Deux visites et MAN ANA 13
Cette année-là, je suis rentré à Marrakech et Papa n'y était pas. Sans nous l'avoir dit, Papa était malade. Il avait une dernière envie, aller visiter l'Amérique du Sud. Il avait donc décidé de s'offrir avec le Touring Club de France, un voyage extraordinaire de trois semaines Brésil-Argentine-Chili-Pérou.
Agence de voyages avant la lettre, avant l'extraordinaire essor du voyages toutes destinations et tous budgets, le Touring Club de France nous avait déjà permis de visiter le Canada et le Mexique.
Papa voulait terminer sa découverte du continent américain par sa partie hispanique. Pour des raisons sans doute liées à son histoire personnelle, il refusait catégoriquement de visiter ou d'admirer les USA.
Pour autant, je n'avais pas l'intention de renoncer à mes vacances marocaines. Il fut donc convenu qu'à Casablanca, je récupérerais chez Letan la voiture paternelle, une Fiat 2300, que je me rendrais à Marrakech où mon frère m'attendrait. Et qu'après on verrait.
Au sortir de l'aérodrome de Nouacer, je fus tout d'abord obligé de prendre un grand taxi pour aller à Casa, les petits taxis ne pouvant pas sortir des agglomérations. Ces grands taxis étaient (et doivent encore être) de caboteurs routiers, prenant ou laissant au gré de leur itinéraire des clients souvent dotés de bagages encombrants (vélos, moutons). Véritables taxis collectifs, ils constituent un moyen de déplacement vital pour toute une population dépourvue de véhicules.
Celui dans lequel je me déplaçai était caractéristique. Une grosse américaine âgée d'une bonne vingtaine d'années. Il me chargea en direction de la rue de l'Isère à Casablanca et commença par s'arrêter et me demander cinq dirhams pour mettre de l'essence !
Puis il me conduisit à la rue de l'Yser. Homophone de la rivière alpine, le fleuve belge n'en était pas pour autant ma destination. Lui expliquant que ce n'était pas le bon Isère dans le quartier du polo, il me conduisit alors au... commissariat de police. Là, il me demanda froidement d'aller me renseigner, car lui aurait été éconduit.
Nanti des indications idoines, il finit par me déposer devant la porte des Letan, où je récupérais la Fiat, avec le commentaire « les pneus sont un peu lisses ». Pas de bol, c'était un jour de petite pluie au Maroc, et les pneus « General » étaient tout sauf des pneus pluie. J'appris bien vite à doser freinage et accélération sur une chaussée présentant des points communs avec une savonnette, et je finis par rallier Marrakech sans trop de casse.
Le temps de retrouver mes marques, je m'aperçus que Jacques, le copain avec qui j'avais révisé le bac, était venu passer les vacances avec deux copines. En trois phrases, nous décidâmes de partir tous les cinq faire une petite virée dans le Sud.
La grosse Land-Rover fut bien vite apprêtée, l'épicier du petit marché dévalisé, et nous voilà partis vers le Tizi n'Tichka, porte du Sud !
Nos trois compagnons faisaient des études de biologie, comme moi, et nous discutions énormément de biologie et de géologie. Lui voyait des charophytes partout dans les oueds, moi je décrivais les parties florales des Calotropis Procera (asclépiadacées) ou les plissements de terrain qui se lisaient dans les paysages.
Arrivés à Foum Zguid, les formalités de déclaration faites au poste, nous allâmes divaguer vers la piste de Sbah, qui filait vers le Dra peu après Foum Zguid.
En train d'explorer une crête rocheuse qui pourrait recéler des gravures, nous voyons Anne-Marie qui vient vers nous blanche comme un linge : « je viens de me faire mordre par un serpent ». Elle circulait à pieds entre les cailloux quand elle a surpris un reptile, à moins que ce ne soit l'inverse. Résultat : quatre points sanguinolents sur le dessus du pied, puisqu'elle circulait en tongs alors que nous avions tous des baskets.
Grosse baisse dans le moral, l'agresseur a disparu, donc impossible de l'identifier. Ce peut être une couleuvre ou une vipère à cornes, à la dangerosité éprouvée. A tout hasard, nous fîmes une injection sous cutanée à proximité de la morsure, comme recommandé dans le mode d'emploi, et direction le dispensaire de Foum Zguid au plus vite !
Finalement, aucune aggravation de l'état ne se produisit, et nous arrivâmes à Foum Zguid sans problèmes.
Interview de la population, chance l'infirmier du dispensaire était là. Il nous confirma que vu le temps le reptile n'était pas venimeux. A titre de précaution, il nous confia une dose de sérum anti vipère à cornes à peine périmé, mais c'était mieux que rien de toutes façons. Nous le remerciâmes chaleureusement de nous donner ce qu'il avait, c'est à dire pas grand chose, mais de bon coeur. Nous serions aussi bien soignés que les habitants du douar.
L'esprit un peu plus léger, nous repartîmes vers Tata. Arrêt à Tissint pour voir les gamins se baigner dans la cascade, puis nous décidâmes de piquer plein sud vers le Dra.
Nous découvrîmes alors la folie agricole qui régnait le long de ce fleuve pourtant à sec. Lors de l'hiver, les crues font apparaître de l'eau sur ses berges. Camions et tracteurs débarquent alors pour labourer ces terrains humides, les maaders, et on y sème des céréales. L'humidité est suffisante, le soleil abondant et vers pâques on peut faire la récolte. Tout est alors ramené vers les gros villages (Akka, Tata, Tissint, Foum Zguid, Assa, Foum el Hassane..) pour être commercialisé.
Nous étions pile dans la saison de moisson, nous croisions nombre de camions Bedford rouges chargés de récoltes, de matériel, d'ouvriers agricoles. Tout ce désert vivait intensément.
Evidemment, en suivant la piste des camions, nous constatâmes qu'elle traversait l'oued Dra. Et nous l'empruntâmes donc allègrement, pour nous retrouver rive gauche, c'est à dire en Algérie. Quand on sait les difficultés occasionnées par la traversée de la frontière algéro-marocaine, toujours fermée de nos jours, on mesure l'importance de ce symbole. Même si nous sommes soigneusement restés sur la piste, parce qu'il pouvait toujours y avoir de plaisantins qui semaient des mines à côté, les quelques kilomètres ainsi parcourus nous grisèrent.
Nous cessâmes cependant rapidement la plaisanterie, ne souhaitant pas expérimenter quelques mois de détention à Tindouf, dont le climat estival risquait de nous amollir très sérieusement. Nous retraversâmes sagement l'oued, et continuâmes à divaguer dans les maader. La Hammada du Dra, de toutes façons, était cachée par le djebel Ouarkziz, pendant algérien du djebel Bani, le lit du Dra se faufilant entre ces deux chaînes montagneuses.
Emportés par le romantisme, nous tombâmes sur une construction, ancien poste militaire apparemment, en ruines. Personne aux alentours, nous décidâmes d'en faire notre étape d'un soir. Nous repérâmes une chambre en étage de la tour qui avait l'air de résister. Une couverture aux fenêtres, un bout de chiffon dans une boîte de conserves avec un fond d'huile de vidange et voilà une lampe à huile (ça fume un peu noir). Nous nous préparâmes pour une nuit dans le Fort Saganne du coin, en face du désert des tartares.
Pendant les préparatifs, Jacques alla se balader avec le talkie walkie pour voir comment cela marchait. Il s'amusa à se faire passer pour un certain commandant Saïd, auquel je me gardai de répondre à tout hasard pour ne pas voir débarquer les FAR (Forces Armées Royales), avant d'être couvert par une radio espagnole émettant avec une puissance assez extraordinaire. Cela devait être un poste militaire du Rio de Oro, à 200 km de là quand même. Nos appareils fonctionnaient en ondes courtes, et devaient avoir une portée intéressante encore que pas forcément conforme aux réglementations nationales.
Jacques se prit quand même un savon au retour, parce que ce sont des plaisanteries douteuses, et qu'il y a des jours où il vaut mieux ne pas jouer avec les autorités militaires chatouilleuses sur le plan de la sécurité intérieure.
Après un solide repas dans notre palais improvisé, nous ne fûmes pas dérangés et passâmes une nuit somme toute confortable. Ce fut pour une fois l'habitude et non le lever de soleil qui nous tira du lit.
Nous repartîmes vers le nord, afin de rejoindre la piste qui nous amènerait vers Akka. Toujours à l'affût d'une nouvelle aventure, nous remarquâmes partant sur la gauche une piste assez ancienne faite de deux traces parallèles qui partaient vers un réseau de collines globalement ouest, direction que nous devions prendre plus haut.
Un coup de volant, et ce fut parti vers l'ouest, la piste serpentant quelque peu entre les rares cailloux du reg. Tout à coup, Michel, mon frère, qui conduisait à ce moment là, pila net ! Devant nous, les traces que nous suivions depuis plusieurs kilomètres passaient chacune d'un côté d'un petit acacia gommier, fièrement planté au milieu ! L'arbre ayant quand même une hauteur de deux mètres, il ne datait pas d'hier ! Nous conclûmes donc que, suite à on ne sait quel phénomène pédologique, les traces d'un véhicule passé il y a fort longtemps (20 à 40 ans) étaient celles que nous suivions.
La surprise et la photo passées, demi tour !
Lors de ce voyage, nous adoptions de plus en plus un comportement de touristes. Nous connaissions tellement bien le pays que nous nous y trouvions comme dans notre jardin, nous maîtrisions tellement les règles de conduite sur piste, de réflexion dans les décisions, que finalement nous nous autorisions en toute connaissance de cause un certain nombre de fantaisies.
Ce voyage là, la fantaisie vint du fait que nous finissions par tous nous retrouver sur le toit de la jeep, laissant le chauffeur en bas écouter le moteur tourner. Depuis le toit, on voyageait en souplesse et avec une vision totalement panoramique. Sel problème : le soleil, problème réglé par chapeau ou casquette (Jacques avait même adopté un Tee Shirt qui faisait office de chèche) et une consommation intense de crème Nivéa pour les peux sèches, que nous achetions au prix de gros chez nos amis Lachèze, un peu la seconde maison de mon frère à Marrakech. La poussière s'accumulait néanmoins, et nous ressemblions de plus en plus à des blédards couverts de poussière, mais cela faisait partie du charme de la balade.
Arrivés à Assa, nous estimâmes qu'il était trop tôt pour rentrer sur Marrakech, et nous décidâmes de tirer plein sud vers le coin entre le Sahara espagnol et l'Algérie, à savoir le poste de Zag.
Nous connaissions le début de l'itinéraire et décidâmes de nous arrêter pour la nuit dans le lit du Dra. La tente montée, la nuit vint vite et avec elle des ombres mystérieuses qui se mirent à bouger autour de nous, avec des froissements suspects. Les deux copines furent bien vite mal à l'aise, malaise qu'avec Michel nous amplifiâmes quelque peu en nous déclarant incapables d'identifier les animaux ; chacals ? Il n'y a pourtant plus de fauves au Maroc... Quoique sommes nous encore au Maroc, cet Oued Dra ne recèlerait-il pas des secrets insoupçonnés ?
Nous finîmes par identifier de paisibles dromadaires qui paissaient les buissons verts autour de nous.
Le lendemain, passage au poste de contrôle de Touizgui Remz, puis plein sud vers Zag. Un piste sans problème, jusqu'au poste qui était fermé entre midi et quatorze heures, heures de bureau obligent. Nous promîmes de revenir à 14 heures, et allâmes faire un tour au souk.
Surprise, le camion était passé récemment, et il y avait du beurre et de la kesra fraîche. Nous avons donc dévalisé l'épicier et nous sommes allés pique niquer un peu plus loin, sous trois palmiers. Pain-beurre boîte de sardines vache qui rit et orange plus tard, le temps de tailler une bavette avec un chamelier, nous voilà devant le poste qui nous délivra le sauf-conduit pour Mseied.
L'officier nous demanda, comme cela se faisait souvent, si nous pouvions charger un militaire qui attendait un camion pour partir en permission, mais nous répondîmes par la négative, car nous voulions rouler à notre guise.
Finalement, en expliquant que nous allions mettre deux jours pour rallier Mseied, l'intéressé renonça à un moyen de transport aussi lent.
Nous repartîmes donc vers l'ouest, en direction de Tan Tan. Pris par la monotonie du trajet, nous élaborâmes alors un autre projet, celui d'aller visiter la Plage Blanche et de rejoindre Goulimine par la côte et le sud de l'enclave d'Ifni.
Nous décidâmes de rouler jusqu'à Tan Tan, puis de ravitailler en produits de première nécessité (des cigarettes détaxées essentiellement) avant de repartir.
Nous passâmes le poste de Mseied complètement endormi, à minuit et à une heure du matin nous dressâmes la tente de nuit un peu avant Tan Tan.
Grasse matinée jusqu'à neuf heures, shopping, et ce fut reparti jusqu'au gué sur le Dra, qui, bizarrement, était toujours en eau alors que le Dra que nous avons traversé vers Tata ou Touizgui Remz était complètement à sec.
Juste après, nous quittâmes la route goudronnée en direction de l'embouchure du Dra sur la mer, Foum el Oued Dra.
De là, en longeant la côte sur le plateau, nous arrivâmes au fort d'Aoreora, qui marquait la limite sud de la plage blanche.
Un petit salut courtois aux militaires, et nous repartîmes au Nord. Mais la piste s'éloigna de la côte, et ce qui nous intéressait c'était la plage. Au pied du fort d'Aoreora, un oued ensablé entaille le plateau. C'est un obstacle à franchir avant d'atteindre la Plage Blanche.
Un peu plus en amont, nous trouvâmes que la pente pour atteindre le lit de cet oued asséché était raisonnable pour une Land-Rover, et Michel engagea le véhicule dans la descente, les passagers suivant à pieds. Sans problème, le véhicule arriva en bas de la pente. Tout le monde remonta à bord et nous repartîmes jusqu'au bord de l'eau. La plage blanche s'ouvrait devant nous, vaste étendue de sable fin et très clair qui rompait avec cette côte dans l'ensemble plutôt rocailleuse.
Nous entreprîmes de rouler sur le sable vers le nord, à la recherche d'un chemin qui déboucherait sur la plage et nous permettrait de remonter sur le plateau sans trop de difficultés.
Le problème, c'était que la mer montait. Les premiers kilomètres se firent sur un sable humide et bien tassé, mais nous évitions de rouler dans l'eau salée pour ne pas de transformer le châssis de la Land en dentelle de rouille.
Progressivement repoussée vers le sable sec, moins porteur, par la marée montante, la Land s'enlisa. Malgré l'usage de la la vitesse démultipliée, elle s'obstinait à creuser le sable sans en sortir. Dans ces conditions, la première chose est de ne pas insister. Nous trouvâmes des bois de flottage assez larges pour en faire usage de plaques de désensablement.
Le véhicule sortit de son ornière, s'immobilisa quelques mètres plus loin sur un sol plus ferme.
Nous décidâmes de conserver ces planches qui pourraient s'avérer encore utiles. Effectivement, quelques mètres plus loin, re plantage. Re planches, mais nous restâmes en dehors du véhicule pour l'alléger.
Finalement, la progression continuant, Jacques décida de courir devant la Land pour tester le sable. Il nous indiqua ainsi des zones plus fermes, et se planta aussi une ou deux fois, mais nous avancions.
Après avoir parcouru 5 km environ, notre carte indiquait qu'il devait y avoir un chemin qui quittait la plage.
Nous repérâmes un muret de pierres, annonciateur de présence humaine, et un chemin praticable derrière.
C'était le point qui nous permettrait de quitter la plage. Cap vers le passage, et arrêt car le mur en pierres sèches ne permettait pas à la Land-Rover de passer. Nous utilisâmes une dernière fois les planches pour le franchir, sous l'oeil intéressé d'un indigène qui venait de surgir d'on ne sait où. Poliment, nous lui demandâmes si les planches dont nous pensions ne plus avoir besoin l'intéressaient. A peine avait-il répondu par l'affirmative qu'il manqua d'être assommé par quatre planches jetées du toit et qui atterrirent à ses pieds.
Revenus sur le plateau, nous retrouvâmes une zone désertique, et suivîmes gentiment la piste. Michel était toutefois assez soucieux car il entendait un bruit suspect au niveau de la suspension avant droite.
En examinant d'un peu plus près le train avant, nous constatâmes que la lame de ressort reposait directement sur le châssis. La bride arrière s'était rompue, et seule la bride avant rattachait le demi train avant à la carrosserie. La Land-Rover a beau être une voiture qui continue de marcher aux trois quarts détruite, la situation était cependant préoccupante.
En fouillant dans la caisse à outils, sous le siège avant, nous identifiâmes parmi les pièces un silent bloc et une bride qui pouvaient servir à réparer le tout. Il nous fallut détordre à la main et au marteau, en utilisant un caillou comme enclume, une pièce en U pour lui permettre de passer dans l'axe qui permettrait au ressort d'éviter de reposer sur le chassis. Pour couronner le tout, il fallait fixer le tout avec un écrou de 21, que nous avions, mais nous avions une clé plate de 20 ou 22. Le problème fut résolu avec une pièce de vingt francs marocains dont l'épaisseur fut idéale pour serrer un écrou de 21 avec une clé de 22.
Cette réparation de fortune tint plusieurs voyages, et je dus me fâcher bien plus tard pour que mon père consente à la faire réparer.
Cet travail nous prit une bonne partie de l'après-midi, et nous décidâmes de nous arrêter un peu plus loin, à l'embouchure de l'oued Noun.
Camping au bord de la mer, entre deux dunes et derrière un gros buisson de végétation qui marquait la fin du désert.
Le soir, pâtes à l'eau de mer, c'était toujours cela d'économisé. Sauce tomate Sipa et parmesan pour assaisonner.
Le lendemain, nous profitâmes de la présence de la mer pour faire une petite trempette Jacques se balada à poil sur la plage, et Anne Marie alla s'isoler derrière les buissons qui parsemaient l'oued. Nous la vîmes revenir blême !
« J'ai encore rencontré un serpent ! », nous dit-elle.
« Comment le serpent ? «
« Noir avec une tête plate »
« Un cobra ! Il t'a mordue ? »
« Non »
« Ouf ! Heureusement, parce que celui là on n'a pas le sérum »
Elle a fini par se laver dans la tente ! Mais on n'avait jamais vu autant de serpents qu'avec elle !
Nous reprîmes la piste, ramassâmes au passage un crâne de chameau que nous attachâmes sur le capot de la Land, ressemblant de plus en plus à des touristes furieux.
Nous dormîmes vers Agadir, et commençâmes de remonter vers Marrakech en suivant la côte. A l'époque, la route rapide Marrakech-Agadir n'avait pas été tracée au travers de la montagne.
A un croisement de route, nous retrouvons Serge, un copain globe trotter qui, en attendant de descendre sur Dakar, faisait un petit tour du Maroc en stop. Il voyageait avec son seul sac à dos et son kimono de karateka qui lui permettait de gagner quelques sous en donnant des leçons de karaté aïkido sur les souks. Il avait déjà fait plusieurs fois la route jusqu'en Afrique noire en stop, l'Afghanistan aussi, bref un baroudeur, qui avait toujours des histoires extraordinaires à nous raconter.
Il était éclaté de rire au bord de la route en voyant la Land avec le crâne de chameau sur le capot, Jacques hirsute et barbu qui en descendait... « Je savais que des touristes s'arrêteraient » nous dit-il. Il nous expliqua qu'il se rendait à Essaouira, plus précisément à côté, à Diabat où une communauté hippie s'était constituée et où il comptait passer un ou deux jours avant de rejoindre Marrakech.
Pour une raison inconnue, alors que Michel allait explorer un coin pour le pique nique du midi, nous nous mîmes à déambuler le long de la route en discutant. Il ne fallut pas longtemps pour qu'un homosexuel juché sur un mini vélo (la mode à l'époque) nous avise et nous invite chez lui. Serge en rajoutait un peu en m'appelant son « ami », en jouant sur l'ambigüité de cette situation, en me mettant le bras autour de l'épaule, et je me sentais un peu mal à l'aise.
Munis d'une invitation en bonne et due forme pour le soir, et donc débarrassés de l'importun, nous rejoignîmes le groupe où les copines nous charrièrent un peu.
Nous laissâmes Serge, qui nous rejoignit quelques jours plus tard à Marrakech, mais je gardai de cette nouvelle orientation du tourisme au Maroc un goût amer. Comment pouvait-on venir dans un pays étranger et en ignorer autant la culture, emportant ses habitudes de vie comme une bulle autour de soi ?