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Notre marrakech 45-70
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28 mai 2012

Le Sud, un souvenir et HABIBA 9

Mes chers lecteurs, un problème de santé, bénin, va me tenir éloigné, pendant une dizaine de jours, au dire des médecins, de mon clavier d'ordinateur. Je vais donc en ce lundi de Pentecôte, écrire un court article pour que vous ne vous sentiez pas complètement abandonnés.
Quelles nouvelles vous faire partager?
Quelques belles photos de Aït Ben Haddou que notre amie Donatienne m'a fait parvenir après son séjour dans le sud du Maroc . Elles font suite à celles éditées dans le dernier article. Elles sont toujours aussi belles et rappelleront certainement de souvenirs à plusieurs d'entre vous.....
 
Et puis une vingtaine de marrakchi(e)s d'origine ou seulement amoureux de cette ville pour y avoir passé leurs adolescences ou seulement conquis par la beauté des paysages découverts au cours de séjours touristiques et qui nous ont rejoint dans l'amitié qui nous lie se sont retrouvés chez Sylvaine (garantie pure  Marrakchie) dans un joli coin du Sud Ouest pour passer deux jours enchanteurs.
Je ne vous montrerais qu'une photo qui les trouve autour d'une table et qui prouve bien que les rires et les souvenirs étaient, à tous moments, présents.
 
Ce genre de réunion, est à recommander..... Ils entretiennent l'amitié et cimentent les liens qui se tissent entre les lecteurs de Notre Blog.....
 
 
Et pour affirmer un peu plus ce que je viens d'écrire, je demande à Joseline de nous raconter ceci.
Bonjour Michel! En forme?

 Levée tôt, j'ai entrepris un peu de tri dans ma boîte aux lettres et du pps sur le Maroc que tu nous as envoyé, la 3è photo m'a posé réflexion, bien que plusieurs autres ne me soient pas plus inconnues pour y avoir parcouru longtemps ces lieux. 

Cette photo, tirée à une date très antérieure, a été publiée sur ton blog, d'abord avec les photos d'Imini de mamie Paulette, puis avec une autre série d'un de tes proches amis à qui tu as dédié une page d'amitié.

Toutes ces photos d'un autre âge, retiennent toujours notre attention avec attendrissement mais jamais avec regrets, bien au contraire n'est-ce pas? 

J'avais répondu à Bernard, qui ne se souvenait plus très bien de cette borne commémorative, peinte à la chaux après l'Indépendance.

Ce qui est vrai, puisque nous l'avons vue mais j'aurais dû un peu mieux préciser que, bien plus tard, après son accession au trône, à l'annonce de la première visite du Roi Hassan II dans la région de Ouarzazate, cette même borne a été repeinte aux couleurs du drapeau chérifien, en rouge et vert.

Ayant fait une halte à son passage au col du Tichka, le Roi Hassan II a remarqué cette borne et a demandé aux autorités de la région de remettre en l' état les inscriptions qui commémoraient les constructeurs de cette si belle route creusée dans les flancs du massif du Haut Atlas jusqu'à Ouarzazate, et qui illustraient surtout un pan de l'Histoire du Maroc. 

A l'époque, dans sa bienvenue, l'attention du Roi du Maroc si pleine d'exactitude, a fait le tour de la région et à Imini, encore en activité, cet événement dans de telles circonstances, a marqué pour toujours les esprits de chacun. 

A une autre visite quelques années après, sa Majesté Hassan II a pu constater la restauration de la borne, embellie comme on peut la voir sur la photo.  

Je voudrais aussi ajouter que, à chaque visite du Roi Hassan II, nous en avons vu trois avec celle précédente du Roi Feu Mohamed V, nous allions tous, gens d'Imini, avec ou sans caméra ou appareil photo, voir passer le cortège à Amerzgane où les autorités de chaque village avoisinant conviaient la population dans la même ferveur.

Des tapis, aux typiques couleurs orange et brun de la région, recouvraient les murs, le sol et, dans des youyous et applaudissements nourris, le cortège ralentissait laissant entrevoir le roi et sa suite dans de nombreuses belles voitures. L'émotion était grandiose et l'image inoubliable. 

Voilà cher Michel, en revoyant la photo de la borne au col du Tichka dans sa dernière parure, je me suis un peu laissée aller dans mes pensées...  

Amitiés. JOSELINE

 

Merci chère Joseline pour ce récit qui nous transporte à une époque bénie, où nous étions jeunes et heureux de vivre dans un si beau Pays.

Vous, qui êtes en train de me lire, je suis certain que vous avez aussi des anecdotes semblables à nous faire partager. Alors n'hésitez pas, envoyez les moi par courriels et je me ferais un devoir et un plaisir de les éditer pour en faire profiter tous nos amis....

Mais il est temps de vous donnez lecture des trois chapitres suivant de l'histoire de notre jeune princesse berbère.... Voici HABIBA.

 

 
 
 

metropolis*

 

 

*Cité fictive que l’auteur emprunte à Fritz Lang. Conçue de façon à ce que deux peuples puissent  l’habiter tout en s’ignorant mutuellement. Les maîtres vivent en haut dans de somptueux jardins éternels. Les femmes sont belles comme des orchidées. Sous le sol vivent les esclaves, hommes-outils, machinesfourmis, qui font fonctionner le tout sans jamais voir la lumière. Bien sûr, aucun rapport avec cette histoire.

Fils-de-Roumi est assis sur les marches du grand escalier.

À peine réveillé. Pieds nus, torse nu, les cheveux en broussaille, il brosse avec application le setter irlandais tétanisé par l’agression voluptueuse du crin.

Habi, un peu plus loin, balaie les dalles du patio à petits coups soignés, prudents, qui ne soulèvent pas la poussière. Elle se retourne.

— Tu y vas quand ?

— Je vais où quand ?

— À la ville !

Elle disait la médina.

— Lundi.

— C’est loin ?

— Dans cinq jours.

— Non, je te demande si c’est loin, la ville !

— Quarante-trois kilomètres.

— C’est comment quarante-trois kilomètres ?

— C’est loin !

— Comment est-ce qu’on sait où c’est ?

— Il y a une route qui y va. C’est là.

— Est-ce qu’il faut être Roumi pour aller en ville ?

— Mais non ! N’importe qui peut aller en ville.

— Mais…

En fait, ce qu’elle veut savoir c’est si la ville c’est du côté du soleil qui se lève, c’est combien de jours pour le voyage, si on peut emporter des galettes et de l’huile, s’il y a une rivière à traverser, où est-ce qu’on dormira, et pour les chèvres… est-ce qu’on amène les chèvres ?

Mais elle n’ose qu’une question :

— C’est comment ?

Il pose la brosse. Le grand chien roux reprend vie, s’ébroue et retourne s’allonger à l’ombre.

Comment expliquer la ville quand lui-même n’en connaît vraiment que le couloir étroit entre la gare et la pension,  qu’il ne voit que les arbres qui fuient le long des fenêtres du train et se changent en pylônes échevelés, que les tentes et les nouallas qui se transforment insensiblement en petits cubes blancs au toit plat, gagnent en volume, en hauteur, s’assemblent en un tunnel de fenêtres et de cours arrières encombrées de détritus, de cadavres d’autos et d’aboiements de chiens en laisse.

Et puis c’est la gare à l’autre bout, un monde lugubre et froid où personne ne connaît personne, où tout le monde se bouscule et où on ne fait que passer, d’où on ne peut que partir.

Alors, il décide de lui inventer une ville, une ville construite  sur des rêves, des jalousies de potache, des  vantardises d’ externes , ces enfoirés qui jouent au foot dans la rue, qui vont à la plage le dimanche, qui vont au ciné n’importe quand, qui racontent des histoires de filles, qui ont une maison le soir, et une maman dans la maison.

— D’abord il y a les quartiers avec de grandes maisons blanches, des murs très hauts tout autour et de grandes portes de bois avec des clous…

 

— Les portes sont ouvertes ou fermées ?  

— Fermées.

— Ah…

— Et derrière les portes il y a des jardins avec des roses et une fontaine et un jet d’eau et des zelliges partout et des colonnes. Et aussi du jasmin.

— Il y a une fontaine dans les maisons ?

— Mais oui !

— Alors les gens boivent l’eau de  leur  fontaine ?

— Bien sûr ! Mais il y a aussi des fontaines au coin des rues, pour les pauvres qui n’ont pas de maison avec une fontaine dedans.

 

— Il y a aussi des pauvres dans la ville ?

Des pauvres ! Tout un pan de mur du merveilleux château menace de s’effondrer sur la princesse. Il se promet de changer les pauvres gens en gens heureux dès que possible.

— Tu sais, tout le monde ne peut pas avoir une grande maison avec une fontaine. Alors les enfants et les femmes viennent avec leur seau mais ils n’ont pas loin à marcher parce qu’il y a des fontaines partout. Il y a aussi plein de serviteurs  qui habitent dans la maison des maîtres et eux ils n’ont pas besoin d’aller chercher l’eau dans la rue.

— Les servantes habitent avec les maîtres ?!

— Il y en a que oui et il y en a que non. Dans ces maisons il y a beaucoup de pièces tout autour du patio, les femmes ont chacune une chambre à elle et il y a toujours une pièce pour les servantes. Et puis il y a une grande salle où  elles se réunissent le matin et elles font des tas de choses à manger comme si c’était fête tous les jours, des  couscous, des tajines, des gâteaux au miel. Et quand les enfants reviennent de l’école…

— Oui, oui, raconte-moi l’école !

— L’école…

Il s’extirpe avec peine de la chair de pigeon dans la pâte feuilletée, des lignes de cannelle et des dégoulinures de miel… Bon, c’est comment, une école de bonheur… 

Pour Habiba, sa vision de l’école c’est une dizaine de fillettes accroupies sur le sol qui ânonnent les paroles  sacrées en une mélopée interminable, un babillage de petites cailles qui s’évade par les fenêtres et parfume toute la ruelle.

Un jour, en revenant du marché elle avait pleuré à les entendre rire. Elle ne comprenait pas ce qui avait fait d’elle quelqu’un de différent. Depuis, elle faisait toujours un détour par la rue de la poste pour effacer l’école de sa mémoire.

En réalité ce n’était pas tant l’école qu’elle voulait effacer que l’image des trois fofolles sautillantes, les filles du métayer qui traversaient les champs tous les matins, à la queue leu leu sur le sentier des lapins, la main dans la  main dès que le chemin s’élargissait, leurs pieds nus soulevant la poussière, mille petits pas jusqu’à la maison bleue du fquih , l’écrivain public, un vénérable barbu qui était muezzin à l’heure de la prière, instituteur à l’heure des enfants et sage à l’heure des vieux. Une sorte de chamane à tout faire.

On disait de lui qu’il savait tout de la vie de Mahomet, des saisons et des criquets, de l’humeur des femmes et des brebis en chaleur. Il aurait pu réciter les sourates du Coran en arabe du nord et en berbère des montagnes, il connaissait le nom des enfants et des parents et celui des parents des parents et de tous les autres enfants des autres parents. Il savait quand la pluie, quand l’herbe nouvelle, quand les cigognes. Il savait aussi quand la mort, il savait quand la femme grosse et il savait que ce serait une autre fille.

 

L’après-midi, il s’asseyait sur sa caisse de bois, au soleil, près de la porte, le dos bien raide contre le mur d’adobe, les deux mains appuyées sur la boule de la canne coincée entre ses pieds. On aurait dit une mante religieuse. Alors on allait le voir avec un petit cadeau, un bouquet de menthe, un pain de sucre, parfois même un poulet, on  s’accroupissait à ses pieds et on lui demandait ce qu’il fallait faire, ce qu’il croyait que demain  apporterait…si la chance, si la mort, si l’amour… et l’argent, oui, et l’argent ?

Et le vieux, invariablement, la tête un peu penchée du côté du coeur, écoutait, se grattait, réfléchissait. Il lui arrivait de réfléchir si longtemps que le soleil avait le temps de déplacer les ombres.

 

Et puis, invariablement, comme s’il émergeait d’un long rêve, il levait des yeux vitreux sur son interlocuteur, lui caressait la tête si c’était une femme, lui tapotait l’épaule si c’était un homme et, invariablement, statuait :

 

— Tu es une bonne créature, va et que Dieu ait pitié de toi.

 

Et on était rassuré. On repartait le coeur léger et la conscience tranquille.

 

Habiba, finalement, ce n’était pas tant l’école qui lui manquait que de sentir la main de cet homme sur son front, que d’être cette petite fille aux yeux baissés qu’elle avait aperçue un soir, baisant la main de l’homme et se jetant dans les bras de sa mère à la sortie de la classe.

 

Ce n’était pas tant d’être trop pauvre, ou trop loin, ou trop petite… ou tout à la fois : c’est que l’école n’était pas pour elle, et elle ne savait pas ce qu’elle avait fait pour cela.

 

Alors Fils-de-Roumi lui expliqua que l’école de la ville c’était une grande usine grise où les garçons et les filles étaient habillés tout pareil, avec des chemises blanches, des pantalons ou des robes bleu foncé et des chaussures vernies qu’il fallait astiquer dès qu’apparaissait un grain de poussière ou une tache de boue. Que les cours étaient fastidieux, les professeurs des maniaques cruels, que la discipline était sévère et la plupart des enfants séparés de leur famille pendant des semaines, des mois, pour devenir des enfants savants, vernis, fastidieux, disciplinés, maniaques et cruels.

 

Et il se crut.

— C’est comment, des chaussures vernies ?

— Si tu m’interromps tout le temps je ne peux pas te raconter la ville.

Elle se tut. Mais les chaussures vernies… elle en oubliait l’école, la ville.

— Le plus chouette, en ville, c’est les vitrines des magasins, plein de vitrines où on peut voir des habits, des livres, des jouets.Même des autos. Il y a de tout dans ces vitrines, des fruits, des légumes, des bijoux, des tissus, tout…

— C’est quoi des vitrines ?

— Oh… c’est comme une maison avec des murs en verre.

— Ils mettent des légumes dans des maisons en verre ?

— Oui ! Tu m’écoutes ?

— Oui, oui !

— Et les rues… Les rues sont larges, droites, avec des palmiers de chaque côté pour faire de l’ombre sur les trottoirs. Et il y a des parcs avec des fleurs, c’est beau, c’est propre. Pas d’ordures, pas de terre, pas de boue ni de poussière…

— Comment ils font pousser le foin et l’avoine, s’il n’y a pas de terre ?

— Pas de foin, pas d’avoine dans les villes !

— Alors les chèvres, elles mangent quoi ?

— Pas de chèvres dans les villes !

Ça alors ! Pas de foin, pas d’avoine ? Pas de chèvres ? Mais comment ils font ?

— Et le soir on allume les lumières dans les vitrines.

— Dans les maisons en verre ?

— Oui, il y a des lumières de toutes les couleurs qui dansent, des jaunes, des rouges, des lumières qui dessinent des images, des lumières qui écrivent des mots, qui…

Il l’avait perdue, elle était restée bouche bée devant une vitrine de lumière, une vitrine pleine de tissus multicolores, de châles, de voiles et de fichus…

— On peut rentrer dans les maisons en verre ?

Et, comme chaque fois qu’il racontait, elle fermait les yeux… elle dessinait des images derrière ses paupières, elle transformait le monde fantastique qu’il improvisait en un monde sien, compréhensible, à sa mesure.

— Et puis il y a aussi des gratte-ciels, c’est comme des tas de petites maisons empilées…

Mais c’était trop en une seule fois, le charme était rompu, les images toutes mélangées.

Elle s’était recroquevillée tout au fond de sa coquille :

— La ville que tu me racontes ce n’est pas la ville du Hadj.

Ce n’est pas comme ça, dans ses histoires.

— Mais Habi… c’est la ville où je vis, je n’en connais pas d’autre. Tu verras…

Trop tard… Sa ville à lui ne serait jamais sa ville à elle.

 
  

h-a-b-i

 

 

 

— Si tu veux, je t’apprendrai à écrire.

L’idée lui en était venue comme ça, le goût de partager sa science comme il l’eut fait d’une galette ou d’une poignée de dattes. Elle n’en réagit pas moins rudement, offusquée.

— Si Dieu avait voulu que je sache écrire, je saurais écrire !

— Ça n’a rien à voir avec Dieu, il a d’autres soucis… Je te parle juste d’écrire.

— Les filles n’ont pas besoin d’écrire.

— C’est faux ! Tout le monde devrait pouvoir lire et écrire.

S’il y a des filles qui ne savent pas, c’est parce qu’elles ne veulent pas, c’est tout !

— Ah oui ? Et si j’allais à l’école, qui garderait les chèvres ? Et qui chercherait de l’eau ? Et qui ferait le ménage dans la maison de monsieur ?

— Ah ! Ce n’est donc ni Le Hadj ni Dieu qui t’empêchent d’écrire, ce sont tes chèvres et ton balai ! Tu trouves logique que tes chèvres t’empêchent de lire ? Est-ce que ton balai t’empêche de chanter ?

— Oh, tu m’embrouilles ! Tu parles, tu parles, mais en vérité tu ignores tout de nos lois, du Coran !

— Ah, tu crois ?

— Et tu ne sais rien de moi, de nous, tu ne sais rien des gens d’ici, tu ne sais rien de mon pays !

— Mais Habi, c’est aussi mon pays !

— Et moi je te dis que mon pays n’est pas ton pays !

Et elle s’enfuit, furieuse de sa propre colère, atterrée par le doute monstrueux, par le fossé qu’elle creuse… Elle serre les poings, elle veut tant convaincre mais elle voudrait tant qu’il ait raison ! Tout au fond d’elle tinte la petite clochette du djinn : savoir, être sûre, se tromper, avoir tort, dire oui, apprendre quand même, écrire, lire avec lui…

Quelle désespérance !

Le lendemain, elle avait sa tête des mauvais jours.

— Salut Habi !…

— Je n’ai pas le temps de bavarder, là. Il faut que je pousse les chèvres jusqu’à la rivière.

— Tu es fâchée ?

— Qui dit que je suis fâchée ?

— Habi… écoute ! C’est pour toi ! Si tu veux, si tu veux vraiment, moi je peux t’apprendre à écrire.

Elle s’arrête, jette un coup d’oeil de côté, encore une petite résistance, un doute, puis, avec le bec haut et l’arrogance de la perdrix acculée par le furet :

— Si je veux ?

Si Dieu le veut , tu veux dire…

— D’accord. Si Dieu le veut… moi je peux.

— Bon, on verra !

Elle repousse son foulard sur le cou et siffle les chèvres mais il n’abandonne pas :

— Attends-moi, hé, la rivière ne va pas s’envoler !

— Quoi encore ?

— Attends, regarde, je vais te montrer.

— Tu veux me montrer à écrire, là, maintenant ?

— Oui, oui… Regarde, on va écrire ton nom.

Elle s’accroupit près de lui.

— Dessine une échelle, là, parterre.

— Comment, une échelle ?

— Une échelle, quoi, comme celle de la noualla.

Elle s’exécute, deux verticales tracées dans la poudre de terre d’un doigt malhabile puis trois, quatre barres transversales qui devraient bien permettre d’escalader une hutte…

— Bon, maintenant tu effaces tous les barreaux sauf un.

Elle efface.

— C’est ça. Tu viens d’écrire H 

— C’est quoi H ?

— C’est le commencement d’un mot. Il y a beaucoup de mots qui commencent par H. Il y a Homme, il y a Haricot, Hibou, Hérisson, plein de mots.

— Hamour ?

Elle a des yeux incroyables, cette fille.

— Non, amour, ça commence autrement.

— Ah !

— On continue ? Bon. Là, tu dessines une noualla. Une noualla avec une porte.

Le triangle isocèle naît sous son doigt, il penche un peu, un petit coup de vent et pouf la hutte serait sur le cul, mais la porte vient d’en faire une sorte de A

— Voilà, tu as écrit un A.

— Ah ?

— Oui, A, on continue… Là je vais t’aider, tu vois, là, les deux ronds attachés à une barre, on va dire que c’est deux lèvres, comme une bouche. C’est un B, une belle bouche, non ?

— On ne peut pas dessiner les bouches, ni les têtes, ni les gens, tu n’as pas le droit…

— Habi ! c’est juste comme une bouche, c’est pas une vraie bouche, c’est personne… On continue ?

— Oui, mais c’est pas une bouche…

— D’accord, c’est un pas-une-bouche , c’est un B quoi !

Allez, encore un dessin : tu fais un piquet… bien ! Tu vois ?

— Je vois quoi ?

— Je t’explique : échelle, hutte, pas-une-bouche, piquet.

— Oui ?

— Mais c’est ça, Habi ! C’est ton nom, tu as écrit ton nom, regarde ! H–A–B–I

Sous ses yeux incrédules, le sable inerte s’est transformé soudainement en quelque chose de magique, de vivant.

— Mon nom ? c’est mon nom !

Les hiéroglyphes sans queue ni tête, échelle-hutte-pasune-bouche-piquet, se sont changés en Elle, en HABI !

La main sur la bouche, stupéfaction, un hoquet, un point qui fait mal, là, qui étouffe, ce sanglot, ma foi elle pleure !

Moi, Habiba, je viens de naître, témoins les arbres, les oiseaux… Il y a quelque chose de sacrilège, là, sur le sable. H-A-B-I, c’est gravé là sur ce petit bout de terre qui est Moi, qui sera piétiné par le troupeau, effacé par le vent. Je vais l’enchâsser dans la pierre, l’imprimer dans le ciel, le graver dans mon coeur. J’ai écrit mon nom… je pourrai écrire le temps qui passe, écrire la chanson qui vit dans ma tête, écrire le ciel dans ses yeux à lui…

Alors elle se relève, fébrile tout à coup, trépigne, presque hystérique :

— Encore, encore… montre-moi un autre mot !

L’enthousiasme de Habiba l’effraye et l’enchante à la fois. Il a voulu jouer à écrire, jouer à enseigner et Dieu sait ce qu’elle a compris. Il a vu sa surprise, puis sa joie. Il découvre une autre, une personne, une presque femme. Lui qui ne la regardait pas, qui ne la voyait pas, il l’examine, la dissèque, un peu gêné par son regard à elle, un regard qui fouille, qui veut comprendre, qui veut convaincre, un regard qui veut prendre…

Tu l’as bien cherché, mon beau Pygmalion… La chrysalide a explosé mais Pygmalion n’épousera jamais le papillon car il est aveugle et sourd et parce qu’il ne parle pas des  mêmes choses et qu’il n’est pas d’ici, même s’il est d’ici…

— Allez, allez, montre-moi un autre mot, s’il te plait. Moi

je t’apprendrai les alouettes, les courlis et le lièvre…

— On essaie M-A-I-S-O-N ?

— Maison, oui, oui, maison !

montagne, hutte, piquet, serpent…

— Allez, vas-y, écris !

je t'apprendrai les oiseaux

Il a apporté un petit carnet à couverture bleue avec un ressort en métal qui relie les pages sur le côté et tient emprisonnées plein de petites languettes de papier déchiré, le talon des pages disparues.

Les quelques feuilles qui restent sont quadrillées, il explique, pour qu’on puisse bien aligner les lettres. Sur la couverture écornée, une étiquette blanche avec un liseré rouge et les coins coupés. Quelque chose d’écrit a été  effacé, un grattage malhabile a creusé le papier. Le bleu de la couverture apparaît en deux taches au fond du trou. Et puis là, par-dessus  les ratures et le frottis, il y a une nouvelle inscription.

En une seconde, elle reconnaît : échelle-hutte-pas-une-bouche-piquet. H-A-B-I… Facile !

Enfilé dans la spirale de métal il y a un tout petit bout de crayon à gomme, un crayon qui a dû être jaune mais dont le vernis, usé, mâchouillé, a presque disparu, laissant apparaître une âme en bois grossièrement taillée du côté qui enserre la mine. La gomme, à l’autre bout, du moins le petit millimètre rose qui en reste, est logée dans une bague de cuivre qui a dû servir de cric, de cure-dents, de baguette de tambour, va savoir, et qui en a gardé bien des cicatrices.

Depuis la première leçon d’écriture, surtout depuis le carnet bleu, Habiba vit sur un nuage rose. Chaque après-midi, à la halte des chèvres sous les eucalyptus, on s’échange un nouveau mot contre un exposé de sciences naturelles, un morceau de vraie vie qu’elle dit.

Elle, elle sait comment faire sortir les scorpions jaunes de leur trou en demi-lune et, d’un geste preste, les attraper par la queue pour les jeter aux poules. Tout le monde sait que les poules raffolent d’une becquée de scorpion qui gigote.

On sait moins si les poules sont mithridatisées contre le venin de scorpion mais le mot M‑U‑L‑E a été payé par l’exercice et c’est ce qui importe.

Par contre, pour la bonne façon de manger les figues bien mûres, il a d’abord fallu traverser C-A-S-C-A-D-E pour atteindre le figuier.

— Tu vas voir c’est comme un nuage de parfum sucré…

Il allait l’engloutir :

— Non, non ! Tu pourrais t’étouffer et en mourir !

Regarde. Il faut cueillir la figue par le pédoncule, elle avait dit par le petit-bout-de-la-queue avec un sourire malicieux, puis tu la retournes, tu lui regarde le trou du dessous – même sourire – tu fends le côté avec l’ongle et tu l’ouvres. Il faut toujours l’ouvrir par le cul pour déloger la guêpe qui s’y cache pour en sucer le suc. Si tu l’avalais tu mourrais étouffé.

Cela dit, elle s’était plaqué la moitié de figue sur la bouche et en aspirait l’intérieur comme s’il s’agissait d’une huître mais les huîtres, on le sait aussi, c’est comme la mer, ça n’existe pas.

Maintenant, elle veut A-M-O-U-R.

En échange, elle est prête à lui confier tout ce qu’elle sait sur le lièvre. C’est long, complexe mais un lièvre ce n’est pas n’importe quoi et l’amour non plus.

D’abord il faut ouvrir tout grand les yeux – Elle mime les grands yeux ; idem écarquille-t-il les siens, tout rond – car le sentier du lièvre est quasiment invisible.

Il faut savoir regarder.

Si tu observes attentivement tu verras comme une dépression dans la terre sèche, un creux où la brindille est plus rare, où les rameaux forment un semblant de tunnel. Alors tu te mets à genoux et dans l’ombre du buisson tu verras une douzaine de petites billes, des pois chiches de crotte en herbe oubliés là où le lièvre s’est reposé.

Si le lièvre t’a repéré, tap-tap, il tambourine une alarme discrète qui provoque à la fois la fuite de l’autre, terré à deux buissons de là et… ta distraction. Car malgré son tap-tap il est toujours là, lui, immobile, près des petits  ancrés au sol, les oreilles plaquées sur le dos. Il faudrait un chien très obstiné pour les lever.

Quant au lièvre qui fait le lièvre, il a explosé du buisson, dessiné un arc dans la lumière, rebondi de l’autre côté, bien visible, un immense saut, puis un autre, sept en tout puis vlan à droite, sept sauts et vlan à gauche… Tu l’as perdu de vue et il y a longtemps que tout le monde est à l’abri.

Mais si tu écoutes les conseils d’Habi tu sauras où il niche et quel est son sentier préféré car, s’il est vif comme l’éclair, le lièvre est aussi con qu’une mule.

Tu jettes une pierre en bas, dans l’acacia aux longues épines qui lui sert de résidence d’été, tu pirouettes vers le quatrième buisson, tu attends une seconde, deux… et le voilà qui arrive, d’un bond souple, discret, sans  froissement de broussaille, les oreilles en alerte, il s’évanouit, réapparaît au prochain carrefour, sans se douter que tu as cerné son chemin de ronde.

 

Mais attention ! Si un vrai chasseur t’accompagne, tu ne dis rien, tu passes le long de l’acacia sans un geste, sans un mot. Et rien ne bouge, et tout est en ordre. Et quand tu as besoin d’un lièvre tu mets un collet entre les deux buissons.

Aussi con qu’une mule, c’est Habi qui te le dit…

Tandis qu’elle explique à mi-voix, il voit le lièvre sauter, courir, virer, il l’imagine piégé, rebelle, vaincu. Les mains d’Habi s’en saisissent, caressent, égorgent, dépiautent. Bien sûr il n’y a pas de lièvre, il fait trop chaud, mais Diane exulte, c’était une belle chasse et il a tout compris.

On a fait A-M-O-U-R.

Elle a trouvé M-A-R-I trop facile.

P-A-R-T-I-R lui a fait de la peine.

Alors il a proposé T-A-J-I-N-E.

— C’est non !

D’accord, tajine, ça sent la cuisine mijotée et les femmes ont cette curieuse habitude d’associer mijotage et  récuragelessivage-savonnage-blanchissage alors que les paramètres copines-rigolo-baladi sont bien plus séduisants.

— Non, non et non ! Tajine, ça ne s’écrit pas, ça se mange.

C’est une poule, du beurre, des olives et du citron, pas une écriture ! Un T‑A‑J‑I‑N‑E tracé sur le sable n’apaisera jamais ta faim !

L’argument est inattaquable.

Elle reprend son élan :

— Femme, montre-moi FEMME !

Ils ont échangé F-E-M-M-E contre les gambusias mais l’exercice a exigé d’intenses négociations, et le mot est faible. En effet, si Habiba acceptait l’idée - avec certaines restrictions - que la feMMe possédât deux  M‑montagne, elle avait de sérieuses réserves sur les deux E. Deux oeufs ? Des O-oeil ou mieux, des B‑bouche lui paraissaient plus appropriés.

Bref, elle aurait préféré de beaucoup que l’on épelât femme B‑M‑M‑B (des bouche-montagne-montagne-bouche) ou, mieux encore, des O‑M‑M‑O (oeil-montagne-montagneoeil).

Comme on le voit Habiba possédait aussi le don de déstabiliser l’adversaire avec des petits riens, du style tsunami dans la mare tranquille de l’orthographe élémentaire.

Finalement, vaincue par l’intransigeance intellectuelle de son mentor, elle accepta de négocier l’anatomie de la F‑E‑M‑M‑E contre l’histoire des gambusias qui sonnent le miracle du printemps.

« C’est la pluie de mars qui sème dix fois mille gambusias dans l’oued et c’est le soleil qui les fait disparaître dès que les dernières larmes de ciel ont disparu et que le lit asséché est sillonné de crevasses. « Et soudain la pluie de septembre roule les pierres, redessine des méandres, sculpte des bouées d’écume, lave les rochers et reverdit les lichens.

« Dans l’eau calmée, rhabillée de cristal, il y a de nouveau dix fois mille minuscules poissons avec de gros yeux ronds, pas surpris du tout de te voir là, sur la berge. Ce sont les gambusias, de féroces dévoreurs d’anophèles.

« Alors tu t’assieds sur le bord et tu laisses pendre tes jambes dans le courant : ils viennent par deux, par six, par  vingt te chatouiller les pieds, te bécoter les mollets puis retournent traquer les larves qui ont bien meilleur goût.»

Voilà donc l’histoire pour laquelle Fils-de-Roumi a failli un jour transformer les F‑E‑M‑M‑E en O‑M‑M‑O dans tous les dictionnaires du monde, juste pour les beaux yeux d’une princesse berbère.

Le petit bout de crayon jaune et le carnet bleu à reliure spirale faisaient évidemment partie de chaque exercice. Cet outil à écrire, bien plus que l’exercice lui même, la comblait de bonheur. Elle apprenait, certes, mais elle était surtout devenue une véritable écolière grâce aux insignes de la profession : le crayon et le papier. Ce cadeau de rien du tout était un trait de génie diabolique, mais le génie comme le diable n’en savaient rien.

Bien sûr, le précieux carnet et son crayon rejoignirent la pierre noire, le miroir encadré de cuir rouge et les  pièces en argent dans le coffret magique.

-=o0o=-

Voila, je peux m'absenter tranquille.

Sachez que depuis le début de ce blog, j'ai posté 440 articles qui ont généré 7543 commentaires. le blog a reçu 94424 visites qui ont lu 302448 pages. Le 26 mai dernier 240 pages ont été consultées. Alors je réitère juste mon souhait de la dernière fois....pensez à laisser un trace de votre passage sur le blog. Vous savez que c'est ce qui m'encourage à continuer...et j'ai encore tellement de choses à vous dire....

Mais maintenant ce que j'ai à vous dire c'est de passer une bonne semaine et de vous garder en bonne santé. Votre toujours MICHEL

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Commentaires
M
La réunion chez Sylvaine ne fut que bonheur, rires et amitiés. Merci à elle et à son mari pour cet accueil chaleureux qui nous a permis de retrouver, comme le dit Francine, nos 15 ans.<br /> <br /> Notre Mimi a retrouvé le moral depuis son opération. Il ne souffre plus et ça c'est merveilleux.<br /> <br /> Bon dimanche à tous.<br /> <br /> Bises pour ceux et celles qui en veulent et amitiés au zautres.
S
je sais absente depuis longtemps mais beaucoup d'activités comme excuse!<br /> <br /> Félicitations aux heureux parents et grands-parents pour la continuité... et comme dirait un Toubib que je connaissais bien "inchallha Labbess"<br /> <br /> <br /> <br /> Pardon pour les fautes et j'essaie de me libérer pour le moussem d'Avignon Michel.<br /> <br /> Bises à tous même si nous ne nous connaissons pas.<br /> <br /> Sylvie
M
Ami-e-s Marrakchi-e-s bonjour<br /> <br /> <br /> <br /> Je souhaite à toutes les MAMANS du blog & du monde une très bonne fête.<br /> <br /> <br /> <br /> Je n'oublie pas notre MICHEL en lui disant par le blog ,en attendant de le lui dire de vive voix, que je pense à lui souvent et en particulier dans l'épreuve qu'il affronte .Qu'il soit prêt pour le mois d'octobre!!!!!<br /> <br /> Je l'embrasse.<br /> <br /> Bon rétablissement à notre tricoteur de liens.<br /> <br /> <br /> <br /> Amicalement<br /> <br /> <br /> <br /> Marcel Martin
F
Notre michel va bien et il va vite nous revenir<br /> <br /> amitiés à tous <br /> <br /> Francine
M
Michel, nous te souhaitons une meilleure santé.<br /> <br /> Reviens-nous vite en pleine forme. Un marrakchi à toujours du soleil à partager.<br /> <br /> Bon rétablissement à bientôt.<br /> <br /> Monique DB
Notre marrakech 45-70
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