Pour ceux qui prendraient le Blog en route, allez lire, SVP, l'article précédent pour comprendre celui ci: Jacques écrivait :
Comme promis lors du dernier article, nous allons pendant quelques semaines, partager la vie d'un de nos Marrakchami, Jacques....Il a écrit ce texte, plongé dans ses souvenirs et dans ses boites à chaussures pour rechercher des photos d'époque et nous offrir un feuilleton. Voila ce qu'il disait dans son dernier commentaire : J'espère surtout que cela ramènera à la surface de beaux souvenirs à beaucoup d'entre vous... Au-delà du devoir de mémoire que j'avais envers mes filles, j'ai pris énormément de plaisir à me replonger dans les vieux documents, les diapos décolorées.
Voici donc un premier chapitre : Qui suis-je ? Maroc 1961-1973
Mais comment devient-on « Marrakchami » ?
Au fil des rencontres, des lectures, de l'avancée de la vie, je me rends compte que si Marrakech fut « ma » ville, commune à bien d'autres, dans les années 1960-1970, mon frère, les gens qui m'ont côtoyé à cette époque, n'ont certainement pas les mêmes souvenirs que moi de cette époque, tant chacun voit sa vie de son propre point de vue.
Ce témoignage est aussi destiné à mes filles, à qui je n'ai pas encore pu montrer ce pays où j'ai passé mon adolescence, où j'ai rencontré ma femme et où j'ai perdu mes parents.
Treize années intenses, laissent ces souvenirs, épars et reconstitués, agrégés pour donner au récit une trame spatiale et temporelle cohérente.
Ce récit comporte des erreurs, liées au temps et aux mauvais souvenirs que l'on efface de sa mémoire.
Plutôt qu'une approche chronologique, j'ai retenu une approche thématique.
Je le dédierai à Mohammed, un camarade de classe qui ne se reconnaîtra pas parce que je ne parle pas de lui dans ce témoignage, mais qui se rappellera peut-être de moi, s'il le lit un jour.
Il n'aurait pas été possible sans Michèle ma femme, que je remercie.
Bayonne
En ce début des années soixante, j'habite à Bayonne, sous-préfecture des Basses Pyrénées, comme on dit encore à l'époque.
Encore faut-il savoir que Bayonne est, pour ses habitants, composée de quartiers. Si les touristes ou fêtards annuels ont entendu parler de nos jours du « Petit Bayonne », les gens du cru parlaient de Saint Esprit, quartier de la rive droite, des « Allées marines », qui longeaient l'Adour, des « Allées Paulmy », de « Lachepaillet » et de « Saint Léon », qui fut notre quartier.
Faisant suite aux imposantes Allées Paulmy, lieu de villégiature des gens fortunés à l'époque, et laissant à droite la route de Biarritz, la mythique « nationale 10 », une avenue, portant le nom d'un évêque de Bayonne, Raymond de Martres, passe devant le Parc des Sports (le stade du fameux Aviron Bayonnais), le cimetière municipal et grimpe vers le plateau de Marracq.
Au-delà du Lycée de Bayonne devenu depuis collège Marracq, lui-même en face du réputé pensionnat privé de Largenté, c'est la route de Cambo, qui se dirige vers le pays basque intérieur. Cette époque, la campagne commence juste là-haut, après la « Villa Soult », maison de notre grand oncle Marcel Forgues, qui fut aussi un célèbre rugbyman dans les années 1920, avec son frère Fernand.
Le numéro 24 a disparu. C'est pourtant là que nous habitions, dans une villa qui avait été confortable. Il y avait là autour un petit pâté de maisons individuelles conséquentes, rasé depuis.
L'unité architecturale des quatre villas permettait de penser que cette vaste propriété était unique au départ, et qu'au fil des générations, elle avait été morcelée. La famille du propriétaire en habitait encore une, et un autre bâtiment jumelé avait été mis en location. Nous occupions donc la moitié de cette « Villa Constance », que nous partagions avec les Genty, une famille d'épiciers ambulants qui vivait en faisant les marchés. On n'avait pas encore inventé les grandes surfaces à l'époque, et les marchés de village ou de bourg étaient une réalité concrète de la société française d'après-guerre.
Je ne sais pas pour quelle raison exacte la famille avait élu domicile dans cette maison, mais cela semblait remonter aux années trente, où les mauvaises affaires de mon grand-père maternel l'avaient conduit à revendre sa propriété du quartier Lachepaillet (sur la route de Biarritz) et à passer en location dans cette demeure, relativement proche de celle de sa belle-famille. De cette splendeur passée, il ne restait guère que ma grand-mère et son côté « grande dame », et un piano à queue où cette même grand-mère donnait quelques leçons aux enfants de la bonne société pour gagner un maigre quelque chose.
Cette grosse villa à étage, avait dû être cossue, mais elle souffrait de l'absence d'entretien de la part du propriétaire, particulièrement près de ses sous (on dirait « gestionnaire rigoureux »). On me racontait que, bâtie en torchis sur un terrain militaire, cette villa était susceptible d'être démolie en cas de conflit pour créer un parc de remonte en chevaux pour l'armée. Héritage des conflits napoléoniens, cette mesure désuète valait à la maison une cave somptueuse, capable paraît-il de recevoir ses propres débris en cas de démolition.
Entre enfants, nous évoquions aussi le passage d'un souterrain qui partait du château de Marracq et rejoignait la citadelle, et qui serait passé sous le jardin et les caves avoisinantes. Plusieurs voisins avaient vu « le trou » au fond de leur cave, ou de celle d'un oncle... Le mystère rôdait.
La maison comprenait en rez-de chaussée un appentis en planches appelé « buanderie », accolé à la cuisine, une salle à manger en dur rajoutée sur un côté mais dont le toit souffrait de l'écoulement de l'eau depuis les tuiles du toit principal situé deux étages plus haut, ouvrant elle aussi sur une cuisine flanquée d'une souillarde, cette pièce avec un évier que l'on trouve dans les anciennes constructions.
Un couloir en parquet ouvrait sur une cage d'escaliers avec une rampe imposante. Il conduisait à un salon au mobilier cossu, au parquet ciré, interdit aux enfants car destiné à recevoir les gens « importants », et à la chambre parentale, en face. Ce couloir était en fait l'entrée, car il se terminait par une lourde porte qui ouvrait sur la jardin. Mais cet accès était réservé aux hôtes de marque, les enfants à l'époque étant considérés comme des espèces d'animaux nuisibles qui n'avaient pas à s'immiscer dans la vie des grandes personnes.
C'était en tout cas le message que faisait passer clairement ma grand-mère en considérant que nous « manquions d'éducation ». Avec le recul, les standards de l'éducation de l'après-guerre chez un couple de professeurs étaient assez lointains de ceux de la bourgeoisie des années vingt à laquelle elle avait appartenu. On se demande encore, avec mon frère, comment notre mère eut l'autorisation de faire des études de « professeur de gymnastique » comme on disait à l'époque.
Une volée d'escaliers bordée par une rampe en bois massif, sur laquelle il était agréable (et donc interdit) de descendre menait à l'étage. A l'entresol, on trouvait les toilettes. Je n'ai jamais compris pourquoi les toilettes se trouvaient là, mais je pense que cette position des commodités en entresol faisait riche, car près du rez-de chaussée et de l'étage. Et puis n'oublions pas qu'à l'époque, il y avait encore des toilettes dehors à la campagne, ou sur le palier dans les immeubles en ville, et que le « tout à l'égout », voire l'eau courante (froide) à tous les étages étaient un luxe.
A l'étage, un bureau pour mon père, qui devint chambre à coucher pour les enfants quand nous grandîmes, une chambre pour notre grand-mère où elle avait pour habitude de prendre le mousseux accompagné de boudoirs avec une cousine éloignée tous les jeudis après-midi, et une chambre pour le fameux « Tonton Fernand », le rugbyman qui entre deux fiancées revenait se ressourcer auprès de sa soeur.
Cette chambre était flanquée d'une salle de bains dont la séparation consistait en une cloison en panneaux de bois (de jolie facture) comportant en imposte des carreaux transparents mais peints en bleu pour assurer l'intimité des occupants. Le plancher était particulièrement vétuste, ce qui nous valait la recommandation de ne pas sauter dans la baignoire. Par ailleurs, la plomberie d'évacuation en véritable plomb et les robinets mangés de vert-de-gris nous valaient la consigne de ne pas y boire l'eau du robinet.
Une petite porte sur le palier donnait accès après une volée de marches à un vaste grenier où des chambres réservées à la domesticité avaient été aménagées, du temps de la splendeur des maîtres de l'époque. De mon temps, dans des pièces mansardées tapissées avec des papiers aux motifs incontestablement anciens, on y trouvait quelques meubles sentant le renfermé et toutes sortes de récipients destinés à récupérer les infiltrations d'eau de pluie entre les tuiles disjointes ; du pot de chambre en céramique à la bassine en plastique « monoprix », en passant par le seau en tôle galvanisée. Le propriétaire se faisait tirer les oreilles pour refaire la toiture.
Le jardin comprenait sur la partie arrière (en fait, celle par laquelle on rentrait), un garage en bois et une petite cour avec un pêcher, sur lequel ma mère me dit qu'elle ramassait les fruits la veille de ma naissance. Derrière le garage, un aucuba et une rangée d'hortensias donnaient accès au « jardin de devant », mieux entretenu. On y trouvait entre autres des fuchsias, un cerisier, un figuier, un parterre de fraisiers et quelques groseillers, le reste étant plutôt consacré aux fleurs, dahlias principalement dans ma mémoire.
De ce jardin, une allée d'une cinquantaine de mètres, bordée de troènes, permettait d'accéder à l'avenue Raymond de Martres, grâce à un portail en poutres de bois rouge basque passé.
L'entrée usuelle se faisait « par derrière », ce côté donnant sur un chemin en terre, non dénommé à l'époque. En face, les ruines d'une usine, « Chiquitoys », l'inventeur du Jokari. Vous savez, ce jeu populaire dans notre enfance où la balle était reliée par un élastique à un bloc de bois posé à terre, ce qui permettait de jouer à la balle tout seul, sans partenaire ni mur pour la renvoyer.
On a tous connu cela sur les plages. Depuis, les chinois ont repris une production qui refait des apparitions sporadiques au fil des modes.
Ce mois d'octobre 1960, la rentrée des classes avait déjà eu lieu. Au Pays Basque, la rentrée des classes se faisait encore sur fond d'été, on allait encore à la plage les jeudis après-midi ou le week-end, surtout lors de marées d'équinoxe, qui découvraient les rochers et permettaient de pêcher quelques rares crevettes, de ramasser bigorneaux et oursins, voire de chasser le poulpe pour les plus téméraires. On avait à peine inventé le surf. La combinaison néoprène, le van, accessoires indispensables pour mener l'existence du « surfer branché » actuel étaient encore de l'imaginaire.
L'agitation familiale était à son comble : après plusieurs mois de tractations, les parents venaient de recevoir une réponse favorable à leur demande de départ comme enseignants pour le Maroc, pays découvert quelques mois plus tôt.
C'est en effet aux vacances de Pâques précédentes qu'ils s'étaient décidés à confier enfants et belle-mère à une gouvernante (s'il vous plait ! - la belle-mère refusait catégoriquement de garder les enfants), et qu'ils ont rendu visite à des amis de longue date, établis à Marrakech : Dédé et Charlotte LANDAU, qui habitaient les logements de fonction du Lycée Technique Hassan II où Dédé (André de son vrai prénom) était « Chef des Travaux », c'est à dire responsable du fonctionnement des ateliers.
Dès leur retour, emballés par le pays, ils avaient demandé à faire partie de l'important contingent du corps enseignant qui travaillait à la formation des futurs cadres marocains. L'indépendance était encore récente, et tout se structurait afin de permettre d'assurer une relève par des marocains dans des entreprises marocaines.
Vers la fin septembre, alors que l'on ne comptait plus les coups de téléphone, télétype et autres moyens de communication modernes (de l'époque) mis à notre disposition par l'oncle maternel qui était affréteur de bateaux (celui qui habitait la Villa Soult), la nouvelle tomba, effroyable pour nous autres, les enfants ! Les parents avaient obtenu une mutation à Marrakech. Papa au Lycée Hassan II comme professeur de mathématiques, Maman comme professeur de Gymnastique au Lycée Ibn Abbad. Avec un complément de service à l'Arset el Maach. Renseignements pris, le Lycée Ibn Abbad était le Lycée Mangin, rebaptisé pour la circonstance suite à la marocanisation de l'enseignement public. Le lycée français serait transféré progressivement sur le site du Victor Hugo actuel.
La nouvelle effroyable ? Bien sûr ! Imaginez l'état d'esprit d'un gamin de 10 ans à qui l'on expliquait que ce serait le départ, la fin des habitudes, des amitiés, des repères qu'il avait acquis, et qu'il allait se retrouver à 2000 km de là (pas tout à fait quand même). Loin de tout.
De l'Afrique, du Maghreb et du Maroc, je ne connaissais rien, si ce n'est les taches rose saumon de mon atlas de géographie ou des cartes Vidal-Lablache qui ornaient les murs de la classe et que le maître d'école affichait une fois l'an au tableau noir pour parler des « possessions coloniales » : l'Afrique du Nord (Maroc – Algérie – Tunisie), l'Afrique Occidentale Française et l'Afrique Equatoriale Française. Sans oublier Madagascar, éventuellement les Comores et la Réunion. Nous étions cependant en 1960, et les taches roses ne correspondaient plus trop : Maroc et Tunisie étaient redevenus indépendants, mais il restait de cet empire colonial l'Algérie, « heureusement », et les possessions d'AEF et d'AOF. Grâce à cela la France était encore un « grand » pays. Le langage s'infléchissait, toutefois, pas encore celui des livres de classe mais celui de l'instituteur, qui nuançait les « bons pays colonisés », qui l'étaient encore, et les « mauvais » qui avaient acquis leur indépendance. La défaite de Dien Bien Phu était encore bien présente dans la mémoire française.
La ruée sur les livres de géographie n'était pas plus édifiante. Alors, il restait le cinéma du samedi matin, à l'école, où l'on voyait régulièrement des films tournés sur l'Afrique Noire, avec le soutien d'Air France et du ministère des Colonies, où inévitablement les camions embourbés sur des pistes de latérite à la saison des pluies utilisaient les feuilles de bananiers transportés par des noirs athlétiques au sourire éclatant pour sortir des ornières, et où le commentaire « Off » et grandiloquent du speaker de l'époque vantait les mérites de la civilisation apportée par l'Homme Blanc...
De l'Afrique du Nord, nous n'avions droit qu'à des images de chameaux et de Touareg... et au même commentaire ! Et dans le nouveau livre de géographie, il y avait bien une page sur l'Afrique du nord, mais pas de bol, c'était sur l'Algérie. On y apprenait d'ailleurs qu'Ali était un petit écolier de France, sauf qu'il n'y avait pas d'arbres là où il vivait, mais qu'il apprenait aussi, tout comme nous, que « nos ancêtres les Gaulois »...
Comment donc décrire l'état d'esprit dans lequel un enfant de dix ans se trouve, quand on lui annonçait simultanément le départ de son environnement, et la projection dans un monde que même l'instituteur, référence de l'époque, ne pouvait lui décrire mieux que ses parents ?
Pas de télévision à l'époque, pas ou presque de presse magazine, en dehors de « Paris-Match ». Les sources de renseignement étaient maigres, les clichés nombreux, et puis il y avait eu quelques évènements en Algérie, et nous avions même, dans le quartier, eu des « pieds-noirs » qui avaient séjourné quelque temps parmi nous. Avec ce mélange d'inconnu, d'envie, d'incompréhension et de réprobation de la part de la population locale...
A tel point que notre brave employée de maison, qui donnait un coup de main pour l'entretien de la villa et dont nous étions un peu les enfants nous demanda si cela ne nous faisait pas peur d'aller « vivre sous la tente au milieu de gens tout nus et de manger du chameau » !
Mais les enfants de dix ans, en 1960, ne s'occupaient pas de ces choses là ! Ils ne lisaient pas le journal (sauf Tintin ou Mickey), car ce n'était « pas de leur âge » et ils ne prenaient pas part aux conversations des adultes, car ils étaient « bien élevés ».
Les préparatifs furent donc lancés. Papa récupéra au grenier une vieille malle de voyages d'un grand-père d'Amérique (du Mexique pour être précis), y fourra quelques affaires d'hiver, dont un anorak que nous venions de racheter à une amie de maman dont le fils avait grandi rapidement, anorak qui m'était destiné, un radiateur à gaz de type « buta thermix », l'indispensable agrandisseur photo... et le Tonton Marcel Forgues envoya tout cela vers Casablanca.
Pour nous, vêtements légers et « demi-saison » empilés dans des valises (il faut dire que la garde-robe dans la France métropolitaine de 1960 était assez limitée) le tout fourré dans la 203 familiale, et nous fûmes partis !
Notre grand-mère suivrait plus tard, quand nous aurions résolu les problèmes d'organisation matérielle « là-bas ».
Le voyage
Ce fut notre première traversée de l'Espagne.
L'Espagne, nous connaissions relativement bien puisque nous y passions beaucoup de vacances et y avions un peu de lointaine famille.
La voiture était un peu surchargée, aussi, avec mon frère Michel, nous partagions la banquette arrière avec une valise en skaï noir que nous chevauchions à tour de rôle, nous imaginant en train de conduire une « Vespa ». Le bruitage en moins, toutefois, car il ne fallait pas importuner le conducteur qui se battait pour maintenir le véhicule sur la route.
Sur les routes d'abord sinueuses dans le pays basque passant par Tolosa, Alsasua et Vitoria, puis plus rectilignes mais aussi plus cabossées sur la « meseta central » (Burgos, Madrid, Bailèn), puis du Guadalquivir (Séville) et enfin de la côte (Cadix, Algesiras), nous apprîmes à connaître les camions espagnols, les fameux « PEGASO », multiroues polluant allègrement de tous leurs cylindres. Pas de voitures particulières, ou très peu, beaucoup de transports « Servicio Publico » (SP) s'effectuaient par camion, bus ou taxi.
On ne peut pas dire que la vitesse moyenne fut extraordinaire, dans la mesure où les bien connus « obras » (travaux) de l'époque rompaient la monotonie de la route ; un panneau, une silhouette incitant à ralentir, une partie de la route transformée en piste, et quelques ouvriers transportant des graviers dans de petits paniers tressés, c'était souvent le spectacle des travaux en Espagne. Plus rarement, nous observions une machine à goudronner qui délivrait de l'enrobé à chaud, étendu manuellement par les mêmes ouvriers. C'était un indice important car il laissait supposer qu'au retour, dans quelques mois, ce tronçon serait achevé et que l'on pourrait y rouler « confortablement ».
Nous fîmes une étape à Aranjuez le premier soir, puis une seconde étape à Algeciras le lendemain, face au détroit de Gibraltar. Le bateau, ce serait pour le troisième jour. Les enfants que nous étions avaient certainement souffert de ce trajet, attristés par la séparation d'avec les copains. Et puis, à dix ans, on pensait plus à jouer qu'à se tenir tranquille dans une voiture qui transmettait fidèlement les irrégularités du revêtement routier au postérieur des passagers.
La traversée en bateau sur le « Virgen de Africa » se déroula sans anicroche et sans souvenir particulier : nous avions déjà pris le ferry pour franchir l'estuaire de la Gironde entre Le Verdon et Royan, nous étions donc aguerris (sic !). Sauf que c'était plus long et que l'eau était plus bleue. Au fur et à mesure de la traversée, l'excitation des parents grandissait.
Nous touchâmes enfin la terre marocaine à Tanger, et le dépaysement fut au rendez-vous : foule bigarrée, djellabas et foulards, quelques ânes, beaucoup de vélos, mais nous avions encore l'impression d'être en Espagne, tant le sud de l'Espagne à cette époque était misérable, et tant l'espagnol était parlé dans les rues de cette ancienne ville du Maroc Espagnol.
Pas le temps de traîner, la voiture monta à l'assaut de la côte vers la route de Rabat, et ce fut reparti. Asilah, Larache, Souk et Arba du Gharb et la fin du maroc ex-espagnol, Salé puis enfin Rabat.
Notre émerveillement et notre étonnement furent régulièrement calmés par notre mère qui nous rappelait en permanence « qu'il ne faut pas faire de réflexions » sur les habitants que nous voyions vaquer à diverses activités, exotiques pour nous : couple en route vers le souk avec le mari sur l'âne et la femme derrière à pieds, bicyclettes surchargées à la trajectoire hésitante, charrettes tirées par des ânes faméliques, petites filles qui ramènent de l'eau ou du bois sur le dos, auto-stoppeurs au geste large, main tendue, camions rouges (Ford Thames Trader ou Bedford) brinquebalants, des Land-Rover un peu partout, y compris celles de la police, blanches avec leur bandes vertes et rouges, et l'inscription « Police » en trois langues.
Un premier arrêt à Rabat, aux services du ministère, permit de régler rapidement la situation administrative des parents. Cela leur permettrait d'être éventuellement payés. Cela pouvait servir.
La route reprit vers une propriété de colons du côté de Settat, où les parents avaient une adresse de gens à voir. Nous découvrîmes sous un ciel gris un « bled », petite ferme blanche au bout d'un chemin bordé d'eucalyptus, ferme qui sentait la tristesse d'un départ proche de ses occupants vers la France, car leurs terres étaient récupérées dans le cadre de l'indépendance.
Puis ce fut la reprise de la route vers Marrakech. Passée la plaine de Benguerir, impressionnante d'étendue, et les Djebilets, ces petites collines dont les virages serrés contrastaient avec les 35 km de ligne droite de Benguerir, nos parents nous annoncèrent que l'on pouvait voir la Koutoubia, enfin ! Leur excitation grandissait, nous, nous étions las de ces trois jours de voyage continu. La Koutoubia ne nous parlait pas plus que cela, de surcroît.
Nous entrâmes bientôt dans la palmeraie. Je me rappelle le long pont blanc à plusieurs arches sur le Tensift, sur lequel nous avions slalomé entre les charrettes, puis l'arrivée à Marrakech par la route de Casablanca, la colline du Guéliz sur notre droite... Et les parents déchaînés.
Après, tout se brouilla : accueil chez nos amis Landau, connaissance des gamins du coin qui riaient de notre accent méridional, nous étions harassés.
Carte Michelin Maroc SUD de 1961. Elle nous servit pour toutes nos balades et comportait un agrandissement de la région de Marrakech dans le coin inférieur droit.
Fin du premier chapitre, nous avons fait connaissance avec la famille et fait le trajet vers Marrkech avec elle.
N'hésitez pas à nous donner votre impression et nous dire ce que vous penser de cette idée...Comme je vous le demande souvent, n'hésitez pas non plus à me faire parvenir ce que vous avez déjà écrit ou encore pas... Mais je suis certain que ce CHKOUN ANA va vous donner des idées.....A vos plumes ou à vos claviers....