Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Notre marrakech 45-70
Notre marrakech 45-70
Archives
Derniers commentaires
27 juillet 2012

De la fraicheur, un album photo et HABIBA 13.

Une semaine  pleine de beau temps... Dans notre région c'est quasiment exceptionnel. Nous avons déjà eu tellement de mauvais jours en juillet. Même certains soirs nous avons été tenté d'allumer un petit feu.
Bien sûr, maintenant qu'il fait chaud, il fait presque TROP CHAUD, nous avons donc choisi PAULA et moi d'aller faire la promenade du soir sur une petite route ombragée et qui suit un ruisseau à l'eau fraîche.

J'avais emmené mon appareil de photos et je vous offre quelques images de cette sortie..

SAM_0262

De l'ombre ....

SAM_0263

et de l'au fraiche.

SAM_0264

SAM_0260

Toi tu fais ce que tu veux, mais je me baigne..

SAM_0258

N'insistes pas... je ne veux pas sortir.

SAM_0265

Moi j'aurais bien piqué une tête dans ce joli plan d'eau.

 SAM_0267

Certains d'entre vous sont déjà partis en vacances et en sont même revenus. C'est le cas de notre ami MARCEL, l'initiateur des "petits cailloux blancs" qui de retour à la maison m'a fait parvenir ce courriel accompagné d'une vieille photo...

 Ami Michel 

Je suis rentré de vacances cette semaine et  comme Claude Martinez m'a fait passé cette photographie je m'empresse de te la transmettre en étant certain qu'elle te fera plaisir .Je saisi l'occasion pour te remercier encore une fois pour ton blog. J'ai, pour le fun, relu quelques pages du blog , c'est une mine.
 
Conseil_de_r_vision___MARRAKECH_classe_46
 
Vous allez reconnaître quelques uns de vos amis, copains, camarades de classe ou voisins...
Laissez nous des noms en commentaire.
 
Claudine qui a vécu à Marrakech sur la BA 707, a fait comme tous les autres. Elle y est retounée et pour notre plus grand plaisir elle m'a fait parvenir ses photos....
Ce sont souvent les mêmes, mais comme je le disais à Gérard qui a publié un album concernant Marrakech sur sa page facebook, ces photos ravivent en nous des souvenirs enfouies dans nos coeurs et nos mémoires..
Comme il y a 23 photos, j'ai fait un album intitulé "LES SOUVENIRS DE CLAUDINE" que vous trouverez dans la colonne de droite. Allez y et dites nous ce que cela vous rappelle. Merci pour elle.
 
Et Maintenant quelques chapitres supplémentaires de notre petite princesse HABIBA.
 
sidi omar

Le profil aquilin de la Toubiba se découpe en contre-jour sur la baie vitrée du salon. Portable à l’oreille :– C’est l’hôpital , murmure-t-elle.

Comme si elle avait à se justifier. Derrière elle, dehors, une femme avec un énorme ballot sur la tête trottine sur fond de figuiers de barbarie. 

Un vénérable barbu enturbanné, posé en amazone sur les hanches de son bourricot, suit la femme au ballot. Il a un bras en écharpe, brandit une ridicule baguette de chef d’orchestre, et chantonne une rengaine du genre un éléphant, ça trompe, ça trompe…en tapotant le cou de son destrier.

Magnifique, l’immense hiatus, les dix siècles d’infini, entre ce couple préhistorique et la modernité de la Toubiba !

 Une voix hèle l’équipage. C’est Caporal Latifa. Hadija aurait besoin d’un ou deux poireaux, d’une poignée de haricots verts, une pastèque et aussi une poule pour demain.

 D’un bref Hô-ô, le vieux stoppe son quadrupède et plonge dans la double poche de son berda, une sorte de puits à la générosité inépuisable. Deux poireaux, les haricots verts et une belle pastèque, voilà !

 Latifa, le butin enfoui dans son tablier, l’invite à entrer :  

– Alors, Sidi Omar, tu viens prendre le thé ? 

– Non, merci. Tu comprends…  

le vieux n’a vraiment pas le temps de descendre de son âne, il faut qu’il retourne à Benslimane. Il pense y arriver avant la nuit. En vérité, il aurait bien donné son bras valide pour un verre de thé avec le caporal mais voilà, on ne fraye pas avec des femmes seules quand on est un type respectable, m’explique la Toubiba.

Le ballot, la bourrique et son cavalier ont dépassé la bergerie quand ce dernier se retourne encore et crie :

– Hé-ho, Lalla Latifa ! Si tu as besoin d’autre chose pour demain, tu me rappelles !

Je m’étonne :

– Comment pourrait-elle le rappeler ?

– Mais… sur son portable, évidemment !

J’aurais dû m’en douter !

Le vieux sur son âne, la femme au fagot… une image biblique, dring - drinnng ! mon esprit vagabonde :

C’est Joseph, il est arrivé le premier à l’étable, il s’impatiente… Les rois mages traînent en arrière, on ne les voit plus. Il saisit son portable, l’ouvre, slac, pianote une croix, en haut, en bas, une fois à gauche, une fois à droite, amen, et dans le lointain la glorieuse sonnerie, les trompettes de Zarathoustra…

« Allo ! Balthazar, c’est toi ? Oui, c’est Joseph… oui… ça va ! Marie aussi, ça va ! N’oublie pas la myrrhe ! »

Souvent, quand j’ai l’esprit vagabond, je ris tout seul.

Caporal Latifa croit que je me moque d’elle, remonte son foulard sur le visage, marmonne un commentaire et s’éloigne avec son bouquet de poireaux.

Un téléphone sonne, c’est Zarathoustra… je ne rêve pas.

Non, c’est la fille du vieux qui vérifie si le vieux est bien passé, si tout est en ordre. Oui, tout va bien, il est en route. Leila me prend à témoin :

– Il lui reste encore quatre heures de route, quatre heures à haranguer son bourricot avant d’arriver chez lui… C’est quand même renversant, à notre époque !

Je pense à la boutique-bourricot, au téléphone qui sonne du Strauss dans le burnous du vénérable barbu. C’est ça qui est renversant, non ?

Le tajine de garenne au boulaouane.Je craignais que mon statut de visiteur distingué  ne me condamne à dîner seul à la table d’honneur mais la Toubiba, malgré les gros yeux du Caporal, m’a invité à me joindre à ces dames, à l’office, cet espace à la vocation indéfinie. De mon temps on y rangeait chaudrons et ustensiles, la baratte à beurre, le tonneau de choucroute, le linge de maison et la vaisselle, c’était le garde-manger, il pouvait servir d’abattoir ou de jardin hydroponique (1), on y déjeunait bien sûr mais, grâce à la table de monastère qui en occupait le centre, c’était surtout le forum familial, une sorte de place du village où se réglaient les problèmes quotidiens.

(1): Se dit des cultures pratiquées sans terre, avec le seul apport de solutions nutritives. (Note de Moi, car je ne connaissait pas le terme.

Quant à la cuisine, spacieuse, rustique en tout et grossièrement pavée, elle n’a pas été modifiée et devrait encore plaire aux cuistots les plus difficiles. Du grès et du béton pour les paillasses, un billot de bourreau, un évier taillé pour y épiler un cochon, des appareils à cuire à la broche et à l’étouffée, tout invite à peler, plumer, pétrir et tremper ses doigts dans la sauce.

Il n’y manque que le vieux frigo à pétrole qu’on a remplacé par un beau parallélépipède en acier inoxydable. Après quelques minutes de gêne réciproque, comblées par des oh ! et des ah ! dévolus autant à la géographie de l’endroit qu’au parfum des mijotés, la discussion que j’avais interrompue reprend entre la Toubiba et chef Hadija.  

– Un tajine pour demain, oui ! Et pourquoi pas ton mrouzia (2) , tu le fais si bon. Et, tiens, on pourrait commencer par une petite b’stila. Ton vieux marchand va te trouver deux ou trois pigeons, allez ! Je suis sûre que monsieur Paul… 

– Le chibani, Leila, le chibani ! C’est quand même plus cordial que Monsieur Paul Henry !

 La Toubiba se tourne vers moi en souriant : 

– J’en discuterai avec Myriam, il nous faut avoir son avis sur le sujet. Nous parlions de faire une b’stila pour demain, qu’en pensez-vous ?

 – Oh ! J’aimerais bien ! La pâte feuilletée, les amandes, la cannelle… c’est un plat de roi !

 – De reine, Monsieur Paul Henry, de reine et de cuisinière inspirée !

 – Je n’en doute pas ! D’ailleurs, vous-même, n’êtes-vous pas reine et cuisinière ?

 – Reine, je ne crois pas, mais cuisinière, ça, non ! Sans ma bonne Hadija, j’en serais réduite aux légumes crus et aux biscottes trempées dans le café !

  – Vous exagérez !

 – Oh que non ! Mes parents adoptifs avaient confié tout un pan de leur vie domestique à des prêtresses pour qui le paradis était un marché, leur chapelle une cuisine et leur mission sur terre l’élaboration de plats raffinés pour une petite fille gâtée.

 J’ai été très, très gâtée, vous savez !

Non, je ne sais pas… des parents adoptifs ? Et madame Chkoune ? Je suis un peu perdu dans la généalogie de la Toubiba, mais elle est lancée :

– On les appelait les dada. Dada, c’est plus joli que maître queux, non ? Il y avait dada Zohra, la rouleuse de couscous, et dada Hamra, dada la Rouge, parce qu’un jour elle avait égorgé un mouton. Elles pouvaient rester accroupies toute la journée à rouler la semoule, mélanger les épices, griller des piments ou compoter des clémentines au gingembre.

Elles savaient tout faire, le méchoui à l’étouffée comme on le fait à Fès, le tajine aux dix saveurs de la petite tribu du Tichka, la harira des nuits de ramadan, et même récolter le miel sans bousculer les abeilles.

– Vous étiez à bonne école, finalement !

– Pas du tout ! La cuisine était leur chapelle, mais une chapelle de cloître, inaccessible au commun des mortels. Il n’aurait pas fallu les déranger pendant qu’elles officiaient.

le tajine

Quant à leur demander de révéler un de leurs secrets, c’était comme s’adresser à un mur ! Deux vrais dragons, nos dada, et si dévouées… Elles doivent concocter des mijotés divins dans les cuisines du paradis, aujourd’hui !

Un temps… puis, haussant la voix vers les deux femmes qui s’affairent aux fourneaux :

– Heureusement que j’ai mes amies pour me chouchouter !

– Hadija va faire Mrouzia, demain !

Malgré sa réputation de commère intarissable je ne l’avais pas encore entendue, la bonne Hadija. Je l’encourage : 

– C’est quoi,  Mrouzia, madame Hadija ?

Elle se redresse, elle rajeunit de dix ans, la bonne femme ! Ses yeux brillent, c’est Ferran Adrià sculptant trois bulles moléculaires pour un parterre de disciples toqués dans un langage international :

 – C’est tajine le mouton, sucré le miel, c’est beurre, le raisin, les amandes, du cannelle et un chouia ras-el-hanout, c’est trois heures le fourneau, c’est, ah ! c’est… tajine ! Allez, toi, demain : mrouzia !

Et pendant qu’elle m’explique, elle roule, elle plie, elle malaxe, elle touille… De grands gestes, des bras ronds, pleins comme des mortadelles, des mains fortes, grasses, et des doigts dodus avec des petites fossettes à chaque articulation, des doigts assez barbares pour démembrer une poule ou arracher une tripe, des doigts tendres pour les petits farcis, des doigts qu’elle suce, pour assaisonner.

 Leila interrompt la démonstration :

 – C’est bon, Hadija ! Ton lapin… il devrait être prêt, non ?

 Le gentil berger avait apporté un lapin piégé près de la bergerie. Il pensait qu’un tajine de lapin aux raisins verts ce serait bon pour mademoiselle Myriam.

On sait depuis toujours que les gentils bergers sont tous amoureux d’une inaccessible princesse.

 Latifa nous a servi un vin gris qui, nous explique-t-elle, vient du bled aux nuits fraîches où le soleil se repose l’aprèsmidi avant d’oser escalader les contreforts de l’Atlas. Nous trinquons donc aux vignes de Boulaouane, au soleil de l’Atlas et au garenne au verjus.

La soirée avance.

Ces dames échangent sur des sujets dont l’importance m’échappe. J’ai décroché. En fait mon spleen, cette angoisse que je cultive comme un chagrin secret, je crois en avoir trouvé l’origine. C’est l'absence d’Alfred.

Il farfouillait dans toute la cuisine, Alfred. Sous la table, derrière les paniers, la baratte, jusque entre nos orteils, il farfouillait à la chasse aux miettes.

On l’aimait bien, le vieil Alfred. Il souriait tout le temps, malgré sa patte folle. Oui, il ramait large de la gauche, comme un corsaire à jambe de bois.

Mais, comme tous les canards hilares, il avait quand même fini en canard rôti, sur un lit de petits navets au caramel.

Mektoub !

 
shéhérazade

Je suis bien sur ce canapé. La Toubiba est belle, l’enfant assoupie. Une pause… un silence à peine ébréché par le crépitement du feu dans la cheminée.

La lune s’est levée, un rayon roux s’est glissé par le vasistas et silhouette la théière qui fume encore. Dehors, un chacal hurle un amour incompris. Le vieux chien ronchonne entre ses pattes, il a le rêve agité.

Mon père est mort ici, il y a si longtemps. D’ici, ils sont tous partis, ils n’ont laissé que des pierres, des rancoeurs et des larmes. Ils étaient sourds aux au revoir et ne se sont pas retournés sur les mouchoirs. Ils se sont réfugiés dans leurs nouvelles prisons et commencé à mourir.

Moi, on m’a dit fils de roumi, un roumi pas vraiment roumi, un marocain pas marocain, et quoi d’autre… oui, le pied noir, in’haldin babak.

Moi, je ne suis pas né étranger, je suis né berbère le jour où j’ai compris que le nom du pays, la voix du muezzin, les poussières de soleil et la couleur du henné avaient fait de moi l’homme que je suis.

Moi, je sais qu’Allah est grand et que, lui aussi, permet à ses ouailles de se faire égorger pour une douzaine de vierges et quelques indulgences.

 Moi, je n’ai rien demandé, ni vierges ni indulgences, je suis d’ici, juste d’ici, je suis fait de la terre d’ici et mon sang a la couleur de la terre d’ici.

 Je suis d’entre les schistes et les figuiers, je suis des racines de l’eucalyptus, je suis du monde des courlis, un disciple du spinulus, ce criquet à la Botero, ce bouddha béat, placide, gros d’herbe et de rosée, et gros de sagesse.

En descendant du taxi, le voyeur que je suis s’était mué en pèlerin. Je croyais atteindre une sorte de bout de route, un terminus familier, mais cette maison ne parvient pas à s’imprimer à l’identique sur l’image qui sommeille dans mon subconscient.

J’ai, c’est vrai, malgré les coussins aux papillons et les complaintes d’Oum Kalsoum, essayé de superposer mon vieux film en accéléré, la vie, les cris, mes frères et soeurs autour de la table, le couscous dominical, le canard boiteux devant la porte, et les odeurs…

J’étais persuadé de pouvoir retrouver ces odeurs qui imprégnaient tout, différentes avec les saisons, les fleurs du printemps, l’eucalyptus des nuits chaudes, le jasmin du crépuscule, le moisi de novembre.

Mais, las, je ne reconnais rien, ni les odeurs, ni l’atmosphère. La maison a été remaquillée, habillée en sultane orientale,parfumée à l’encens. Elle chante une autre langue et ne me parle pas.

Et puis il y a ce velours bleu, les dorures, cette Shéhérazade en Madame Récamier alanguie sur les coussins, l’enfant à ses genoux, le chien endormi… C’est un monde où je n’ai pas de place. Ce pays ne me rejettera pas une autre fois. Je ne suis plus d’ici, je suis chez elles. Je ne peux m’inscrire dans leur histoire ni violer le temps.

Pendant un moment j’ai cru pouvoir vivre de nouveau, de nouveau respirer l’air d’ici, boire cette lumière et écrire le temps qui passe. Sur la table il y aurait eu une vieille Remington avec des  e et des a qui bouchent et une clochette qui aurait tinté au bout chaque de ligne. Il y aurait aussi eu un chien qui ronfle, un gros bouquet de romarin et une odeur d’andouillette grillée.

 J’aurais été un écrivain d’un autre siècle, un incorrigible bohème et un alcoolique heureux. 

Mais voilà, il est tard, j’ai trop de temps perdu dans une autre bulle, je ne saurais même plus apprendre.

Ah, boucler une vie brouillonne dans l’amphore de Diogène ! Y consacrer le temps qui me reste à une oeuvre tout à fait inutile. Je réinventerais l’alchimie pour extraire l’élixir du bonheur de la mouette rieuse, j’apprendrais le russe, je taillerais un cube de grès rose dans un cube de grès rose et je bricolerais une machine à andouillettes…

Mais voilà, il est tard, j’ai trop de temps perdu ! 

Comment c’était…- … ?

 Comment c’était, à votre époque ?

 C’est Shéhérazade, je la croyais endormie. Je dégringole de la machine à remonter le temps.

– Comment c’était quoi ?

– Ici, les gens… comment c’était, il y a cinquante ans.

– Comment c’était…

Comment c’était ? Je ne sais pas. C’était bien, c’était heureux. Vraiment heureux ? Je ne sais plus. Ça sentait bon. C’était dur, parfois. C’est si loin, si différent, quoi !

– Franchement, je ne sais plus. Mon regard a changé !

Dans ses yeux il y a un doute, peut être même de la dérision pour cette tentative de noyer… mais de noyer quoi ?

Un soupçon… mais un soupçon de quoi ?

Comment lui expliquer…

Et puis il y a ce maraîcher qui reçoit ses commandes de  poireaux par  sms  mais trottine quatre heures sur sa bourrique pour les livrer !

Je ne comprends pas. 

Le frigo dernier cri posé de guingois sur un pavé de galets, les poules qui chient sur la terrasse, cette maison grimée en bordel oriental !

Je ne comprends pas.

Tout est si anachronique !

Moi j’habite le siècle d’avant, je vais pieds nus, je me baigne à la cascade, les chèvres grimpent dans les arbres, le soleil sur le champ de moutarde, les enfants dans les blés, l’alouette, les grillons, le jasmin… et le soir, une fugue de Bach ! C’était ça,  à l’époque, c’était comme ça, mon pays .

 – Différent, Leila, oui , enfin… je ne sais pas, je ne sais plus. C’était moins compliqué !

 il y a toutes ces questions qui disent qui tu es et tant de réponses qui n’ajoutent rien. tant de questions qui sont toi et tant de réponses que tu n’écoutes pas

La nuit s’est ancrée sur la terre.

Il y a du noir frangé de bleu tout autour, au-dessus, partout, du bleu noir, des étoiles, une mer de ciel. Il y a des souffles, un gémissement,  ça hulule. Une vague lueur auréole le haut de la colline. Une chèvre chevrote. Cauchemar de chèvre. Et ces parfums de nuit, ces odeurs qui s’additionnent, fleurs fanées, herbe écrasée, poil de tomate, beurre de trèfle, vent de purin…Avant , j’étais entouré, protégé par ces rangs d’eucalyptus alignés comme des poilus de Buckingham, des flèches de cathédrale soutenant le ciel, des remparts qui ceinturaient l’horizon et repoussaient les méchants, d’immenses javelots qui jaillissaient du noir, en noir sur noir, et fonçaient vers la voûte bleue percée d’un million de lucioles.

 Il n’y a plus rien, plus rien de ce vertige, que ce vide infini où même les étoiles ne me reconnaissent pas.

 Un jour je parlerai dix langues, je visiterai Cassiopée, je chevaucherai le chariot de l’Ourse et je disperserai les  poussières d’Orion. Je serai troubadour et je raconterai partout le voyage des étoiles filantes. Et je parlerai à Dieu.

Ce bled m’a instillé un poison de bled dans les veines, un poison dont je ne guérirai plus.

Un ricanement dans l’ombre.

Une silhouette, je ne vois pas bien, un homme, grand, il avance d’un pas, il est maintenant dans la flaque de lune : le portrait de mon père s’est détaché du mur et s’est encadré dans la porte ouverte. Il ne parle pas. Il ne m’a jamais parlé d’ailleurs, pourquoi le ferait-il aujourd’hui.

Juste un ricanement.

C’est étrange ce retour en arrière, je n’étais pas préparé. C’est comme de revenir sur quelques pages après s’être assoupi sur un bouquin. On retrouve un inconnu familier, on traverse un tunnel dont on connaît déjà l’autre bout.

Je voudrais lui demander… je vais lui dire, tu sais… je l’ai fait, tu vois… mais voilà que le marchand de légumes l’a chassé pour s’installer dans son cadre, il se tourne vers le porteur d’eau, leurs lèvres bougent, je n’entends rien, sinon ce bruit de dégluti dégoûtant, le glouglou de la pipe de kif du barbu. De petites bouffées de fumée roulent sur son visage, s’accrochent à son burnous, l’enveloppent d’un nuage bleuté.

Les trompettes de Zarathoustra !

Téléphone !

Le tableau s’efface, la fumée, la porte, tout disparaît… – C’est l’hôpital… 

– Euh…

–  Un accouchement difficile, on craignait… mais ça va. Tout va bien.

 – Ah !

Elle ajoute :

– Vous sembliez perdu, parti très loin…

– Oui, pardon. Je crois avoir fermé les yeux un moment.

– Je comprends… mais, dites-moi, racontez nous donc ce que vous faites si loin de chez vous. Qu’êtes-vous venu chercher dans ce coin de pays ?

 – Oh !  il y a tant de réponses…

– Oui ?

– Des images, des goûts, des… oui, c’est ça, des odeurs… tant de réponses qui n’ajoutent rien.

– …mais je me demandais…

– Oui ?

– Je voulais savoir… mais vous me direz que cela ne me regarde pas !

– Mais quoi donc ? toutes ces questions qui disent qui tu es

– Ne vous sentez pas obligée… je suis tellement curieux.

– Je vous en prie…

– Pensez-vous garder cette maison ?

– Ah… quelle question ! Pour le moment, oui, peut-être… je ne sais pas encore. La décision est difficile parce que les dés sont pipés : il y a ces deux femmes qui ont tout lâché il y a cinq ans pour suivre ma mère, il y a le gardien, le jardinier, d’autres encore. À part le gentil berger, ils sont tous d’âge canonique.

Je leur dois beaucoup et je ne veux pas les abandonner. Et puis il y a Myriam…

– Myriam ?

– Oui, Myriam. Elle voudrait que nous vivions ici, elle aime sa vie d’ici, et les deux vieilles l’adorent. Mais elle confond tout. Je suis médecin, vous savez… Cette pause dans ma carrière, le riad, les vacances, pour elle tout cela coule de source. Elle  supporte mal mes absences mais elle ne comprend pas qu’habiter ici, avec elle, ne me  libérera pas pour autant.

Depuis deux ans, je dirige le service de chirurgie du Royal : cette promotion a fait de moi une sorte de super woman aux pieds d’argile dont on attend qu’elle puisse tout guérir, tout arranger, des plus virulentes épidémies aux peines de coeur de l’infirmière, des cirrhoses de ministre au plus prosaïque des siphons bouchés…

– Ah, ah ! Mais… autour de vous… votre mari ?

la petite n’avait-elle pas dit « Je n’ai pas de papa !»

tant de réponses que tu n’écoutes pas

Leila semble hypnotisée par la ronde frénétique des papillons de nuit attirés par le brasero. Les plus hardis s’embrasent, fusent dans le tourbillon d’air chaud et retombent en vrille lente autour de la théière.

Elle lève les yeux et raconte. 

Vingt ans à manier le scalpel, le catgut et le bistouri dans tous les coins du pays. Moins de vingt mots, une phrase lapidaire pour résumer toute une vie de responsabilités, d’abnégation, d’horreurs, de conflits, de détresse  parfois, de fatigue toujours.

Des études… oui, longtemps, et puis douze ans de fac à Rabat, une spécialisation à Paris et dernièrement… enfin, il y a déjà cinq ans, un stage aux États-Unis.

Un stage dont elle avait ramené un joli souvenir, un mini soldat aux cheveux frisés. Je sais maintenant d’où viennent les petites mers de Myriam, son étrange regard couleur d’aquarium.

– Vous voyez… poursuit Leila, ma carrière, Myriam, l’hôpital, le riad, les deux vieilles… j’ai vraiment besoin de temps pour faire le tri !

– Et, selon l’angle où l’on se place, le fait que cette propriété soit un petit paradis, rend sûrement la décision plus difficile !

– C’est vrai que c’est l’ermitage dont je rêve. Une maison qui ne manque pas de charme… malgré les fantômes qui l’habitent !

– Les fantômes ?

– Oh oui ! Mais c’est une longue histoire…

– Allez !

– Oh… si vous y tenez !

Vous vous en doutez, cette maison a eu une autre vie. Des gens l’ont habitée, des gens dont je ne sais rien. Vous allez rire mais j’ai parfois l’impression que les murs se rapprochent, qu’ils me font des confidences dans un sabir inintelligible.

J’entends même des rires d’enfants !

Bien sûr cela n’arrive que la nuit, depuis que Hadija m’a rapporté des bribes d’histoires, des on-dit invérifiables tant sur les gens qui ont vécu ici que sur les raisons qui ont amené ma mère à s’établir dans la région !

– Ma chère Leila, rassurez-vous, les fantômes n’existent pas. Le temps qui passe efface le temps passé, les rires étouffent les rires, la musique couvre la musique. A la fin du temps il ne reste que des photos de visages muets et des mots vides sur une feuille de papier. Un peu de mystère, certes, mais rien de fantastique !

– Ce n’est pas vrai, professeur ! Ici, tout le monde vous le dira, chaque ombre, chaque pierre, chaque arbre cache son fantôme !

Elle éclate de rire. Tout son visage rit, les yeux, les petites rides près des yeux et la fossette sur sa joue rient.

La petite rit.

Le chien rit.

Le rire envahit la nuit.

Les fantômes reculent et se dissolvent dans les murs.

Mon mal-être aussi.

Bien, vous avez de la lecture. J'espère que le roman de JFK continue à vous plaire et je vous donne rendez vous dans une semaine pour la suite... Une semaine oui, à moins que j'ai d'autres choses à vous raconter avant. J'aurais du vous en parler au début de cet article : Ces derniers jours la température à marrakech est montée jusqu'à 49°....Alors nous avec notre chaleur métropolitaine.....
Mes chers amis lecteurs, je vous souhaite de belles journées et surtout une bonne santé.
Avec la chaleur du Coeur. Votre Toujours MICHEL 
Publicité
15 juillet 2012

Un souvenir précis et HABIBA 12

Bonjour les Marrakchamis. Un des derniers commentaire provient d'un marrakchi qui y vit aujourd'hui. Je veux parler de Harji, qui ayant retrouvé une photo de classe de 1966-67, rêve de retrouver quelques uns de ses anciens camarades de classe. Je viens de lui répondre que je ferais ce qui est en mon possible pour l'aider dans ses recherches. Bien sûr, dès que j'aurais des précisions, je vous mettrais à contribution pour agrandir le cercle de recherches.

Les dernières nouvelles qui nous parviennent de notre belle ville, nous disent qu'il y fait très chaud, mais très chaud, puisque le thermomètre y frise les 50 degrés.

Lorsque je jette un oeil dehors, je ne vois que des nuages, des précipitations et mon thermomètre extérieur, lui, indique des "Chaleurs" avoisinant les 17-18° degrés.

N'ayant absolument rien reçu de votre part pour illustrer cet article c'est moi qui vais rechercher une image des années 50, qui s'est imposée à moi en lisant le commentaire de Harji et la photo d'un massif de capucines prise dans mon jardin hier soir alors qu'un rayon de soleil éclairait notre soirée.

IMG_1016

 

Dans les années 50, j'habitais avec mes parents et mes jeunes frères dans une maison traditionnelle de Bab Doukala. Elle était situé dans une petite ruelle sombre et dans laquelle les voitures ne pouvaient pas passer. Il y avait une sorte de porche vouté qui réduisait encore le passage et l'entrée de notre maison se trouvait à droite dans un renfoncement.

La porte était de bois, verte ou bleu foncé (J'ai la mémoire qui flanche) avec un gros heurtoir noir qui représentait une main tenant une grosse boule. Elle s'ouvrait à deux battants, mais il y avait aussi dans un des battant, une petite porte qu'on ouvrait pour laisser entrer les personnes.

De là, un couloir de quelques mètres nous faisait pénétrer dans la cour intérieure. Oui cette demeure était constituée d'une cour intérieure qui donnait sur les pièces réparties sur les quatre cotés.

A gauche du couloir, une très grande pièce que mon père avait transformée en "Atelier" dans lequel il s'adonnait à son hobby "Le radioamateurisme" Il était CN8BS.

En face de l'entrée, une série de pièces. Les toilettes, la salle de bains (Précaire) et une très grande cuisine dans laquelle nous mangions. Le troisième coté, c'était les chambres à coucher (trois dans mon souvenir), le quatrième coté, une grande pièce , salle à manger et salon. Des divans bas avec des coussins et des tapis que mon père avaient achetés dans l'Atlas.

Mais ce qui reste gravé dans mon souvenir c'est cette cour intérieure. En son centre il y avait un massif rond que ma mère emplissait de capucines. En étoile, quatre petites allées qui rejoignaient le centre des cotés et entre ces allées, des massifs de terre fleuris. Les rebords de ces massifs étaient en carreaux de faience(?) bleu marrakech. Mon père avait tendu des cables en travers de la cour, attachés au toit de la maison et sur lesquels il avait fait étendre des cannis qui nous protégeaient du soleil.

Saadia, notre bonne qui nous a suivi ensuite à l'immeuble du Colisée, jetait de l'eau sur le sol carrelé pour qu'une humidité rafraîchisse l'athmosphère.

Au début de la ruelle,vivait la famille LECOLE (Je ne suis pas sur de l'orthographe) avec un fils Yvan qui était mon copain. Nous achetions chez l'épicier de la ruelle des cailloux pétaradants que nous faisions rouler dans la cour intéreieure de notre maison et qui faisaient crier ma mère qui n'aimait pas ça....

Voila, une partie de ma jeunesse qui vous est révélée. Si vous avez aussi des souvenirs de cette sorten hésitez pas à me les faire parvenir à mon adresse E.mail, je les éditerais volontiers.

Maintenant, quelques chapitres d'HABIBA....Certains d'entre vous doivent pester car je ne viens pas assez souvent sur le Blog... Pardonnez moi, mais les retraités n'ont plus de temps pour rien...

la maison du roumi

Remonter l’allée carrossable serait trop facile, trop prévisible, d’autant qu’elle est pavée de presque neuf ce qui est incompatible avec le lavis sépia de mes souvenirs.

Je choisis donc le chemin des écoliers, le sentier qui fait le grand tour, longe l’oued, contourne la futaie d’eucalyptus, traverse l’amandaie et l’olivette et revient sur la maison en rasant la bergerie en pierres sèches qu’une affreuse haie de figuiers de barbarie protège des mauvais esprits.

Est-ce le temps passé ou les broderies de la mémoire mais les dimensions, l’envergure de la colline, le creux du vallon, tout me paraît beaucoup plus étriqué.

Le paysage a rétréci.

Entre la rangée d’eucalyptus qui bornait la propriété et l’encavure de l’oued Ghebar, de l’autre côté, il y avait un voyage, presque un pays et, bien sûr, une enivrante aventure.

Mais voilà, de ce pays merveilleux d’où mille arbres ont isparu sous la hache des ratisseurs, il ne reste guère que quelques enjambées, tout juste un maquis lilliputien.

Une image d’encyclopédie me hante.

Un décor lunaire. Verdun 1916.

A perte de vue, des corps, trois cent mille au moins, du brun, du vert, du rouge, des hommes des deux camps qui ont enfin trouvé la paix, empilés les uns sur les autres.

La butte, les ruisseaux, la forêt, tout a disparu, haché, déchiqueté, aplani par un déluge de fer et de feu. L’infamie a oublié quelques moignons de bois ici et là, des javelots fichés dans un cimetière de chair, de monstrueux menhirs de mort.

C’est horrible.

C’est à cela que ressemble mon maquis.

Les glaneurs et les charbonniers ont rasé les eucalyptus, déchaussé, déchiqueté les amandiers, écartelé et broyé les oliviers. Ils ont tout brûlé. L’église verte est morte.

Il ne reste, au sommet de la colline décharnée, qu’une poignée de chicots, une ligne d’épineux bien armés et, curieusement, quelques mimosas difformes dont les branches retombant au sol, font penser à de monstrueuses araignées consternées par cette désolation.

C’est horrible.

Je suis arrivé à la cascade.

De rigole qu’il est habituellement, l’oued, au printemps, se prend pour le mustang du Rio Grande. Comme la grenouille de La Fontaine qui  s’étend, s’enfle et se travaille pour égaler l’animal en grosseur,  il fait la grosse voix, bouillonne et galope vers l’océan tel un cheval emballé pour hurler sa peine et se plaindre des hommes.

Aujourd’hui l’oued est au plus fougueux de sa cavalcade mais vite, le beau temps revenu, il se calmera, pansera les rives blessées, baignera les narcisses et ravivera les mousses.

Il bercera les gambusias qui patrouillent sous les nénuphars et musardera autour des rochers où somnolent les tortues.  

Sur le versant opposé il y a une poignée de haricots blancs jetés sur un tapis vert : des brebis qui vaquent tête baissée en mastiquant avec conviction leur chique de chlorophylle.  

Au milieu des haricots, juchée sur une butte, une silhouette élancée, étirée comme un Giacometti : un berger dans sa gandoura blanche. Il chante.  

Sa chanson, douce comme une prière infinie me parvient par bouffées parfumées au romarin. La belle est partie. C’est une plainte, un cri, un sanglot qui vogue par la voix du vent.

L’inconnu chante les amours fragiles, je n’entends pas sa langue mais sa mélancolie me chagrine. Dans son microcosme je ne suis rien, je n’existe pas, mais je sens que je lui vole une désespérance qui n’appartient qu’à lui.

Cette sérénité bucolique me rassérène, les blessures de Verdun cicatrisent mais je me refuse à franchir un pas de plus entre l’avant  et le triste aujourd’hui du paysage.

Je décide de remonter vers la maison.  

Le sentier a été dessiné par une chèvre fantasque. Il est encombré de tant de bosses moussues, de touffes multicolores et de bouquets odorants fléchissant sous leur poids de rosée qu’il me faut zigzaguer pour ne pas les bousculer. J’enjambe la fourmilière, j’évite la sauterelle et le crapaud paresseux. Ils habitent ici : prière de ne pas déranger.  

Une petite toux m’a surpris en plein vol au-dessus d’un thalle de champignons. Puis ce coup de semonce à l’importun sautillant comme une cocotte de Lagerfeld :

 – T’es qui ?

 Je découvre, sous l’amandier, une poupée tirée à quatre épingles, l’air grave, les bras croisés et des yeux comme deux fenêtres de ciel. Elle est assise sur un tabouret de trayeuse, jambes inclinées et genoux serrés. Un frisson entre les branches l’auréole d’une pluie de pétales rosés. C’est Marilyn enfant posant pour Vogue Bambini. 

Crâneuse, presque effrontée, une main sur le cou du vénérable setter irlandais qui me surveille d’un oeil placide, elle me défie :

 – T’es qui, toi ?

 Elle porte un joli fichu sur la tête, une blouse de coton blanc avec des manches qui bouffent aux coudes, une jupe marine, des socquettes de coton et des sandales vernies.  

Belle comme une nonnette à l’heure de la messe. J’allais dire adorable, mais non, elle a plutôt l’air du soldat qui garde la reine des termites.

Un tout petit soldat, avec des allures de princesse.

Je lui ai dit « Salam à toi, Lâlla !»  Madame.

Elle le mérite bien.

Je n’ai pas parlé l’arabe depuis des lustres et c’est revenu comme ça, tout naturellement. Comme le goût du bonbon anglais.

Elle a baissé les yeux, l’air absente, et me renvoie un Salam du bout des lèvres.

Pas bêcheuse, pas timide : je ne l’intéresse plus, c’est tout.

L’indifférence a pris le pas sur la méfiance. La présence duvieux setter n’y est sûrement pas pour rien.

 – Est-ce que ton papa est là ?

 – Je n’ai pas de papa.

 – Ah…

 Elle lève les yeux, me dépiaute comme un lapin suspendu au croc du boucher puis constate froidement : 

– Tu es chibani…

Chibani, le Vieux ! C’est raide, mais… c’est évident.

 Elle se baisse, reprend le livre coincé entre ses chevilles, l’aplatit sur les genoux. Le Marsupilami. J’adorais les aventures du Marsupilami mais je ne crois pas que mes goûts littéraires l’intéressent.

Sans plus me regarder elle lance :

– Est-ce que ta grand-mère est morte ?

– Pardon ?

– Pourquoi tu es venu ? Est-ce que ta grand-mère est morte ?

– Non… Oui ! Il y a longtemps !

– Ah…

Pause…

J’ose…

– Je cherche la maison de Madame Chkoune.

Elle ne répond pas, c’est le collier de coquillages entortillé à son poignet qui est le nouveau centre du monde.

J’embraye de nouveau :

– Tu as quel âge ?

Son âge…

Elle hésite.

Elle repose le Marsupilami, porte son pouce gauche aux lèvres, puis l’index, puis le majeur, elle compte mentalement.

Elle me montre, elle a toute une main avec un doigt un peu plié. Khamsa -, cinq ans ?

Non, non, de la tête.  

Elle corrige : c’est plutôt une main de quatre doigts et un bout de doigt… hésitation…

 – Arba-ou-nouss !

Arba, c’est quatre. Arba-ou-nouss assaisonné d’une pincée d’hésitation, c’est quelque part entre quatre-et-un peu et quatre-et-demi.

Je confirme, quatre et quelques…

Elle hoche la tête : j’ai bien compris.

J’ai aussi compris qu’elle comprend mon charabia mais ne parle pas parce qu’on ne parle pas à des étrangers.

Elle appelle :

– Maman, il y a un chibani !

Pas de réponse. 

– Maa-Man ! 

Pas de réponse.

Elle hausse les épaules, visiblement excédée, se lève, ordonne :

 – Attends !

 Pose le Marsupilami et le collier de coquillages sur le tabouret, prend son envol et disparaît en sautillant à clochepied sur une marelle imaginaire.  

Une buse tournoie dans le ciel.

Une poule pressée farfouille le sol, picorant sans gène le bout de ma chaussure.

Il y a deux cigognes au nid, sur l’arbre mort.

De son vivant on l’appelait le Géant Vert.

Figées une patte en l’air, les cigognes en redingote en noir et blanc philosophent. Elles parlent en castagnettes et portent bonheur à ceux qui les regardent.

Clop, cataclop, la princesse est de retour, caracolant cette fois sur un invisible pur-sang :

– Viens !

La princesse s’appelle Myriam, m’apprend-elle.

– C’est un joli nom.

– Je sais.

Un vrai petit soldat, finalement.

   
 

la toubiba

Bien sûr, j’ai reconnu la maison. Bien sûr, elle a été agrandie, de beaucoup, sur le côté ouest mais la terrasse entourée de buddleias, le vieux figuier, l’escalier en dalles de schiste, tout est encore là, avec un petit quelque chose de différent.

C’est indéfinissable, comme une patine… un peu comme une image jaunie exhumée d’une boîte à chaussures.

Le fond, le cadre, l’atmosphère, c’est tout ça qui est différent. Ce n’est plus tout à fait… ce n’est plus moi, ce n’est plus mon histoire. La haie de lauriers roses n’était pas là, avant. Maman n’aimait pas les lauriers roses, ils ne servent à rien. Maman disait que… mais cela n’a plus d’importance.

– Alors, tu viens ?

– J’arrive, Princesse !

Près de la porte une poule rouge caquète, bat des ailes et s’enfuit. Comme si elle se souvenait…

De quoi une poule rouge peut-elle bien se souvenir. L’éclat d’une lame ? Le sang qui gicle ? Je ris, c’est nerveux, la princesse, la poule décapitée, Verdun, le  Marsupilami… c’est surréaliste.

Un chat sorti de je ne sais où se collette avec l’ombre d’une feuille prise dans une toile d’araignée. Les cigales stridulent un concerto d’acouphènes.

Une femme apparaît sur le pas de la porte, la cinquantaine élégante, des cheveux noirs aux épaules, un beau visage au teint mat et de fines pattes d’oie autour des yeux, signes évidents d’une belle humeur.

Elle porte une djellaba beige pâle, d’un tissu si fin qu’il en est diaphane. On devine, sous cette tunique, une blouse et un jean délavé dont l’ourlet tombe sur des ballerines dorées.

L’encolure de la djellaba, largement échancrée, est soulignée d’un délicat entrelacs de fils de soie et d’or, très haute couture.

– Madame Chkoune, je présume…

Un éclat de rire et une poigne énergique :

– Ah, non ! Je suis le Docteur Lamrani. La Toubiba… ou Leila, si vous préférez.

– Mais… On m’avait dit… Le  BièneBi ?

– Le riad. Oui, c’est bien ici. Nous vous attendions.

– Ah bon ! Mais …

– Vous êtes bien Paul-Henry B…?

J’acquiesce de la tête, à défaut de pouvoir placer un mot.

 

– Lalla Chkoune était ma mère. Elle est décédée il y a quelques mois. Elle allait fêter ses soixante-dix ans…

– Oh, je suis désolé…

– Oui, oui, merci ! Nous ne voulions pas désappointer les clients et continuons à les recevoir. Ce n’est pas très compliqué, vous savez, ce sont des habitués pour la plupart, et il n’y a que deux chambres.

Je tente une pointe d’humour :

– Seriez-vous une sage-femme recyclée en maître queux ?

– Non, non, pas du tout ! Je dirige le service de chirurgie de l’hôpital Royal.

– Pardon, je voulais seulement…

– Je sais… Ce n’est rien. J’ai pris quelques jours de congé pour décider à tête reposée ce que je ferai du riad.

– Ah…

– Et, rassurez-vous, je n’opère ni les clients ni les poulets !

Ma pointe d’humour a explosé en vol…

Deux femmes d’un certain âge, assez corpulentes et singulièrement accoutrées d’une manière d’uniforme, tablier rayé bleu et blanc, fichu assorti, très quatre étoiles de table champêtre, sortent de l’ombre : 

– Laissez-moi vous présenter Hadija, notre cordon-bleu et notre Grand Rapporteur de commérages. Si elle vous coince entre deux portes vous n’y couperez pas, c’est une incorrigible bavarde ! Quant au caporal Latifa, ex-infirmière en chef, elle voit à tout dans la maison, gère ma vie, choisit les fleurs, gronde les clients mais se mettra en quatre pour rendre votre séjour agréable.

Elle a un geste vers la terrasse :

– Et vous avez déjà rencontré Myriam, notre très gracieuse mouche du coche !

– En effet !

– Elle vous a pris pour un pèlerin égaré.

– Oui. Je crois qu’elle a même précisé un  chibani !

– C’est vrai, pardonnez-la ! A cet âge, les enfants ont encore vision très radicale du monde qu’ils s’approprient. Le mentir-vrai n’existe pas, seule l’évidence… mais, allez, je vous ennuie !

– Pas du tout !

Il y a de la gaieté dans ses yeux, et bien de l’esprit dans ses réparties… ça promet.

– Mais asseyez-vous, je vous en prie.

Sur la terrasse ombragée par un figuier centenaire, quatre petits fauteuils entourent une table basse. Sur la table un plateau en cuivre, une théière en argent, un bouquet de menthe verte, un pain de sucre, quelques dattes et des chebakias, ces délicieuses pâtisseries enrobées de miel et parfumées à la fleur d’oranger. J’étais attendu…

Un peu plus loin, une espèce de samovar, un antique lavemains et sa bouilloire, tout le nécessaire pour la cérémonie des ablutions avant de planter ses doigts dans le coucous.

– Vous verrez, c’est l’heure la plus agréable, ici, à l’ombre du figuier !

– Oh, je sais…

J’allais rétorquer que… mais elle m’a interrompu pour commander, à la cantonade :

– Latifa, tu veux bien servir le thé ?

Si je sais ce qu’est l’heure agréable, à l’ombre du figuier !

Oh oui, je le sais ! Je suis même là pour ça !

J’allais dire que…

En me coupant la parole la Toubiba m’a permis d’entendre ma petite clochette intérieure, le signal d’alarme. Ding ding, clignotant rouge, chaud, danger… rentrer dans la coquille et… la boucler !

Je me concentre sur le gros figuier qui sème des millions de blastophages dans l’atmosphère. Ces minuscules bestioles devraient s’employer à féconder le dit figuier mais elles aussi, pendant l’heure agréable, préfèrent patauger dans le miel des chebakias. Je me tairai donc.

Je m’étais juré, en préparant ce voyage, de jouer au touriste innocent pour éviter de m’empêtrer dans des explications laborieuses.

Je suis ici pour visiter le musée de cire que j’ai inventé, pour explorer, avec l’appétit du médecin légiste, une nécropole figée, inerte, mais voilà que j’ai failli, bactérie dans une bousculade de bactéries, prendre place sous l’oeil du microscope.

Oui, j’ai habité ce pays, il y a bien longtemps, mais révéler que j’ai habité cette maison n’ajouterait rien. La Toubiba est chez elle et je suis l’invité. Prétendre que ce paysage, que cette maison sont miens, que les parfums de jasmin et de menthe m’appartiennent aussi, que les mimosas, le figuier… Non !

C’est moi qui suis le greffon rejeté, moi qui tente d’escamoter l’entracte, de nier le passage du temps.

Je me tairai donc.

A garder le silence je ne serai coupable de rien.

 

le biènebi de lalla chkoune

Caporal Latifa a sonné la fin de l’heure agréable et m’invite à regagner mes quartiers. Myriam enjambe le cabot étendu sur le seuil et me fait signe de la suivre.

J’ai instinctivement baissé la tête en entrant.

C’est curieux, cette impression… on dirait que le temps a rapetissé les maisons de notre jeunesse. Les marches sont plus raides, les murs moins hauts et les portes plus étroites.

La terrasse donne de plain-pied sur le living dont le fond est fermé, côté nord, par une immense cheminée à voûte dans laquelle j’ai déjà vu rôtir un veau.

Sur la gauche, à la place de la chambre des filles, une porte d’arche ouvre sur une cour intérieure, un patio que je ne connaissais pas, une tache de soleil.

A droite, les fenêtres sur le jardin ont été murées. Une demi-douzaine de luminaires en forme de minuscules torchères dessinent des boules de lumière orangée sur les murs.

Le plancher de marbre est pratiquement invisible sous d’épais tapis brun et ocre, des marmouchas enjolivés d’arabesques compliquées de couleur rouille.

La banquette basse qui court le long des murs est noyée sous de gros coussins en velours marine ornés de papillons dorés butinant des orchidées géantes. Entre deux coussins un livre ouvert, deux ou trois journaux pêle-mêle et, assez incongru dans cet environnement, un ordinateur portatif qui ronronne. La conjugaison de tous ces objets, des couleurs et de cette lumière a quelque chose d’étonnant. D’assez chaleureux.

Hétéroclite… mais charmant.

Au centre du salon paradent deux impressionnantes tables basses, deux hexagones en cèdre massif incrustés de petits losanges de nacre et d’un lacis de motifs mauresques en bois foncé. Les plateaux sont gravés sur chant d’une grecque bien compliquée.

Quelques objets sont parsemés sur les tables, un vase en verre vénitien, un brûleur à encens, une fiole d’eau de rose, quelques livres ‑ des romans ‑ et une lampe ancienne percée de petites fenêtres en verre bleu.

Dans le coin gauche, près de l’arche, un meuble d’un volume imposant, m’intrigue : il est recouvert d’un drap de feutre gris. Probablement une acquisition récente ou une pièce particulièrement fragile.

élémentaire, mon cher Watson !

Les murs sont nus à l’exception de quelques toiles étonnantes. Devant le grand tableau au dessus de la cheminée j’ai tremblé un instant à l’idée de retrouver le portrait en buste de papa jouant sa joconde en dandy des années vingt. Je me souviens trop de ses extravagances et des sautes d’humeur que cette gravité olympienne dissimulait. Mais voilà, c’est Oum Kalsoum qui a pris sa place, flanquée de deux croûtes aux chameaux sur fond de palmiers mauves.

Les murs sont presque nus, je l’ai dit, mais, tout au fond, dans l’ombre, j’aperçois un tableau plus petit, dans un cadre doré à l’ancienne. On l’appelait le Cri du Nègre. Je reconnais ce visage magnifique, un porteur d’eau à la peau sombre, les yeux au ciel, les cheveux bouclés et le front moite. J’entends même son cri. On avait dû l’oublier en abandonnant la maison.

– Je ne sais pas pourquoi elle a gardé cette toile, c’est inattendu, déconcertant…

Je sursaute comme un gamin surpris le doigt dans la confiture. La Toubiba. Je ne l’avais pas entendue entrer :

– Déconcertant ?

– Oui… mais pardon, je venais chercher ma fille !

Elle se tourne vers le petit soldat : 

– Myriam, mon amour, Latifa t’attend, ton dîner est prêt.

– Mais…

– Myriam !

Le petit soldat claque des talons et bat en retraite au pas cadencé.

– Vous disiez que…

– Oui, déconcertant, parce qu’il est rare, chez nous, d’afficher des photos sur les murs, sinon celles de la famille royale. Et c’est encore plus surprenant, de la part de ma mère que l’on m’a dit si dévote, de trouver chez elle, dans son salon, le portrait d’un inconnu.

Silence, le chibani ! Flegme et impassibilité, comme au poker.

Je ne peux pas lui expliquer que le Cri du Nègre faisait sûrement partie des murs quand sa mère a racheté cette maison, et qu’elle ne peut être accusée d’idolâtrie.

– Je comprends, c’est déconcertant, en effet. Quoique, à bien y regarder… c’est un très bel homme !

Ma réponse l’intrigue, ma tentative d’ironie fait long feu mais elle décide d’en rire :

– A chacun ses goûts ! En attendant il dérange. Nous avons toutes l’impression qu’il nous surveille !

Malheureux porteur d’eau ! Il vit maintenant chez une femme dont il n’a pas su se faire aimer.

Tant pis pour lui !

Voila chers amis lecteurs, nous avançons dans l'histoire d'Habiba. Je remercie encore JFK pour le cadeau qu'il nous a fait. Je répète ma demande de souvenirs à raconter et salue tous les nouveaux lecteurs qui viendraient nous rejoindre.

Je souhaite également à tous ceux qui, en France, vivent dans la partie Nord de ce beau pays, d'avoir un peu plus de soleil et de chaleur dans les prochains jours, car le gris permanent devient désespérant.

A bientôt... Toutes mes amitiés. Votre toujours MICHEL

 

   
   
Notre marrakech 45-70
Publicité
Publicité