler, plumer, pétrir et tremper ses doigts dans la sauce.

Il n’y manque que le vieux frigo à pétrole qu’on a remplacé par un beau parallélépipède en acier inoxydable. Après quelques minutes de gêne réciproque, comblées par des oh ! et des ah ! dévolus autant à la géographie de l’endroit qu’au parfum des mijotés, la discussion que j’avais interrompue reprend entre la Toubiba et chef Hadija.  

– Un tajine pour demain, oui ! Et pourquoi pas ton mrouzia (2) , tu le fais si bon. Et, tiens, on pourrait commencer par une petite b’stila. Ton vieux marchand va te trouver deux ou trois pigeons, allez ! Je suis sûre que monsieur Paul… 

– Le chibani, Leila, le chibani ! C’est quand même plus cordial que Monsieur Paul Henry !

 La Toubiba se tourne vers moi en souriant : 

– J’en discuterai avec Myriam, il nous faut avoir son avis sur le sujet. Nous parlions de faire une b’stila pour demain, qu’en pensez-vous ?

 – Oh ! J’aimerais bien ! La pâte feuilletée, les amandes, la cannelle… c’est un plat de roi !

 – De reine, Monsieur Paul Henry, de reine et de cuisinière inspirée !

 – Je n’en doute pas ! D’ailleurs, vous-même, n’êtes-vous pas reine et cuisinière ?

 – Reine, je ne crois pas, mais cuisinière, ça, non ! Sans ma bonne Hadija, j’en serais réduite aux légumes crus et aux biscottes trempées dans le café !

  – Vous exagérez !

 – Oh que non ! Mes parents adoptifs avaient confié tout un pan de leur vie domestique à des prêtresses pour qui le paradis était un marché, leur chapelle une cuisine et leur mission sur terre l’élaboration de plats raffinés pour une petite fille gâtée.

 J’ai été très, très gâtée, vous savez !

Non, je ne sais pas… des parents adoptifs ? Et madame Chkoune ? Je suis un peu perdu dans la généalogie de la Toubiba, mais elle est lancée :

– On les appelait les dada. Dada, c’est plus joli que maître queux, non ? Il y avait dada Zohra, la rouleuse de couscous, et dada Hamra, dada la Rouge, parce qu’un jour elle avait égorgé un mouton. Elles pouvaient rester accroupies toute la journée à rouler la semoule, mélanger les épices, griller des piments ou compoter des clémentines au gingembre.

Elles savaient tout faire, le méchoui à l’étouffée comme on le fait à Fès, le tajine aux dix saveurs de la petite tribu du Tichka, la harira des nuits de ramadan, et même récolter le miel sans bousculer les abeilles.

– Vous étiez à bonne école, finalement !

– Pas du tout ! La cuisine était leur chapelle, mais une chapelle de cloître, inaccessible au commun des mortels. Il n’aurait pas fallu les déranger pendant qu’elles officiaient.

le tajine

Quant à leur demander de révéler un de leurs secrets, c’était comme s’adresser à un mur ! Deux vrais dragons, nos dada, et si dévouées… Elles doivent concocter des mijotés divins dans les cuisines du paradis, aujourd’hui !

Un temps… puis, haussant la voix vers les deux femmes qui s’affairent aux fourneaux :

– Heureusement que j’ai mes amies pour me chouchouter !

– Hadija va faire Mrouzia, demain !

Malgré sa réputation de commère intarissable je ne l’avais pas encore entendue, la bonne Hadija. Je l’encourage : 

– C’est quoi,  Mrouzia, madame Hadija ?

Elle se redresse, elle rajeunit de dix ans, la bonne femme ! Ses yeux brillent, c’est Ferran Adrià sculptant trois bulles moléculaires pour un parterre de disciples toqués dans un langage international :

 – C’est tajine le mouton, sucré le miel, c’est beurre, le raisin, les amandes, du cannelle et un chouia ras-el-hanout, c’est trois heures le fourneau, c’est, ah ! c’est… tajine ! Allez, toi, demain : mrouzia !

Et pendant qu’elle m’explique, elle roule, elle plie, elle malaxe, elle touille… De grands gestes, des bras ronds, pleins comme des mortadelles, des mains fortes, grasses, et des doigts dodus avec des petites fossettes à chaque articulation, des doigts assez barbares pour démembrer une poule ou arracher une tripe, des doigts tendres pour les petits farcis, des doigts qu’elle suce, pour assaisonner.

 Leila interrompt la démonstration :

 – C’est bon, Hadija ! Ton lapin… il devrait être prêt, non ?

 Le gentil berger avait apporté un lapin piégé près de la bergerie. Il pensait qu’un tajine de lapin aux raisins verts ce serait bon pour mademoiselle Myriam.

On sait depuis toujours que les gentils bergers sont tous amoureux d’une inaccessible princesse.

 Latifa nous a servi un vin gris qui, nous explique-t-elle, vient du bled aux nuits fraîches où le soleil se repose l’aprèsmidi avant d’oser escalader les contreforts de l’Atlas. Nous trinquons donc aux vignes de Boulaouane, au soleil de l’Atlas et au garenne au verjus.

La soirée avance.

Ces dames échangent sur des sujets dont l’importance m’échappe. J’ai décroché. En fait mon spleen, cette angoisse que je cultive comme un chagrin secret, je crois en avoir trouvé l’origine. C’est l'absence d’Alfred.

Il farfouillait dans toute la cuisine, Alfred. Sous la table, derrière les paniers, la baratte, jusque entre nos orteils, il farfouillait à la chasse aux miettes.

On l’aimait bien, le vieil Alfred. Il souriait tout le temps, malgré sa patte folle. Oui, il ramait large de la gauche, comme un corsaire à jambe de bois.

Mais, comme tous les canards hilares, il avait quand même fini en canard rôti, sur un lit de petits navets au caramel.

Mektoub !

 
shéhérazade

Je suis bien sur ce canapé. La Toubiba est belle, l’enfant assoupie. Une pause… un silence à peine ébréché par le crépitement du feu dans la cheminée.

La lune s’est levée, un rayon roux s’est glissé par le vasistas et silhouette la théière qui fume encore. Dehors, un chacal hurle un amour incompris. Le vieux chien ronchonne entre ses pattes, il a le rêve agité.

Mon père est mort ici, il y a si longtemps. D’ici, ils sont tous partis, ils n’ont laissé que des pierres, des rancoeurs et des larmes. Ils étaient sourds aux au revoir et ne se sont pas retournés sur les mouchoirs. Ils se sont réfugiés dans leurs nouvelles prisons et commencé à mourir.

Moi, on m’a dit fils de roumi, un roumi pas vraiment roumi, un marocain pas marocain, et quoi d’autre… oui, le pied noir, in’haldin babak.

Moi, je ne suis pas né étranger, je suis né berbère le jour où j’ai compris que le nom du pays, la voix du muezzin, les poussières de soleil et la couleur du henné avaient fait de moi l’homme que je suis.

Moi, je sais qu’Allah est grand et que, lui aussi, permet à ses ouailles de se faire égorger pour une douzaine de vierges et quelques indulgences.

 Moi, je n’ai rien demandé, ni vierges ni indulgences, je suis d’ici, juste d’ici, je suis fait de la terre d’ici et mon sang a la couleur de la terre d’ici.

 Je suis d’entre les schistes et les figuiers, je suis des racines de l’eucalyptus, je suis du monde des courlis, un disciple du spinulus, ce criquet à la Botero, ce bouddha béat, placide, gros d’herbe et de rosée, et gros de sagesse.

En descendant du taxi, le voyeur que je suis s’était mué en pèlerin. Je croyais atteindre une sorte de bout de route, un terminus familier, mais cette maison ne parvient pas à s’imprimer à l’identique sur l’image qui sommeille dans mon subconscient.

J’ai, c’est vrai, malgré les coussins aux papillons et les complaintes d’Oum Kalsoum, essayé de superposer mon vieux film en accéléré, la vie, les cris, mes frères et soeurs autour de la table, le couscous dominical, le canard boiteux devant la porte, et les odeurs…

J’étais persuadé de pouvoir retrouver ces odeurs qui imprégnaient tout, différentes avec les saisons, les fleurs du printemps, l’eucalyptus des nuits chaudes, le jasmin du crépuscule, le moisi de novembre.

Mais, las, je ne reconnais rien, ni les odeurs, ni l’atmosphère. La maison a été remaquillée, habillée en sultane orientale,parfumée à l’encens. Elle chante une autre langue et ne me parle pas.

Et puis il y a ce velours bleu, les dorures, cette Shéhérazade en Madame Récamier alanguie sur les coussins, l’enfant à ses genoux, le chien endormi… C’est un monde où je n’ai pas de place. Ce pays ne me rejettera pas une autre fois. Je ne suis plus d’ici, je suis chez elles. Je ne peux m’inscrire dans leur histoire ni violer le temps.

Pendant un moment j’ai cru pouvoir vivre de nouveau, de nouveau respirer l’air d’ici, boire cette lumière et écrire le temps qui passe. Sur la table il y aurait eu une vieille Remington avec des  e et des a qui bouchent et une clochette qui aurait tinté au bout chaque de ligne. Il y aurait aussi eu un chien qui ronfle, un gros bouquet de romarin et une odeur d’andouillette grillée.

 J’aurais été un écrivain d’un autre siècle, un incorrigible bohème et un alcoolique heureux. 

Mais voilà, il est tard, j’ai trop de temps perdu dans une autre bulle, je ne saurais même plus apprendre.

Ah, boucler une vie brouillonne dans l’amphore de Diogène ! Y consacrer le temps qui me reste à une oeuvre tout à fait inutile. Je réinventerais l’alchimie pour extraire l’élixir du bonheur de la mouette rieuse, j’apprendrais le russe, je taillerais un cube de grès rose dans un cube de grès rose et je bricolerais une machine à andouillettes…

Mais voilà, il est tard, j’ai trop de temps perdu ! 

Comment c’était…- … ?

 Comment c’était, à votre époque ?

 C’est Shéhérazade, je la croyais endormie. Je dégringole de la machine à remonter le temps.

– Comment c’était quoi ?

– Ici, les gens… comment c’était, il y a cinquante ans.

– Comment c’était…

Comment c’était ? Je ne sais pas. C’était bien, c’était heureux. Vraiment heureux ? Je ne sais plus. Ça sentait bon. C’était dur, parfois. C’est si loin, si différent, quoi !

– Franchement, je ne sais plus. Mon regard a changé !

Dans ses yeux il y a un doute, peut être même de la dérision pour cette tentative de noyer… mais de noyer quoi ?

Un soupçon… mais un soupçon de quoi ?

Comment lui expliquer…

Et puis il y a ce maraîcher qui reçoit ses commandes de  poireaux par  sms  mais trottine quatre heures sur sa bourrique pour les livrer !

Je ne comprends pas. 

Le frigo dernier cri posé de guingois sur un pavé de galets, les poules qui chient sur la terrasse, cette maison grimée en bordel oriental !

Je ne comprends pas.

Tout est si anachronique !

Moi j’habite le siècle d’avant, je vais pieds nus, je me baigne à la cascade, les chèvres grimpent dans les arbres, le soleil sur le champ de moutarde, les enfants dans les blés, l’alouette, les grillons, le jasmin… et le soir, une fugue de Bach ! C’était ça,  à l’époque, c’était comme ça, mon pays .

 – Différent, Leila, oui , enfin… je ne sais pas, je ne sais plus. C’était moins compliqué !

 il y a toutes ces questions qui disent qui tu es et tant de réponses qui n’ajoutent rien. tant de questions qui sont toi et tant de réponses que tu n’écoutes pas

La nuit s’est ancrée sur la terre.

Il y a du noir frangé de bleu tout autour, au-dessus, partout, du bleu noir, des étoiles, une mer de ciel. Il y a des souffles, un gémissement,  ça hulule. Une vague lueur auréole le haut de la colline. Une chèvre chevrote. Cauchemar de chèvre. Et ces parfums de nuit, ces odeurs qui s’additionnent, fleurs fanées, herbe écrasée, poil de tomate, beurre de trèfle, vent de purin…Avant , j’étais entouré, protégé par ces rangs d’eucalyptus alignés comme des poilus de Buckingham, des flèches de cathédrale soutenant le ciel, des remparts qui ceinturaient l’horizon et repoussaient les méchants, d’immenses javelots qui jaillissaient du noir, en noir sur noir, et fonçaient vers la voûte bleue percée d’un million de lucioles.

 Il n’y a plus rien, plus rien de ce vertige, que ce vide infini où même les étoiles ne me reconnaissent pas.

 Un jour je parlerai dix langues, je visiterai Cassiopée, je chevaucherai le chariot de l’Ourse et je disperserai les  poussières d’Orion. Je serai troubadour et je raconterai partout le voyage des étoiles filantes. Et je parlerai à Dieu.

Ce bled m’a instillé un poison de bled dans les veines, un poison dont je ne guérirai plus.

Un ricanement dans l’ombre.

Une silhouette, je ne vois pas bien, un homme, grand, il avance d’un pas, il est maintenant dans la flaque de lune : le portrait de mon père s’est détaché du mur et s’est encadré dans la porte ouverte. Il ne parle pas. Il ne m’a jamais parlé d’ailleurs, pourquoi le ferait-il aujourd’hui.

Juste un ricanement.

C’est étrange ce retour en arrière, je n’étais pas préparé. C’est comme de revenir sur quelques pages après s’être assoupi sur un bouquin. On retrouve un inconnu familier, on traverse un tunnel dont on connaît déjà l’autre bout.

Je voudrais lui demander… je vais lui dire, tu sais… je l’ai fait, tu vois… mais voilà que le marchand de légumes l’a chassé pour s’installer dans son cadre, il se tourne vers le porteur d’eau, leurs lèvres bougent, je n’entends rien, sinon ce bruit de dégluti dégoûtant, le glouglou de la pipe de kif du barbu. De petites bouffées de fumée roulent sur son visage, s’accrochent à son burnous, l’enveloppent d’un nuage bleuté.

Les trompettes de Zarathoustra !

Téléphone !

Le tableau s’efface, la fumée, la porte, tout disparaît… – C’est l’hôpital… 

– Euh…

–  Un accouchement difficile, on craignait… mais ça va. Tout va bien.

 – Ah !

Elle ajoute :

– Vous sembliez perdu, parti très loin…

– Oui, pardon. Je crois avoir fermé les yeux un moment.

– Je comprends… mais, dites-moi, racontez nous donc ce que vous faites si loin de chez vous. Qu’êtes-vous venu chercher dans ce coin de pays ?

 – Oh !  il y a tant de réponses…

– Oui ?

– Des images, des goûts, des… oui, c’est ça, des odeurs… tant de réponses qui n’ajoutent rien.

– …mais je me demandais…

– Oui ?

– Je voulais savoir… mais vous me direz que cela ne me regarde pas !

– Mais quoi donc ? toutes ces questions qui disent qui tu es

– Ne vous sentez pas obligée… je suis tellement curieux.

– Je vous en prie…

– Pensez-vous garder cette maison ?

– Ah… quelle question ! Pour le moment, oui, peut-être… je ne sais pas encore. La décision est difficile parce que les dés sont pipés : il y a ces deux femmes qui ont tout lâché il y a cinq ans pour suivre ma mère, il y a le gardien, le jardinier, d’autres encore. À part le gentil berger, ils sont tous d’âge canonique.

Je leur dois beaucoup et je ne veux pas les abandonner. Et puis il y a Myriam…

– Myriam ?

– Oui, Myriam. Elle voudrait que nous vivions ici, elle aime sa vie d’ici, et les deux vieilles l’adorent. Mais elle confond tout. Je suis médecin, vous savez… Cette pause dans ma carrière, le riad, les vacances, pour elle tout cela coule de source. Elle  supporte mal mes absences mais elle ne comprend pas qu’habiter ici, avec elle, ne me  libérera pas pour autant.

Depuis deux ans, je dirige le service de chirurgie du Royal : cette promotion a fait de moi une sorte de super woman aux pieds d’argile dont on attend qu’elle puisse tout guérir, tout arranger, des plus virulentes épidémies aux peines de coeur de l’infirmière, des cirrhoses de ministre au plus prosaïque des siphons bouchés…

– Ah, ah ! Mais… autour de vous… votre mari ?

la petite n’avait-elle pas dit « Je n’ai pas de papa !»

tant de réponses que tu n’écoutes pas

Leila semble hypnotisée par la ronde frénétique des papillons de nuit attirés par le brasero. Les plus hardis s’embrasent, fusent dans le tourbillon d’air chaud et retombent en vrille lente autour de la théière.

Elle lève les yeux et raconte. 

Vingt ans à manier le scalpel, le catgut et le bistouri dans tous les coins du pays. Moins de vingt mots, une phrase lapidaire pour résumer toute une vie de responsabilités, d’abnégation, d’horreurs, de conflits, de détresse  parfois, de fatigue toujours.

Des études… oui, longtemps, et puis douze ans de fac à Rabat, une spécialisation à Paris et dernièrement… enfin, il y a déjà cinq ans, un stage aux États-Unis.

Un stage dont elle avait ramené un joli souvenir, un mini soldat aux cheveux frisés. Je sais maintenant d’où viennent les petites mers de Myriam, son étrange regard couleur d’aquarium.

– Vous voyez… poursuit Leila, ma carrière, Myriam, l’hôpital, le riad, les deux vieilles… j’ai vraiment besoin de temps pour faire le tri !

– Et, selon l’angle où l’on se place, le fait que cette propriété soit un petit paradis, rend sûrement la décision plus difficile !

– C’est vrai que c’est l’ermitage dont je rêve. Une maison qui ne manque pas de charme… malgré les fantômes qui l’habitent !

– Les fantômes ?

– Oh oui ! Mais c’est une longue histoire…

– Allez !

– Oh… si vous y tenez !

Vous vous en doutez, cette maison a eu une autre vie. Des gens l’ont habitée, des gens dont je ne sais rien. Vous allez rire mais j’ai parfois l’impression que les murs se rapprochent, qu’ils me font des confidences dans un sabir inintelligible.

J’entends même des rires d’enfants !

Bien sûr cela n’arrive que la nuit, depuis que Hadija m’a rapporté des bribes d’histoires, des on-dit invérifiables tant sur les gens qui ont vécu ici que sur les raisons qui ont amené ma mère à s’établir dans la région !

– Ma chère Leila, rassurez-vous, les fantômes n’existent pas. Le temps qui passe efface le temps passé, les rires étouffent les rires, la musique couvre la musique. A la fin du temps il ne reste que des photos de visages muets et des mots vides sur une feuille de papier. Un peu de mystère, certes, mais rien de fantastique !

– Ce n’est pas vrai, professeur ! Ici, tout le monde vous le dira, chaque ombre, chaque pierre, chaque arbre cache son fantôme !

Elle éclate de rire. Tout son visage rit, les yeux, les petites rides près des yeux et la fossette sur sa joue rient.

La petite rit.

Le chien rit.

Le rire envahit la nuit.

Les fantômes reculent et se dissolvent dans les murs.

Mon mal-être aussi.

Bien, vous avez de la lecture. J'espère que le roman de JFK continue à vous plaire et je vous donne rendez vous dans une semaine pour la suite... Une semaine oui, à moins que j'ai d'autres choses à vous raconter avant. J'aurais du vous en parler au début de cet article : Ces derniers jours la température à marrakech est montée jusqu'à 49°....Alors nous avec notre chaleur métropolitaine.....
Mes chers amis lecteurs, je vous souhaite de belles journées et surtout une bonne santé.
Avec la chaleur du Coeur. Votre Toujours MICHEL 
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Commentaires
C
Il est évident que lorsqu'on veut revenir sur son passé , c'est pour y retrouver des souvenirs d'enfance.<br /> <br /> Mais toutes les villes changent et évoluent , MRK comme les autres.Les premiers pas sont un peu décevants , on se sent perdu ... Mais en "fouillant " bien, en parcourant les rues, le passé ressurgit. Les parfums, les odeurs, la cuisine, la flore sont les mêmes. Les bâtiments changent , les villas disparaissent pour faire place aux grands immeubles ou hôtels.<br /> <br /> Mais la médina , djemaa el fna ,la koutoubia, Majorelle etc... tous ces endroits mythiques sont bien présents pour nous aider à nous "re aclimater".<br /> <br /> La circulation a évoluée en pire, certes , il faut traverser en fermant les yeux si on veut changer de trottoir , mais les braves petits anes gris sont toujours aussi dociles et travailleurs .<br /> <br /> La gentillesse et le sourire des marocains quand on leur dit qu'on n'est pas "des touristes" ordinaires, "Bienvenue chez toi" répondent ils.<br /> <br /> Oui MRK la rouge sera toujours malgré les bouleversements et l'évolution (du progrés???) chère à notre coeur ,qu'elle a conquis à jamais.<br /> <br /> Se retourner pour se souvenir .. oui ... mais il faut regarder devant.<br /> <br /> Claudine
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